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épigrammatiques! on en ferait un piquant chapitre dans l'histoire des révolutions du langage. Le discrédit où sont tombées les Précieuses ne doit pas faire oublier les services qu'elles ont rendus. L'hôtel de Rambouillet continua le travail de Malherbe sur la langue française. Celui-ci avait donné à notre idiome la force et la noblesse; ses continuateurs l'assouplirent, et ajoutèrent aux qualités qu'il possédait déjà la finesse et la délicatesse. Il faut encore rapporter à ce cercle ingénieux l'art et le goût de la conversation, d'où naquit l'urbanité, dont le nom même manquait avant les Précieuses qui le reçurent de Balzac. De leur propre fonds elles donnèrent cours à d'autres expressions heureuses qui ont enrichi le trésor de la langue. Elles ont dit les premières : « cheveux d'un blond hardi,» parce que roux leur paraissait un mot brutal. Nous leur devons encore: « n'avoir que le masque de la vertu, » pour désigner l'hypocrisie. Elles ont << revêtu les pensées d'expressions nobles; » elles voulaient qu'on fût « sobre dans ses discours,» il n'y a pas à les en blâmer. Elles ont fourni contre elles-mêmes une excellente épigramme en créant cette vive et piquante locution : « tenir bureau d'esprit; » mais on ne leur appliquera jamais le mot énergique « s'encanailler', » que l'une d'entre elles, et ce n'est pas la moins spirituelle, a frappé d'une empreinte durable, qui garde la trace de ce profond

1 Le mot est de la marquise de Mauny. Celui d'enducailler, qui en est la contre-partie, est de Chamfort. La marquise de Mauny a fait d'elle-même un portrait, le meilleur peut-être des morceaux de ce genre, si fort à la mode sous la régence

dédain qu'elles avaient pour les profanes. Les Précieuses ont donc fait autre chose que des périphrases prétentieuses et des métaphores recherchées : souvent elles ont bien rencontré. On ne saurait non plus nier sans injustice que la morale ne doive quelque chose à cette société d'élite qui rendit chastes, au moins en paroles, les auteurs qu'elle admettait dans son sein, et plus retenus ceux même qu'elle n'avait pas enrôlés. On oublie trop que c'est la seconde génération des Précieuses, celle qui relève de mademoiselle de Scudéry, qui a donné prise à Molière. La marquise de Rambouillet n'est pas en cause, son salon n'avait, au service de la comédie, ni de Madelon, ni de Cathos, ni même de Mascarille.

Si Balzac fut l'oracle de l'hôtel de Rambouillet, Voiture en est le héros. C'est lui qui représente le mieux, soit par sa prose, soit par ses vers, les qualités et les défauts de cette société brillante et maniérée. Il a prodigieusement d'esprit, et il ne se contente pas d'en avoir, il en fait; il cherche les rapports les plus éloignés, et peu lui importe qu'ils soient disparates, pourvu qu'ils surprennent et que le rapprochement fasse jaillir une étincelle; il joue avec les idées et souvent avec les mots; il a des tours d'adresse et des tours de force pour exprimer ce qui ne peut se dire, et plus l'idée est scabreuse, plus le péril est grand, plus il montre de dextérité ; il côtoie

d'Anne d'Autriche. On le trouve p. 73 de la Galerie des portraits de mademoiselle de Montpensier, curieux ouvrage réédité récemment et beaucoup amélioré par M. Édouard de Barthélemy. 1 vol. in-8°, Didier, 1860.

la licence et la bouffonnerie sans y tomber jamais; il badine ingénieusement; les témérités de son esprit ne lui servent qu'à en montrer la souplesse et l'agilité; il aime à inquiéter la pruderie, et il ne l'offense pas. C'est qu'au fond son esprit vaut mieux que l'emploi qu'il en fait; il le gâte sciemment pour mieux divertir l'auditoire dont il aime la surprise et les applaudissements. Il ne s'abuse pas sur la valeur des traits qui lui attirent des suffrages. Homme du monde plutôt qu'écrivain, et voulant vivre parmi les grands sur le pied de l'égalité, il lui fallait compenser le tort de sa naissance en prenant ses avantages du côté de l'esprit. Courageux, familier, quelquefois hautain, toujours soigneux de sa dignité d'homme dans son rôle d'amuseur, il a fait reconnaître les priviléges de l'intelligence parmi les privilégiés de la naissance qui n'étaient pas des sots.

Voiture a été proclamé le père de l'ingénieuse badinerie; et en effet personne n'a plaisanté plus agréablement, soit qu'il raconte les aventures de son voyage aérien, pendant que, lancé par quatre gaillards dont les bras vigoureux l'enlèvent de sa couverture par delà les nues et le mettent aux prises avec un bataillon de grues qui le prennent pour un pygmée; soit que, continuant une plaisanterie qui a déjà réussi, il donne, par l'entremise du plus muet des poissons, les éloges les plus vifs et les plus délicats à son compère le brochet, duc d'Enghien, et vainqueur à Rocroy; soit que, de la terre d'Afrique, aride nourricière de monstres, il envoie à mademoiselle Paulet, à la lionne de l'hôtel Rambouillet, des nou

velles de ses terribles parents du désert; soit enfin qu'il prenne courageusement parti pour la conjonctive car, en grand danger d'être proscrite1. Ce qui fait la grâce de ces plaisanteries, c'est qu'on voit qu'elles ne sont pas une affaire pour lui, mais un divertissement, et que son esprit est bien supérieur aux bagatelles dont il l'amuse.

La diplomatie fut une des distractions de Voiture: il y fit ses preuves d'adresse et de solidité; et lorsque, par aventure, cette plume badine a touché à des sujets sérieux, elle a passé sans effort de la familiarité à la noblesse. Favori de Gaston d'Orléans, Voiture ne tarda pas à comprendre que toutes les intrigues ourdies contre Richelieu étaient des services rendus à la maison d'Autriche. Il se décida à louer hautement la politique du ministre qui vengeait la France en abaissant l'Espagne. Il l'a jugé dès 1636, avant l'achèvement de ses grands desseins, comme a fait la postérité. Il expose les motifs de sa conversion dans une lettre qui devance l'histoire, et qui, écrite avec autant de force que de mesure, mérite d'être lue et méditée. Nous devons au moins en détacher une page qui justifie nos éloges : « Voyons, dit-il, s'il s'en est fallu beaucoup qu'il n'ait renversé ce grand arbre de la maison d'Autriche, et s'il n'a pas ébranlé jusques aux racines ce tronc qui de deux branches couvre le septentrion et le couchant, et qui donne de l'ombrage au reste de la terre. Il fut

1 OEuvres de Voiture, édit. Ubicini, 2 vol. in-18, Charpentier, 1855. T. I, lett. Ix, p. 40; lett. CLV, p. 401; lett. LV, p. 167; lett. c1, p. 293.

chercher jusque sous le pôle ce héros qui sembloit être destiné à y mettre le fer et à l'abattre. Il fut l'esprit mêlé à ce foudre, qui a rempli l'Allemagne de feu et d'éclairs, et dont le bruit a été entendu par ́tout le monde. Mais quand cet orage fut dissipé, et que la fortune en eut détourné le coup, s'arrêta-t-il pour cela ne mit-il pas encore une fois l'Empire en plus de hazard qu'il n'avoit été par les pertes de la bataille de Leipsig, et celle de Lutzen? Son adresse et ses pratiques nous firent voir tout d'un coup une armée de quarante mille hommes, dans le cœur de l'Allemagne, avec un chef qui avoit toutes les qualités qu'il faut pour faire un changement dans un Etat. Que si le roi de Suède s'est jeté dans le péril plus avant que ne devoit un homme de ses desseins et de sa condition, et si le duc de Friedland, pour trop différer son entreprise, l'a laissé découvrir : pouvoit-il charmer la balle qui a tué celui-là au milieu de sa victoire, ou rendre celui-ci impénétrable aux coups de pertuisane? Que si ensuite de tout cela, pour achever de perdre toutes choses, les chefs qui commandoient l'armée de nos alliez devant Norlinghen donnèrent la bataille à contre-temps : étoit-il au pouvoir de monsieur le Cardinal, étant à deux cents lieues de là, de changer ce conseil, et d'arrêter la precipitation de ceux qui pour un empire (car c'étoit le prix de cette victoire) ne voulurent pas attendre trois jours? Vous voyez donc que pour sauver la maison d'Autriche, et pour détourner ses desseins, que l'on dit à cette heure avoir été si téméraires, il a la fortune ait fait depuis trois miracles; c'est

fallu

que

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