La Discorde aux crins de couleuvres, Ne finit ses tragiques œuvres C'est en la paix que toutes choses Comme au printemps naissent les roses, En la paix naissent les plaisirs; Elle met les pompes aux villes, Donne aux champs les moissons fertiles, Appuyant les pouvoirs supremes, Fait demeurer les diademes Fermes sur la teste des rois1. Nous voyons dans ces traits, avec le génie de Malherbe, sa pensée d'homme et de citoyen. Le souvenir des guerres civiles lui pèse cette image ne s'efface pas de sa mémoire ; il craint de revoir ce qu'il a déjà trop vu d'une fois. C'est ce qui lui fait dire : Un malheur inconnu glisse parmi les hommes, 1 Poésies de François Malherbe, liv. III, p. 168 et 169. 2 Ibid., liv. II, p. 68. Pour prévenir ce qu'il redoute, il compte sur la force, et il l'invoque, car c'est l'unique moyen de goûter les douceurs du repos : Tu nous rendras alors nos douces destinées; La moisson de nos champs lassera les faucilles Et les fruits passeront les promesses des fleurs 1. Quelle poésie! André Chénier affirme que nous n'avons pas de plus beaux vers dans notre langue. Ce n'est pas tout: Malherbe a devancé et surpassé Jean-Baptiste Rousseau par quelques strophes imitées du psaume CXLV: la poésie du roi - prophète, desséchée par Marot, amollie par Desportes, que Godeau devait délayer et Racan noyer dans leurs languissantes paraphrases, va paraître ici avec l'éclat de ses images et dans toute la profondeur du sentiment religieux : N'esperons plus, mon ame, aux promesses du monde; En vain, pour satisfaire à nos lasches envies, 1 Poésies de Malherbe, liv. II, p. 71. Ce qu'ils peuvent n'est rien; ils sont ce que nous sommes, Veritablement hommes, Et meurent comme nous. Ont-ils rendu l'esprit, ce n'est plus que poussiere Que cette majesté si pompeuse et si fiere Dont l'esclat orgueilleux eblouit l'univers; Et dans ces grands tombeaux, où leurs ames hautaines Ils sont mangés des vers. Là, se perdent ces noms de maistres de la terre, Tous ceux que la fortune Fesoit leurs serviteurs 1. Ces idées du néant de nos grandeurs et de la vanité de nos plaisirs se retrouvent encore dans des vers de Malherbe, qui, cette fois, s'inspire d'Horace et, dans cette lutte nouvelle, sait toujours être original: L'Orne comme autrefois nous reverroit encore, Esgarer à l'escart nos pas et nos discours; Et couchés sur les fleurs, comme estoiles semées, Mais, ô loi rigoureuse à la race des hommes ! C'est un point arresté que tout ce que nous sommes, 1 Poésies de Malherbe, 1. IV, p. 287. La Parque egalement sous la tombe nous serre, Tout ce que la grandeur a de vains equipages, On a bien souvent, avant et depuis Malherbe, essayé de reproduire le charme attendrissant de la strophe d'Horace Linquenda tellus et cette harmonie gémissante du poëte latin; mais personne n'en a plus approché que ne l'a fait dans ces admirables stances le père de notre poésie. Après de pareilles inspirations, on comprend que Malherbe, en se comparant à ceux qui l'entouraient, ait eu quelques transports d'orgueil et qu'il ait promis l'immortalité à ses vers et à ceux qu'ils célébraient. Qui donc lui ferait un crime d'avoir prophétisé en beaux vers, lorsqu'il disait : Les ouvrages communs vivent quelques années, Ou encore : Apollon, à portes ouvertes, Laisse indifferemment cueillir 1 Poésies de Malherbe, liv. I, p. 56 et 57. 2 Id., ibid., 1. III, p. 250. Mais l'art d'en faire des couronnes Qui demeure eternellement 1. Malherbe fut chef d'école. Il en eut les avantages et les inconvénients, c'est-à-dire de fervents admirateurs et des adversaires déclarés. Il accepta les louanges, qui jamais ne lui parurent exagérées, et il ne s'émut pas des critiques. En vain mademoiselle de Gournay réclama pour Ronsard; en vain Regnier, prenant en main la même cause, osa-t-il accuser le sévère réformateur d'être de ceux de qui Le savoir ne s'estend nullement Qu'à regratter un mot douteux au jugement 2. et de ne faire autre chose Que proser de la rime et rimer de la prose, Malherbe laissa dire et ne crut qu'à sa gloire et à la nécessité de la réforme qu'il avait accomplie. Pour en assurer la durée, il fut même pédagogue; il forma directement par des leçons orales plusieurs disciples auxquels ils n'épargnait ni les conseils sévères ni les réprimandes. Il tenait sa classe dans une petite 1 Poésies de Malherbe, liv. III, p. 171. 2 Regnier, sat. ix, v. 55. 3 Id., ibid., v. 74. |