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Voici une autre comparaison de Gustave-Adolphe à la foudre, également concise, également poétique :

Il mourra glorieux, de noble sang noyé,

Comme un foudre s'esteint quand il a foudroyé 1.

Ailleurs Scudery saura peindre en quelques traits bien choisis le contraste du calme des eaux dans une rade et de l'agitation des flots du dehors:

En un lieu retiré solitaire et paisible

La mer laisse dormir sa colere terrible,

Et sous deux grands rochers qui la couvrent des vents,
Elle abaisse l'orgueil des flots toujours mouvants 2,

Tout le monde connaît ces deux vers tirés de la description des enfers :

Et ce mélange affreux, qu'accompagne un grand bruit,
Luit eternellement dans l'eternelle nuit 3.

J'apporterai pour les curieux un autre exemple plus surprenant encore, et qui nous montre Scudery devançant Racine dans des vers d'une simplicité sublime. On trouve, en effet, au dixième chant d'Alaric, ce passage sur Christine; elle saura, dit ie poëte,

Que la crainte de Dieu commence la sagesse ;
Et comme la sagesse est le souverain bien,
Elle craindra le ciel et ne craindra plus rien *.

Alaric, liv. X, p. 393.

2 Ibid., liv. V, p. 171. 3 Ibid., liv. VI, p. 210. 4 Ibid., liv. X, p. 396.

Voilà Scudery par miracle égal à Racine. Un jour il s'est élevé au niveau de Corneille, ce qui valait mieux que de l'injurier. C'est lorsqu'il a mis ces beaux vers dans la bouche de Brutus :

Mais Cæsar est injuste en nous voulant oster
Ce que tous les thresors ne sçauroient acheter:
D'egal il se fait maistre, et Rome enfin trompée,
Voit bien que c'est pour lui qu'elle a vaincu Pompée;
Que c'estoient deux rivaux egalement espris
Qui faisoient un combat dont elle estoit le prix,
Qu'ils avoient mesme but et vouloient entreprendre
D'oster la liberté, feignant de la deffendre:

De sorte qu'en leur gain nous ne pouvions gagner,
Puisqu'ils avoient tous deux le dessein de regner,
Et que de quelque part qu'eust penché la balance,
Rome devoit souffrir la mesme violence'.

Dans la même scène se trouvent encore deux vers
que Corneille n'aurait pas désavoués. Ils expriment
avec concision un des grands secrets de la politique :
L'or dont il est prodigue establit son pouvoir,
Et sa main donne tout afin de tout avoir 2.

Celui qui pouvait, même accidentellement, écrire ainsi est inexcusable d'avoir fait tant de vers détestables, et c'est justice que son nom ait été préservé de l'oubli par la satire pour qualifier plaisamment les écrivains outrecuidants qui inondent le monde de leurs ouvrages, et qui, toujours satisfaits d'euxmêmes, offensent cruellement les gens de goût. Scu

1 La Mort de Cæsar, seconde édition, Augustin Courbé, acte I, sc. 1, p. 2.

1657,

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2 Ibid., p. 6.

dery, à tout prendre, homme de cœur et de talent, joué de malheur. Né brave, il a passé pour fanfaron; né poëte, il s'est fait mettre au rang des rimeurs.

Si nous nous sommes arrêté quelque temps devant Chapelain et Scudery, parce qu'ils ont dans le ridicule une physionomie distincte, nous ne dirons qu'un mot de quelques écrivains médiocres qui ont également échoué dans l'épopée. Le Moïse sauvé de SaintAmant, que Chapelain loue beaucoup comme «< peinture parlante, » contient en effet un grand nombre de descriptions dont quelques-unes ne sont pas sans mérite; mais le poëte ignore l'art de choisir les détails, et il passe sans scrupule de la noblesse à la trivialité; il n'est pas plus heureux dans le choix des mots, de sorte que son idylle biblique ou héroïque, qui d'ailleurs ne se compose guère que d'épisodes cousus sans art, présente tous les genres de disparates et de dissonances. Cependant Saint-Amant n'était pas sans mérite, et dans ses vers de cabaret il a une vigueur et un entrain, une propriété d'expressions qui font de lui un des modèles du genre. Il était ignorant, et se vantait de son ignorance comme de son goût pour la bonne chère; mais il ne manquait pas d'esprit, et on jugerait mal son talent et sa destinée si on s'en rapportait au portrait de fantaisie que Boileau a tracé. Desmarets de Saint-Sorlin, qui fut de son temps un personnage haut placé et en faveur auprès de Richelieu, collaborateur tragique du cardinal ministre, a fait, sous le titre de Clovis, poëme épique, un roman insipide en vers détestables. Il méprisait Homère, à bon droit, puisqu'il

s'admirait lui-même. Ce fut le premier adversaire des anciens. Ce poëte bizarre s'imagina que Dieu lui avait dicté les derniers chants de son poëme, tant il les avait écrits avec facilité. Il prit sa manie pour une inspiration divine. Avant de devenir visionnaire luimême, Desmarets avait pris à partie quelques singularités de cette maladie mentale dans une comédie qui fut fort applaudie : caricature à la vérité assez amusante, où les vers ont un tour facile, mais qui serait complétement oubliée si Molière n'en eût tiré le caractère de Bélise pour ses Femmes savantes et quatre vers qui se retrouvent presque textuellement dans la scène de Vadius et de Trissotin'. Il paraît que Desmarets finit par se croire prophète, et il est

1 L'imitation est flagrante. Voici d'abord les vers de Desmarets:

FILIDAN. Beauté, si tu pouvais savoir tous mes travaux !
AMIDOR. Siècle, si tu pouvais savoir ce que je vaux !
FILIDAN. J'aurais en son amour une place authentique.
AMIDOR. J'aurais une statue en la place publique.

(Les Visionnaires, acte IV, sc. iv.)

On connaît ceux de Molière :

TRISSOTIN. Si la France pouvait connaître votre prix,
VADIUS. Si le siècle rendait justice aux beaux esprits,
TRISSOTIN. En carrosse doré vous iriez par les rues.
VADIUS.

On verrait le public vous dresser des statues.
(Femmes savantes, acte III, sc. v.)

Ce curieux rapprochement nous montre d'une manière frappante comment Molière reprenait son bien. Il lui suffit ici, pour dépouiller Desmarets, de substituer un échange de flatteries à un duo de vanités. Filidan et Amidor se louent eux-mêmes, ce qui est primitif et maladroit; plus habiles l'un et l'autre, et non moins naturels, Trissotin loue Vadius, et Vadius Trissotin. En outre, les vers de Molière coulent de source.

certain que ce méchant écrivain porta l'animosité jusqu'à la fureur dans ses pamphlets antijansénistes, qui lui attirèrent de la part de Nicole une verte réplique épistolaire qui a pour titre, comme sa comédie, les Visionnaires.

Le Saint Louis du père Le Moyne, que Boileau a épargné, conserve encore quelques admirateurs sur la foi d'un passage souvent cité et véritablement poétique sur les tombeaux des rois d'Égypte. C'est là que le poëte nous montre ces ombres royales qui, encore éclatantes et riches,

Semblent perpétuer, malgré les lois du sort,
La pompe de leur vie en celle de leur mort.

Il ajoute en vers admirables:

De ce muet senat, de cette cour terrible,
Le silence epouvante et la face est horrible :
Là sont les devanciers joints à leurs descendants;
Tous les regnes y sont; on y voit tous les temps;
Et cette antiquité, ces siecles dont l'histoire
N'a pu sauver qu'à peine une obscure memoire,
Réunis par la mort, en cette sombre nuit,

Y sont sans mouvement, sans lumière, et sans bruit 1.

Mais il n'en est pas moins vrai que cette épopée, qui dénature par une fable romanesque un sujet vraiment héroïque, est mortellement ennuyeuse. Le père Le Moyne est un bel esprit prétentieux qui rencontre rarement la grandeur, qui gâte des sentiments vrais

1 Les Euvres poétiques du P. Le Moyne, 1 vol. in-fol., 1672. Saint Louis, ou la Sainte Couronne reconquise, liv. V, p. 58.

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