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Nous avons promis quelques beaux passages de la Pucelle, et, en effet,

Il en est jusqu'à trois que l'on pourrait citer 1.

Les vers sur Dieu touchent au sublime, le sujet élève le poëte, et ce morceau de théologie chrétienne est vraiment poétique. Rien n'est plus imposant que le

début :

Loin des murs flamboyants qui renferment le monde,
Dans le centre caché d'une clarté profonde,

Dieu

repose en lui-même, et vêtu de splendeur, Saus bornes, est rempli de sa propre grandeur 2.

Ces images, où l'éclat laisse subsister l'obscurité, représentent noblement l'impénétrable mystère de la puissance infinie. La suite du morceau n'est pas indigne du commencement. Il faut aussi louer la marche de l'armée de Charles VII, à laquelle Jeanne d'Arc a donné l'élan de son héroïsme, et qu'elle emporte vers les murs de Reims, où le roi doit être sacré :

1

Tout marche, et le soldat en son ardeur extrême
Rapidement vers Reims se porte de lui-mesme :
On voit, comme à l'envi, les drapeaux ondoyans
Vers la sainte cité d'eux-mesmes se ployans;
Le cri des bataillons imite le tonnerre,
Leurs pas, plus sourdement, font résonner la terre :
La poussière se lève et compose une nuit

Qui du camp disparu ne laisse que le bruit 3.

Boileau, Satire sur les femmes.

* La Pucelle, liv. I, p. 16.

3 Ibid., liv. VI, p. 253.

On connaît la comparaison de Talbot, en danger de mort et décidé à mourir héroïquement, avec un lion d'Afrique entouré de chasseurs. Le roi des forêts se résout à la mort qu'il ne peut éviter :

Il y va sans faiblesse, il y va sans effroi,
Et la devant souffrir, la veut souffrir en roi'.

On peut encore tirer de l'ode qui commença le renom poétique de Chapelain cette image de Richelieu insensible aux injures qui lui viennent d'en bas, et s'élevant toujours plus radieux, à travers les vapeurs soulevées par la haine :

Dans un paisible mouvement

Tu t'élèves au firmament,

Et laisses contre toi murmurer sur la terre:
Ainsi le haut Olympe à son pied sablonneux
Laisse fumer la foudre et gronder le tonnerre
Et garde son sommet tranquille et lumineux 2.

Ce sont là, sans contredit, de beaux vers: mais qu'on ne se laisse pas prendre à ces amorces; car si l'on essayait, à travers les douze chants publiés et les douze chants inédits de la Pucelle, un voyage de découvertes, harassé au retour et cruellement déçu, on redirait après Boileau :

Maudit soit l'auteur dur dont l'âpre et rude verve
Son cerveau tenaillant rima malgré Minerve.

1 La Pucelle, liv. V, p. 162.

2 Recueil des plus belles pièces des Poëtes français depuis Villon jusqu'à Benserade, 1752, t. IV, p. 186. Fontenelle

est l'auteur de ce recueil.

Chapelain demeure le type de ces esprits durs et patients qui s'opiniâtrent contre la nature sans parvenir à la vaincre. La satire de Boileau l'éternise à bon droit comme symbole de la dureté.

Le même burin a gravé, pour représenter à jamais le ridicule opposé, la figure de Scudery:

Bienheureux Scudery, dont la fertile plume

Peut sans

peine en un mois enfanter un volume!

Les avortements faciles de celui-ci ne sont pas moins déplorables que les laborieux enfantements de celuilà, et on les raille avec moins de scrupule. Ces œuvres ont coûté si peu ! et l'auteur s'en est si largement payé par le plaisir qu'il trouvait à les contempler ! D'ailleurs le ridicule dont on l'enveloppe ne pénètre pas jusqu'à lui à travers la cuirasse de vanité qui le protége. Scudery représente dans les lettres toute une race d'écrivains prédestinés au bonheur, et qui vivent sous un charme que rien ne peut détruire; la surabondance et l'activité du sang leur donne à chaque instant de la vie le sentiment de la force et de la plénitude de leur existence. Il n'y a pour eux ni malaise, ni doute, ni découragement, ni amertume. Tout ce qu'enfante leur esprit, et il enfante beaucoup, grâce au rapide mouvement des esprits animaux, les charme et les transporte; et si vous essayez de les désabuser, vous les trouverez à l'épreuve des éloges ironiques qu'ils prendront au sérieux, et de la censure directe qui leur paraîtra un pur effet d'ignorance ou de jalousie. Scudery n'a jamais douté de sa supériorité : il était sincère lorsqu'il dépréciait Corneille,

et il prenait loyalement en pitié le public assez aveugle pour préférer le Cid à Lygdamon et à l'Amour tyrannique.

C'est dans ces sentiments d'imperturbable confiance en son génie que Scudery, après avoir fait applaudir, à côté des chefs-d'œuvre de Corneille, ses faibles improvisations tragiques, entreprit de chanter «<le vainqueur des vainqueurs de la terre. » Cet Alaric composé en l'honneur de Christine, reine de Suède, comme Chapelain avait fabriqué la Pucelle à l'intention du duc de Longueville, descendant de Dunois, est, comme toutes les œuvres de Scudery, une ébauche négligée où l'on rencontre, plus souvent qu'on ne croit, des traits heureux, à côté de monstrueuses platitudes. Dégageons de ce mélange ce qu'il y a de pire et de meilleur, en laissant aux intrépides le soin de chercher ce qui remplit l'intervalle de ces extrémités. On ne trouvera rien de plus plat que les vers que nous allons citer, et il est vrai qu'ils atteignent la limite du genre :

La belle a dans les yeux du feu, de la colere,
Du depit, de l'orgueil, de la douleur amere,
De la honte qui vient du sentiment qu'elle a,
Et pourtant de l'amour plus que de tout cela '.

C'est sans doute la même princesse qui fait la manoeuvre suivante :

Trois fois pour l'embrasser cette belle courut,
Et toutes les trois fois cette belle ne put 2.

1 Alaric, ou Rome vaincue, 1 vol. in-fol., Augustin Courbé,

1654,

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liv. III, p. 84.

2 Ibid., liv. VI, p. 232.

Mais il faut reconnaître qu'elle était bien assortie à l'objet de ses vœux, car, de son côté :

Par trois fois cet amant voulut ouvrir la bouche,
Et trois fois on le vit muet comme une souche 1.

On lit ailleurs :

Craignons tout, craignons tout, nous avons tout à craindre. Plaignons-nous, plaignons-nous, car nous sommes à plaindre 2.

Après de tels vers, il semble qu'il n'y ait qu'à désespérer, et cependant le même poëme nous fournira quelques traits que les meilleurs poëtes ne désavoueraient pas. On sait que l'inexorable juge de Scudery, Boileau, aimait à citer le début du dixième

chant:

Il n'est rien de si doux pour des cœurs pleins de gloire
Que la paisible nuit qui suit une victoire :

Dormir sur un trophée est un charmant repos,
Et le champ de bataille est le lict d'un héros".

Il aurait pu mettre encore dans sa mémoire cette comparaison entre Alaric recevant sans orgueil les

hommages des peuples et l'Océan que le tribut de tant de fleuves ne trouble pas dans son calme majestueux :

Comme on voit l'Ocean recevoir cent rivieres
Sans estre plus enflé ni ses ondes plus fieres ".

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