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La Parque egalement sous la tombe nous serre,
Et les mieux establis au repos de la terre
N'y sont qu'hostes et passagers.

Tout ce que la grandeur a de vains equipages,
D'habillements de pourpre et de suites de pages,
Quand le terme est eschu, n'allonge point nos jours.
Il faut aller tout nus où le destin commande;
Et de toutes douleurs, la douleur la plus grande,
C'est qu'il faut quitter nos amours '.

On a bien souvent, avant et depuis Malherbe, essayé de reproduire le charme attendrissant de la strophe d'Horace Linquenda tellus et cette harmonie gémissante du poëte latin; mais personne n'en a plus approché que ne l'a fait dans ces admirables stances le père de notre poésie. Après de pareilles inspirations, on comprend que Malherbe, en se comparant à ceux qui l'entouraient, ait eu quelques transports d'orgueil et qu'il ait promis l'immortalité à ses vers et à ceux qu'ils célébraient. Qui donc lui ferait un crime d'avoir prophétisé en beaux vers, lorsqu'il disait :

Les ouvrages communs vivent quelques années,
Ce que Malherbe escrit dure eternellement 2.

Ou encore :

Apollon, à portes ouvertes,

Laisse indifferemment cueillir
Les belles feuilles toujours vertes
Qui gardent les noms de vieillir;

1 Poésies de Malherbe, liv. I, p. 56 et 57. 2 Id., ibid., 1. III, p. 250.

Mais l'art d'en faire des couronnes
N'est pas su de toutes personnes,
Et trois ou quatre seulement,
Au nombre desquels on me range,
Peuvent donner une louange

Qui demeure eternellement 1.

Malherbe fut chef d'école. Il en eut les avantages et les inconvénients, c'est-à-dire de fervents admirateurs et des adversaires déclarés. Il accepta les louanges, qui jamais ne lui parurent exagérées, et il ne s'émut pas des critiques. En vain mademoiselle de Gournay réclama pour Ronsard; en vain Regnier, prenant en main la même cause, osa-t-il accuser le sévère réformateur d'être de ceux de qui

Le savoir ne s'estend nullement

Qu'à regratter un mot douteux au jugement 2.

et de ne faire autre chose

Que proser de la rime et rimer de la prose,
Que l'art lime et relime, et polit de façon
Qu'elle rend à l'oreille un agreable son 3.

Malherbe laissa dire et ne crut qu'à sa gloire et à la nécessité de la réforme qu'il avait accomplie. Pour en assurer la durée, il fut même pédagogue; il forma directement par des leçons orales plusieurs disciples auxquels ils n'épargnait ni les conseils sévères ni les réprimandes. Il tenait sa classe dans une petite

1 Poésies de Malherbe, liv. III, p. 171.

2 Regnier, sat. IX, v. 55.

3 Id., ibid., v. 74.

chambre de l'hôtel du duc de Bellegarde où il demeurait, vrai logis de poëte, à peine meublé ; c'est là e; qu'on passait à l'étamine les œuvres des illustres dont la gloire était importune, qu'on biffait tout Ronsard, que l'on commentait outrageusement Desportes et Bertaut, que « le grammairien en lunettes, »> comme a dit Balzac, « dogmatisait de l'usage et de la vertu des particules, » qu'il « traitait l'affaire des gérondifs et des participes comme si c'était celle de deux peuples voisins l'un de l'autre, jaloux de leurs frontières; c'est là sans doute « que la mort l'attrapa sur l'arrondissement d'une période. » Les plus dociles et les plus distingués de ces écoliers étaient le marquis de Racan et le président Maynard. Racan surtout mérite qu'on s'arrête à ses œuvres; sa réputation se fonde sur des titres légitimes, son nom n'est point destiné à périr, et bon nombre de ses vers ornent encore la mémoire des connaisseurs.

Boileau s'est permis, contre son habitude, une hyperbole de louange en faveur de Racan, lorsqu'il a dit:

Racan pourrait chanter au défaut d'un Homère 1.

Si La Fontaine ne le rapproche pas d'Homère, il ne le sépare point de Malherbe et il n'y met aucune différence :

Ces deux rivaux d'Horace, héritiers de sa lyre,
Disciples d'Apollon, nos maîtres, pour mieux dire 2

1 Boileau, sat. ix, v. 44.

2 La Fontaine, liv. III, fab. 1, v. 9.

et ailleurs :

Malherbe avec Racan parmi les chœurs des anges,
Là-haut de l'Éternel célébrant les louanges,
Ont emporté leur lyre 1.

La vérité, c'est que Racan est un poëte, mais un poëte nonchalant; Malherbe n'a jamais pu obtenir de cet heureux génie qu'il se soumît aux rigueurs du travail, qu'il employât la lime pour polir les vers qui coulaient de sa veine: Racan était un rêveur, incapable d'attention soutenue et de forte méditation; il a su voir et aimer la nature, il a peu connu et il n'a pas étudié les hommes. Lorsqu'il a voulu aborder la pastorale dramatique, il n'a pu ni inventer un caractère, ni combiner un plan. Ses Bergeries, dont l'idée lui fut suggérée par la vogue de l'Astrée et par l'ambition de réussir au théâtre, n'ont pas, il s'en faut de beaucoup, cette convenance idéale qui tient lieu de vérité dans ce monde d'Amadis à houlettes et à rubans complété par Honoré d'Urfé sur les données de l'Aminte du Tasse. L'analogie dans une fiction, même sans vraisemblance, produit une espèce d'illusion pour le cœur et pour l'imagination qui peuvent s'y laisser prendre; mais lorsque cette analogie fait défaut, comme dans le drame pastoral de Racan, le cœur ne s'engage pas, car le poëte n'étale qu'un spectacle pour les yeux, et ne peut donner à l'esprit, par le charme de style et l'expression de quelques sentiments vrais, qu'un plaisir littéraire.

1 La Fontaine, Épître à Huet, v. 93.

Nous devons au moins constater ici l'immense succès et l'influence de l'Astrée, quoiqu'on ne parle plus guère de cette œuvre longtemps estimée que pour s'en moquer, et il est vrai que cela est plus facile que de la lire. En effet, nous avons perdu le goût de ces sentiments délicats dont l'extrême retenue et les scrupules nous semblent de la fadeur. Il faudrait aussi bien des loisirs pour achever la lecture d'un livre dont la composition a occupé la vie entière d'Honoré d'Urfé, qui encore a légué à son secrétaire Baro le soin d'en écrire les derniers volumes. N'oublions pas cependant que La Fontaine, malgré la peur que lui causaient les longs ouvrages, faisait de l' Astrée ses plus chères délices. Il aimait à vivre par l'imagination dans ce monde idéal où la campagne est toujours fleurie, où les ruisseaux murmurent si agréablement, où les bergères ont des visages si gracieux et les bergers un langage si poli. Il entretenait ainsi ses douces rêveries. Le sévère Boileau, tout en blåmant la morale de l'Astrée, qu'il trouve «fort vicieuse, puisqu'elle ne prêche que l'amour et la mollesse, » avoue en même temps que d'Urfé a soutenu l'intérêt de sa longue pastorale « par une narration également vive et fleurie, par des fictions très-ingénieuses, et par des caractères aussi finement imaginés qu'agréablement variés et bien suivis. » La passion de La Fontaine pour l'Astrée et ce jugement de Boileau suffisent pour protéger l'œuvre de d'Urfé, non pas contre l'abandon, car l'indifférence a une force d'inertie qui est invincible, mais contre le mépris. Sans doute les bords du Lignon sont dépouillés sans retour

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