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plaisirs et leurs amours; et il étoit naturel qu'ils fissent souvent entrer dans leurs chansons leurs troupeaux, les bois les fontaines et tous les objets qui leur étoient les plus familiers. Ils vivoient à leur manière dans une grande opulence, ils n'avoient personne au-dessus de leur tête, ils étoient pour ainsi-dire les rois de leurs troupeaux; et je ne doute pas qu'une certaine joie qui suit l'abondance et la liberté, ne les portât encore au chant et à la poésie.

La société se perfectionna, ou peut-être se corrompit mais enfin les hommes passèrent à des Occupations qui leur parurent plus importantes; de plus grands intérêts les agitèrent, on bâtit des villes de tous côtés, et avec le temps il se forma de grands états. Alors les habitans de la campagne furent les esclaves de ceux des villes; et la vie pastorale étant devenue le partage des plus malheureux d'entre les hommes, n'inspira plus rien d'agréable.

Les agrémens demandent des esprits qui soient en état de s'élever au-dessus des besoins pressans de la vie, et qui se soient polis par un long usage de la société, il a toujours manqué aux bergers l'une ou l'autre de ces deux conditions. Les premiers pasteurs dont nous avons parlé, étoient dans une assez grande abondance; mais de leur temps le monde n'avoit pas encore eu le loisir de se

polir. Il eût pu y avoir quelque politesse dans les siècles suivans; mais les pasteurs de ces siècles-là étoit trop misérables. Ainsi, et la vie de la campagne et la poésie des pasteurs, ont toujours dû être fort grossières.

Aussi est-il bien sûr que de vrais bergers ne sont point entièrement faits comme ceux de Théocrite. Croit-on qu'il y en ait quelqu'un qui puisse dire : aussi-tot qu'elle le vit, aussi-tot elle perdit toute aussi-tôt elle se précipita dans les

sa raison

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abymes de l'amour ?

Qu'on examine encore les traits qui suivent. « Plût au ciel, Amarillis, que je fusse une petite abeille, pour entrer dans la grotte où tu te retires, en passant au travers des lierres qui t'environnent! Je sais maintenant ce que c'est que l'amour c'est un dieu bien cruel; il faut qu'il ait sucé le lait d'une lionne, et que sa mère l'ait nourri dans les forêts.

Cléariste me jette des pommes lorsque mon troupeau passe auprès d'elle, elle murmure en même temps quelque chose de très-doux.

Par-tout on voit le printemps, par-tout les paturages sont plus fertiles, par-tout les troupeaux sont en meilleur état, aussi-tôt que ma bergère paroît; mais, du moment qu'elle se retire, les herbes sèchent et les bergers aussi.

Je ne souhaite point de posséder les richesses

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'de Pélops, ni de courir plus vite que les vents mais je chanterai sous cette roche, te tenant entre mes bras, et regardant en même temps la mer de Sicile ". Je crois que l'on trouvera dans tout cela, et plus de beauté et plus de délicatesse d'imagination, que n'en ont de vrais bergers.

Mais je ne sais pourquoi Théocrite, ayant quelquefois élevé ses bergers d'une manière si agréable au-dessus de leur génie naturel, les y a a laissé retomber très-souvent. Je ne sais comment il n'a pas senti qu'il falloit leur ôter une certaine grossièreté qui sied toujours mal. Lorsque Daphnis, dans la première idylle, est prêt à expirer d'amour, et qu'il est environné d'un grand nombre de dieux qui sont venus le visiter, on lui reproche au milieu de cette belle compagnie, qu'il est comme les chevriers qui envient les amours de leurs boucs et en sèchent de jalousie; et l'on peut assurer que les termes dont Théocrite s'est servi, répondent fort bien à l'idée.

Dans un autre idylle, Lacon et Comatas se prennent de paroles sur des vols qu'ils se sont faits l'un à l'autre. Comatas a dérobé la flute de Lacon; Lacon a dérobé à Comatas la peau qui lui servoir d'habit, et l'a laissé nud. Ensuite ils se disent de certaines injures qui conviennent à des Grecs, mais qui ne sont assurément pas trop honnêtes et enfin, après que l'un a fait encore à l'autre un

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petit reproche de sentir mauvais, ils commencent un combat de chant, qui auroit dû plus naturellement être un combat à coups de poing, vu ce qui avoit précédé; et, ce qui est assez plaic'est qu'après avoir débuté par de très-vilaines injures, lorsqu'ils en sont à chanter l'un contre l'autre, ils font les délicats sur le choix du lieu où ils chanteront; chacun en propose un dont il fait une description fleurie. J'aurois peine à croire que tout cela fût bien assorti. Il se trouve encore la même bigarrure dans leur combat, où, entre des choses qui regardent leurs amours, et qui sont jolies, Comatas fait souvenir Lacon qu'il le battit bien un certain jour; et Lacon répond qu'il ne s'en souvient pas, mais qu'il se souvient d'un jour qu'Eumaras, maître de Comatas, lui donna bien les étrivières. Quand on dit que Vénus, et les graces, et les amours, ont composé les idylles de Théocrite, je ne crois pas qu'on prétende qu'ils aient mis la main à ces endroits-là.

Il y a encore dans Théocrite des choses qui n'ont pas tant de bassesse, mais qui n'ont guère d'agrément, parce qu'elles ne sont simplement que rustiques. La quatrième de ses idylles est toute de ce caractère. Il ne s'agit que d'un Egon, qui, étant allé aux jeux Olympiques, a laissé son troupeau entre les mains de Coridon. Batrus reproche à Coridon que le troupeau est bien maigri depuis

le départ d'Egon. Coridon répond qu'il y fait de son mieux, et qu'il le mène dans les meilleurs paturages qu'il connoisse. Battus dit que la flûte d'Egon se gâtera pendant son absence. Coridon répond que non, qu'elle lui a été laissée, et qu'if saura bien en faire usage. Ensuite Battus se fair tirer une épine du pied par Coridon, qui lui conseille de n'aller point à la montagne qu'il ne soit chaussé. Ensuite Coridon apprend à Battus qu'if a surpris dans une étable un vieillard avec sa maftresse aux sourcils noirs; et, ce que ne croiroient peut-être pas ceux qui n'ont point d'habitude avec les anciens, voilà toute l'idylle.

Lorsque, dans un combat de bergers, l'un dit? hay mes chèvres, allez sur la pente de cette colline; et l'autre répond: » : » Mes brebis, allez paître du côté du Levant ».

Ou, « je hais les renards qui mangent les figues; » et l'autre, « Je hais les escargots qui mangent les raisins ».

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Ou, « Je me suis fait un lit de peaux de vaches auprès d'un ruisseau bien frais, et là je ne me soucie non plus de l'été, que les enfans des remontrances de leur père et de leur mère ; » et l'autre J'habite un antre agréable, j'y et fais bon c ne me soucie non plus de l'hiver, qu'un homme qui n'a point de dents se soucie de noix quand il voit de la bouillie ».

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