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exagère sans doute et dont il parle sans cesse; pour n'avoir pas à porter le deuil toute sa vie, il ne multipliera pas autour de lui les chances de mort, il vivra dans un isolement superbe, il déclinera la charge et l'honneur d'être chef de famille. Voici les raisons qu'il en donne : « Je ne veux point être en peine de compter tous les jours les cheveux de celle que j'épouserai, afin qu'elle ne donne de ses faveurs à personne, ni craindre que toutes les femmes qui la viendront voir ne soient des hommes desguisés. L'exemple de nostre voisin me fait peur qui a mis au monde tant de muets, tant de borgnes et de boiteux qu'il en pourrait remplir un hospital. Je ne veux point estre obligé d'aimer des monstres parce que je les auray faicts, et quand je serois asseuré de ne faillir pas en cela, je me passeray bien d'avoir des enfants qui desireront ma mort s'ils sont meschants, qui l'attendront s'ils sont sages, et qui y songeront quelquefois, encore qu'ils soient les plus gens de bien du monde 1. » Ainsi Balzac ne trouve à dire au mariage que la femme et les enfants; c'est plus qu'il ne fallait pour s'en dispenser. Certes ces grossiers sentiments sont exprimés avec art, mais leur bassesse n'en est que plus repoussante. Je ne suis guère édifié non plus de la délicatesse de Balzac en amour, ni de sa galanterie; il est guindé et gourmé dans l'expression des sentiments tendres; il est cruel dans ses railleries sur le plus grand malheur des femmes, le vieillir. N'y a-t-il pas de l'inhumanité dans ce trait, d'ail

1 Euvres de Balzac, liv. 11, lett. xII, p. 453.

leurs piquant, contre une coquette qui faisait mine de tourner à la dévotion : « Elle est aussi eloignée de sa conversion que de la jeunesse. » Balzac se complaît à désenchanter la jeunesse et la beauté sur leurs illusions; il aime à les poursuivre par la perspective et même par la peinture de la laideur : « Vostre front, dit-il à Clorinde, s'estendra jusqu'au haut de vostre teste, les joues vous tomberont sous le menton, et vos yeux de ce temps-là seront de la couleur de vostre bouche à ceste heure 1. » Le malheureux! il ne croit pas qu'une femme puisse devenir vieille et rester belle. Maynard lui donne un juste démenti dans ces vers que nous lui opposons :

Ce n'est pas d'aujourd'huy que je suis ta conqueste;
Huit lustres ont suivy le jour que tu me pris,

Et j'ay fidellement aymé ta belle teste,

Sous des cheveux chasteins et sous des cheveux gris 2.

Passons à d'autres idées. Il est bon sans doute de ne pas encourager les esprits à la turbulence; mais faut-il professer avec l'idolâtrie du passé l'aveugle obéissance à toute autorité et dire servilement : « Nous ne sommes pas venus au monde pour faire des loix, mais pour obeïr à celles que nous avons trouvées et nous contenter de la sagesse de nos peres comme de leur terre et de leur soleil 3. » A ce compte le genre humain aurait été coupable de ne pas s'en

1 Euvres de Balzac, liv. 11, lett. xx, p. 491.

2 Euvres de M. Maynard, p. 258.

3 Euvres de Balzac, liv. 11, lett. vii, p. 407.

gourdir dans la barbarie, et il aurait aggravé cette première faute en ne s'arrêtant pas au régime féodal; et notre soleil aurait dû continuer de tourner autour de la terre immobile! Heureusement il ne dépendait pas de Balzac et de ses pareils d'arrêter le mouvement de la terre ni la marche de l'humanité. Sans doute encore il convient de maintenir la raison humaine dans ses limites; mais n'est-il pas disposé à sacrifier jusqu'à ses droits, celui qui s'exprime ainsi : « J'aime bien mieux cette raison prisonniere de la foi et sacrifiée par l'humilité, cette raison abattue et endormie, voire mesme morte et enterrée aux pieds des autels; que cette autre raison juge de la foy, animée d'orgueil et de vanité; si vive et si remuante dans les escoles; qui fait tant la maistresse et la souveraine; qui ne parle que de regner et de vaincre partout où elle est1.>> Un sujet dévoué, un chrétien sincère, ne parleraient pas ainsi Balzac exige plus de sacrifices que n'en demandent réellement la fidélité et la foi; il manque de mesure parce qu'il n'a pas une ferme conviction. Sans doute il se rappelait et il voulait faire oublier ou du moins expier certain pamphlet de sa jeunesse, publié en Hollande, entaché de républicanisme et même d'hérésie.

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L'intelligence de Balzac est capable de grandes idées; mais on voit, par la manière dont il les exprime, qu'elles ébranlent plus son imagination qu'elles n'émeuvent son âme. Ainsi, la puissance du Christ

1 Socrate chrestien, édit. princeps, 1 vol. in-12, Augustin Courbé, 1652, discours sixième, p. 106.

enfant lui suggère des images saisissantes, mais pas un sentiment: « Une estable, une creche, un boeuf et un asne. Quel palais, bon Dieu, et quel equipage! Cela ne s'appelle pas naistre dans la pourpre et il n'y a rien icy qui sente la grandeur de l'empire de Constantinople. Ne soyons pas honteux de l'objet de nostre adoration: nous adorons un enfant; mais cet enfant. est plus ancien que le temps. Il se trouva à la naissance des choses; il eut part à la structure de l'univers; et rien ne fut fait sans luy, depuis le premier trait de l'ébauchement d'un si grand dessein jusqu'à la derniere piece de sa fabrique. Cet enfant fit taire les oracles avant qu'il commençast à parler. Il ferma la bouche aux demons estant encore dans les bras de sa mere. Son berceau a esté fatal aux temples et aux autels; a esbranlé les fondements de l'idolatrie; a renversé le throsne du prince du monde. Cet homme promis à la nature, demandé par les prophetes, attendu des nations, cet homme enfin, descendu du ciel, a chassé, a exterminé les dieux de la terre1. » Voilà, certes, un tableau savamment tracé et qui frappe l'imagination; mais comment se fait-il que, parmi ces traits de grandeur, il n'y en ait pas un seul qui soit touchant? Saint Bernard, en présence du même contraste de l'enfance et de la toute-puissance, s'en montre autrement ému et ne permet pas de douter qu'il aime et les hommes, et le Sauveur des hommes, et sa divine mère : « Le voilà enfant et sans voix ; et si ses vagissements doivent inspirer la crainte, Ô

1 Socrate chrestien, discours premier, p. 4.

homme! ce n'est pas à toi : il s'est fait tout petit, et la Vierge sa mère enveloppe de langes ses membres délicats, et tu trembles encore de frayeur! Mais tu vas savoir qu'il ne vient pas pour te perdre, mais pour te sauver; non pour t'enchaîner, mais pour t'affranchir; car il combat déjà contre tes ennemis. Par la vertu et la sagesse de Dieu, il met le pied sur le cou des grands et des superbes'. » Voilà bien l'orateur chrétien, le croyant ému, et non l'habile maître de rhétorique qui a trouvé une occasion d'antithèses dans un contraste, et qui y déploie, non sans pédantisme, toutes les ressources de son art.

Il ne faut pas que le caractère de Balzac, qui nous déplait, nous aveugle sur les beautés que renferment quelques-uns de ses ouvrages. Voici, par exemple, sur les premières conquêtes du christianisme, une page qui nous paraît irréprochable : « Cette republique naissante s'est multipliée par la chasteté et par la mort; bien que ce soit deux choses stériles et contraires au dessein de multiplier. Ce peuple choisi s'est accru par les pertes et par les deffaites: il a combattu, il a vaincu estant desarmé. Le monde en apparence avoit ruiné l'Eglise : mais elle a accablé le monde sous ses ruines. La force des tyrans s'est rendue au courage des condamnez. La patience de nos peres a lassé toutes les mains, toutes les machines, toutes les inventions de la cruauté 2. » Ici les défauts

1 Euvres de saint Bernard, in Nativ. Dom., serm. 1, t. III, édit. Gaume, 1839, p. 1745, 1re col.

2 Socrate chrestien, discours troisième, p. 33.

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