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On ne prend pas moins de plaisir à voir un sentiment exprimé d'une manière simple que d'une manière plus pensée, pourvu qu'il soit toujours également fin au contraire, la manière simple de l'exprimer doit plaire davantage, parce qu'elle cause une espèce de surprise douce et une petite admiration. On est étonné de voir quelque chose de fin et de délicat sous des termes communs et qui n'ont point été affectés ; et sur ce pied-là, plus la chose est fine sans cesser d'être naturelle, et les termes communs sans être bas, plus on doit être touché.

L'admiration et la surprise ont tant d'effet, qu'elles peuvent même faire valoir les choses audelà de ce qu'elles valent. Tout Paris a retenti des dits notables des ambassadeurs Siamois, tout Paris y a applaudi. Que des ambassadeurs d'Espagne ou d'Angleterre en eussent dit autant, on n'y eût pas songé. Mais nous supposions que des gens venus du bout du monde, de couleur olivâtre, habillés autrement que nous, que les Européens avoient toujours traités de barbares, ne devoient pas avoir le sens commun: nous avons été bien étonnés de leur en trouver, et les moindres choses de leur part nous ont jettés dans l'admiration, admiration dans le fond assez injurieuse pour eux. Il en va de même de nos bergers; on est plus

touché de les voir penser finement dans leur style simple, parce qu'on s'y attend moins.

Encore une chose qui convient au style des bergers; c'est de ne parler que par faits, et presque point par réflexions. Les gens qui ont gens qui ont médiocrement de l'esprit, ou l'esprit médiocrement cultivé, ont un langage qui ne roule que sur les choses particulières qu'ils ont senties ; et les autres s'élevant plus haut, réduisent tout en idées générales. Leur esprit a travaillé sur leurs sentimens et sur leurs expériences; ce qu'ils ont vu les a conduits à ce qu'ils n'ont point vu au lieu que ceux qui sont d'un ordre inférieur ne poussent point leurs vues audelà de ce qu'ils sentent; ce qui y ressemble le plus pourra leur être encore nouveau. De-là vient dans le peuple une curiosité insatiable des mêmes objets, une admiration presque toujours égale pour les mêmes choses.

Une suite de cette sorte d'esprit est de mêler aux faits que l'on rapporte beaucoup de circonstances utiles ou inutiles. C'est que l'on a été extrêmement frappé du fait particulier, et de tout ce qui l'accompagnoit. Les grands génies au contraire, méprisant tout ce petit détail, vont saisir dans les choses je ne sais quoi d'essentiel, et qui est ordinairement indépendant des circonstances.

Croiroit-on bien que dans les choses de passion,

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il vaut mieux imiter le langage des

esprit médiocre, que celui des autres? A la vérité on ne rapporte guère que des faits, et on ne s'élève pas jusqu'aux réflexions; mais rien n'est plus agréable des faits exposés de manière qu'ils portent que leur réflexion avec eux. Tel est ce trait admirable de Virgile « Galatée me jette une pomme, et s'enfuit derrière des saules, et veut être apperçue auparavant. » Le berger ne vous dit point quel est le dessein de Galatée, quoiqu'il le sente parfaitement bien; mais il a été frappé de l'action, et selon qu'il vous la représente, il est imposible que vous n'en deviniez le dessein. Or l'esprit aime les idées sensibles, parce qu'il les saisit facilement et il aime à pénétrer, pourvu que ce soit sans effort, soit parce qu'il se plaît à agir jusqu'à un certain point, soit parce qu'un peu de pénétration flatte sa vanité. Il a le double plaisir et d'embrasser une idée facile, et de pénétrer lorsqu'on lui présente des faits pareils à celui de Galatée. L'action et, pour ainsi dire, l'ame de l'action, s'offrent tout ensemble à ses yeux; il ne peut avoir rien de plus, ni plus promptement, et il ne lui en peut coûter moins.

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Lorsque Coridon, dans la seconde églogue de Virgile dit, pour vanter sa flûte, que Dametas la lui donna en mourant, et lui dit: tu es le second maître qu'elle a eu, et qu'Amintas fut jaloux de ce qu'on ne lui avoit pas fait ce présent, toutes

ces circonstances sont parfaitement du génie pastoral. Il pourroit même y avoir de la grace à faire qu'un berger s'embarrassât dans celles qu'il rapporteroit, et eût quelque peine à s'en démêler mais cela voudroit être ménagé avec art.

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Il n'y a point de personnages à qui il sied mieux de charger un peu leurs discours de circonstance, qu'aux amans. Elles ne doivent pas être absolument inutiles ou prises trop loin; car cela seroit ennuyeux, quoique peut-être naturel : mais celles qui n'ont qu'un demi-rapport au fait dont il s'agit, et qui inarquent plus de passion qu'elles ne sont importantes, ne peuvent manquer de faire un effet agréable. Ainsi, lorsque dans une églogue de Segrais une bergère dit :

Menalque et Licidas ont su faire des vers,
Dignes d'être chantés par cent Peuples divers;
Mais mon jaloux berger, sous ce vieux Sicomore,
En fit un jour pour moi, que j'aime mieux encore :

La circonstance du Sicomore est jolie, en ce qu'elle seroit inutile pour toute autre que pour

une amante.

gers,

Selon l'idée que nous nous formons ici des berles récits et les narrations leur conviennent fort bien, mais de leur faire faire des harangues pareilles à celles de l'Astrée, pleines de réflexions générales et de raisonnemens liés les uns aux autres,

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en vérité je ne crois pas que leur caractère le

permette.

Il n'est pas mal qu'ils fassent des descriptions, pourvu qu'elles ne soient pas fort longues. Celle de la coupe que le chevrier promet à Tircis dans la première idylle de Théocrite, passe un peu les bornes; et, sur cet exemple, Ronsard et Remi Belleau son contemporain, en ont fait qui l'emportent en longueur. Quand leurs bergers ont à décrire un panier, un bouc, un merle, qu'ils mettent pour prix d'un combat, ils ne finissent point. Ce n'est pas que ces descriptions n'aient quelquefois bien de la beauté, et un art merveilleux; au contraire, elles en ont trop pour des bergers.

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Vida, fameux poëte latin du seizième siècle, dans l'églogue de Nicé, qui est, à ce que je crois, Victoire Colonne, veuve de Davalos, marquis de Pesquaire, fait décrire au berger Damon un panier de jonc qu'il fera pour elle. Il dit qu'il y représentera Davalos mourant, et regrettant de ne pas mourir dans un combat ; des Rois, des Capitaines et des Nymphes en pleurs autour de lui; Nicé priant en vain les dieux; Nicé évanouie à la nouvelle de la mort de Davalos, revenant à peine par l'eau que ses femmes lui jettent sur le visage et il ajoute qu'il auroit exprimé bien des plaintes et des gémissemens, s'ils se pouvoient exprimer sur le jonc, Voilà bien des choses pour un

panier

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