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nature, pour eux, se borne à l'ŒEil-de-bœuf. La faveur, la disgrâce, le lever, le débotter, voilà les phénomènes. Tout roule là-dessus. Demandez-leur la cause du retour des saisons, du flux de l'Océan, du mouvement des sphères; c'est le petit coucher. Ainsi M. Decazes, absorbé tout entier dans la contemplation de l'étiquette, des présentations, du tabouret, des préséances, ne nous méprise pas, à proprement parler, il nous ignore.

Mais soit, je veux, pour vous satisfaire, qu'il ait dit sa pensée, comme un homme du commun, naïvement, sans détour, ainsi qu'il eût pu faire avant d'être ce qu'il est; qu'enfin il nous méprise dans le vrai sens du mot, ayant pour nous ce dédain qu'à sa place montrèrent pour la gent gouvernée Mazarin, Bonaparte, Alberoni, Dubois; je lui pardonne encore, et comme moi, Monsieur, vous lui pardonnerez, si vous faites attention à ce que je vais vous dire. On juge par ce qu'on voit de ce qu'on ne voit pas; du tout par la partie que l'on a sous les yeux. Faiblesse de nos sens et de l'entendement humain! on juge d'une nation, d'une génération, de tous les hommes par ceux avec qui l'on déjeune; et ce voyageur disait, apercevant l'hôtesse: Les femmes ici sont rousses. Ainsi fait M. Decazes, ainsi faisons-nous tous. Cette nation qu'il méprise, nous l'estimons; pourquoi? c'est qu'à nos yeux s'offrent des gens dont la vie tout entière s'emploie à des choses louables, et de qui l'existence est fondée sur le travail, père des bonnes mœurs, la foi dans les contrats, la confiance publique, l'observation des lois. Je vois des laboureurs aux champs dès le matin, des mères occupées du soin de leur famille, des enfants qui apprennent les travaux de leur père, et je dis (supposant qu'ils jeûnent le carême): Il y a d'honnêtes gens. Vous voyez à la ville des savants, des artistes, l'honneur de leur patrie, de riches fabricants, d'habiles artisans, dont l'industrie chez nous, secondée par la nature, lutte contre les taxes et les encouragements; une jeunesse passionnée pour tous les genres d'étude et de belles connaissances, instruite, non par ses docteurs, de ce qui importe le plus à l'homme de savoir, et mieux inspirée qu'enseignée sur le véritable devoir : vous n'avez garde, je crois, de mal penser des Français, de mépriser cette nation, la connaissant par là. Mais le comte Decazes, par où nous connaît-il? et que voit-il? la cour.

Mazarin, étant roi, disait familièrement aux grands qui l'entouraient : « Affe (dans son langage demi-trasteverin), vous m'aviez bien trompé, signori Francesi), avant que j'eusse l'honneur de

vous voir comme je fais. Que je sois impiso, si je me doutai d'abord de votre caractère. Je vous trouvais un air de fierté, de courage, de générosité. Non, je ne plaisante point; je vous croyais du cœur. Je m'en souviens très-bien, quoiqu'il y ait longtemps. » Ceci est dit notable, et vient à mon propos. Jules Mazarini, arrivant de son pays avec peu d'équipage et petit compagnon, estime les Français, parce qu'il voit la nation; devenu cardinal, ministre, il les méprise, parce qu'il voit la cour, et cependant la cour alors était polie. Je ne la vois pas, moi, de ma vie je ne l'ai vue, ni ne la verrai, j'espère; mais j'en ai ouï parler à des gens instruits. Les témoignages s'accordent, et, par tous ces rapports, autant que par calcul, méthode géodésique et trigonométrique, je suis parvenu, Monsieur, à connaître la cour mieux que ceux qui n'en bougent; comme on dit que d'Anville, n'étant jamais sorti, je crois, de son cabinet, connaissait mieux l'Égypte que pas un Égyptien; et d'abord je vous dirai, ce qui va vous surprendre, et que je pense avoir le premier reconnu la cour est un lieu bas, fort bas, fort au-dessous du niveau de la nation. Si le contraire paraît, si chaque courtisan se croit, par sa place, et semble élevé plus ou moins, c'est erreur de la vue, ce qu'on nomme proprement illusion optique, aisée à démontrer : soit A le point où se trouve M. Decazes à cette heure (haut selon l'apparence, comme serait un cerf-volant dont le fil répondrait aux Tuileries, à Londres ou à Vienne, peu importe), B le point le plus bas appelé point de chute, où gît M. Benoît avec l'abbé de Pure, entendez bien ceci, car le reste en dépend : le rayon visuel passant d'un milieu rare et pur, lui où nous vivons, dans un milieu plus dense, l'atmosphère fumeuse et chargée de miasmes de la cour, nécessairement il y a réfraction; ce qui paraît dessus est en effet dessous. Vous comprenez maintenant; ou, s'il vous demeurait quelque difficulté, consultez les savants, le marquis de Laplace, le chevalier Cuvier; ces gentilshommes, à moins qu'ils n'aient oublié toute leur géométrie en apprenant le blason et l'étiquette, vous sauront dire de combien de degrés la cour est audessous de l'horizon national; et remarquez aussi, tout notre argent y va, tout, jusqu'au moindre sou; jamais n'en revient à nous rien. Je vous le demande, notre argent, chose pesante de soi, tendante en bas! M Decazes, quelque adroit et soigneux qu'on le suppose de tirer à soi tout, saurait-il si bien faire qu'il ne lui en échappe entre les doigts quelque peu, qui, par son seul poids,

ce

nous reviendrait naturellement si nous étions audessous? telle chose jamais n'arrive, jamais n'est arrivée. Tout s'écoule, s'en va toujours de nous à lui: donc il y a une pente; donc nous sommes en haut, M. Decazes en bas, conséquence bien claire; et la cour est un trou, non un sommet, comme il paraît aux yeux du stupide vulgaire. Ne sait-on pas d'ailleurs que c'est un lieu fangeux, où la vertu respire un air empoisonné, comme dit le poëte, et aussi ne demeure guère. Ce qui s'y passe est connu; on y dispute des prix de différentes sortes et valeurs dont le total s'élève chaque année à plus de huit cents millions. Voilà de quoi exciter l'émulation sans doute; et l'objet de ces prix anciennement fondés, depuis peu renouvelés, accrus, multipliés par Napoléon le Grand, c'est de favoriser et de récompenser avec une royale munificence toute espèce de vice, tout genre de corruption. Il y en a pour le mensonge et toutes ses subdivisions, comme flatterie, fourberie, calomnie, imposture, hypocrisie, et le reste. Il y en a pour la bassesse beaucoup et de fort considérables, non moins pour la sottise, l'ineptie, l'ignorance; d'autres pour l'adultère et la prostitution, les plus enviés de tous, dont un seul fait souvent la grandeur d'une famille. Mais pour ceux-là, ce sont les femmes qui concourent; on couronne les maris; du reste, point de faveur, de préférence injuste; la palme est au plus vil, l'honneur au plus rampant, sans distinction de naissance; ainsi le veut la Charte, et le roi l'a jurée. C'est un droit garanti par la constitution, acheté de tout le sang de la révolution; le vilain peut prétendre à vivre et s'enrichir comme le gentilhomme sans industrie, talents, mœurs ni probité, dont la noblesse enrage, et sur cela réclame ses antiques priviléges.

Tout le monde cependant use du droit acquis, comme si on craignait de n'en pas jouir longtemps. Chacun se lance; non à la cour, on se glisse, on s'insinue, on se pousse. Il n'est fils de bonne mère qui n'abandonne tout pour être présenté, faire sa révérence avec l'espoir fondé, si elle est agréée, d'emporter pied ou aile, comme on dit, du budget, et d'avoir part aux grâces. Les grâces à la cour pleuvent soir et matin; et une fois admis, il faudrait être bien brouillé avec le sort, avoir bien peu de souplesse, ou une femme bien sotte, pour ne rien attraper, lorsqu'on est alerte, à l'épreuve des dégoûts, et qu'on ne se rebute pas. Sans humeur, sans honneur; c'est le mot, la devise: Quiconque ne sait pas digérer un affront... Alerte, il le faut être. Bien des gens croient

la cour un pays de fainéants, où, dès qu'on a mis le pied, la fortune vous cherche, les biens viennent en dormant ; erreur. Les courtisans, il est vrai, ne font rien; nulle œuvre; nulle besogne qui paraisse. Toutefois, les forçats ont moins de peine, et le comte de Sainte-Hélène dit que les galères, au prix, sont un lieu de repos. Le laboureur, l'artisan, qui chaque soir prend somme, et répare la nuit les fatigues du jour, voilà de vrais paresseux. Le courtisan jamais ne dort, et l'on a calculé mathématiquement que la moitié des soins perdus dans les antichambres, la moitié des travaux, des efforts, de la constance, nécessaires pour seulement parler à un sot en place, suffirait, employée à des objets utiles, pour décupler en France les produits de l'industrie, et porter tous les arts à un point de perfection dont on n'a nulle idée.

Mais la patience surtout, la patience aux gens de cour, est ce qu'est aux fidèles la charité, tient lieu de tout autre mérite. Monseigneur, j'attendrai, dit l'abbé de Bernis au ministre qui lui criait: Vous n'aurez rien, et le chassait, le poussait dehors par les épaules. J'en sais qui sur cela eussent pris leur parti, cherché quelque moyen de se passer de monseigneur, de vivre par euxmêmes, comme le cocher de fiacre: La cour me blâme, je m'en...; c'est-à-dire : je travaillerai. Ignoble mot, langage de roturier né pour toujours l'être. Le gentilhomme de Louis XVI, noble de race, dit j'attendrai. Le gentilhomme de Bonaparte, noble par grâce, dit j'attendrons. Et tous deux se prennent la main, s'embrassent, amis de cour!

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C'est l'imprimerie qui met le monde à mal. C'est la lettre moulée qui fait qu'on assassine depuis la création; et Caïn lisait les journaux dans le paradis terrestre. Il n'en faut point douter ; les ministres le disent; les ministres ne mentent pas, à la tribune surtout.

Que maudit soit l'auteur de cette damnable invention, et avec lui ceux qui en ont perpétué l'usage, ou qui jamais apprirent aux hommes à se communiquer leurs pensées! pour telles gens l'enfer n'a point de chaudières assez bouillantes. Mais remarquez, Monsieur, le progrès toujours. croissant de perversité. Dans l'état de nature célébré par Jean-Jacques avec tant de raison, l'homme, exempt de tout vice et de la corruption

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des temps où nous vivons, ne parlait point, mais criait, murmurait ou grognait, selon ses affections du moment. Il y avait plaisir alors à gouverner. Point de pamphlets, point de journaux, point de pétitions pour la Charte, point de réclamations sur l'impôt. Heureux âge qui dura trop peu! Bientôt des philosophes, suscités par Satan pour le renversement d'un si bel ordre de choses, avec certains mouvements de la langue et des lèvres, articulèrent des sons, prononcèrent des syllabes. Où étais-tu Séguier? Si on eût réprimé dès le commencement ces coupables excès de l'esprit anarchique, et mis au secret le premier qui s'avisa de dire ba be bi bo bu, le monde était sauvé; l'autel sur le trône, ou le trône sur l'autel, avec le tabernacle, affermis pour jamais, en aucun temps il n'y eût eu de révolutions. Les pensions, les traitements, augmenteraient chaque année. La religion, les mœurs... Ah! que tout irait bien! Nymphes de l'Opéra, vous auriez part encore à la mense abbatiale et au revenu des pauvres. Mais fait-on jamais rien à temps? Faute de mesures préventives, il arriva que les hommes parlèrent, et tout aussitôt commencèrent à médire de l'autorité, qui ne le trouva pas bon, se prétendit outragée, avilie; fit des lois contre les abus de la parole; la liberté de la parole fut suspendue pour trois mille ans, et, en vertu de cette ordonnance, tout esclave qui ouvrait la bouche pour crier sous les coups ou demander du pain, était crucifié, empalé, étranglé, au grand contentement de tous les honnêtes gens. Les choses n'allaient point mal ainsi, et le gouvernement était considéré.

Mais, quand un Phénicien (ce fut, je m'imagine, quelque manufacturier, sans titre, sans naissance) eut enseigné aux hommes à peindre la parole, et fixer par des traits cette voix fugitive, alors commencèrent les inquiétudes vagues de ceux qui se lassaient de travailler pour autrui, et en même temps le dévouement monarchique de ceux qui voulaient à toutes forces qu'on travaillât pour eux. Les premiers mots tracés furent liberté, loi, droit, équité, raison; et dès lors on vit bien que cet art ingénieux tendait directement à rogner les pensions et les appointements. De cette époque datent les soucis des gens en place, des

courtisans.

Ce fut bien pis, quand l'homme de Mayence (aussi peu noble, je le crois, que celui de Sidon) à son tour eut imaginé de serrer entre deux ais la feuille qu'un autre fit de chiffons réduits en páte; tant le démon est habile à tirer parti de tout

pour la perte des âmes! L'Allemand, par tel moyen, multipliant ces traits de figures tracées qu'avait inventées le Phénicien, multiplia d'autant les mots que fait la pensée. O terrible influence de cette race qui ne sert ni Dieu, ni le roi, adonnée aux sciences mondaines, aux viles professions mécaniques! engeance pernicieuse, que ne ferait-elle pas si on la laissait faire, abandonnée sans frein à ce fatal esprit de connaître, d'inventer et de perfectionner! Un ouvrier, un misérable ignoré dans son atelier, de quelques guenilles fait une colle, et de cette colle, du papier qu'un autre rêve de gaufrer avec un peu de noir; et voilà le monde bouleversé, les vieilles monarchies ébranlées, les canonicats en péril. Diabolique industrie! rage de travailler, au lieu de chômer les saints et de faire pénitence! il n'y a de bons que les moines, comme dit M. de Coussergue, la noblesse présentée, et messieurs les laquais. Tout le reste est perverti, tout le reste raisonne, ou bientôt raisonnera. Les petits enfants savent que deux et deux font quatre. O tempora! ó mores!OM. Clauzel de Coussergue, ô Marcassus de Marcellus!

Tant il y a qu'il n'y a plus qu'un moyen de gouverner, surtout depuis qu'un autre émissaire de l'enfer a trouvé cette autre invention de distribuer chaque matin à vingt ou trente mille abonnés une feuille où se lit tout ce que le monde dit et pense, et les projets des gouvernants et les craintes des gouvernés. Si cet abus continuait, que pourrait entreprendre la cour, qui ne fût contrôlé d'avance, examiné, jugé, critiqué, apprécié? Le public se mêlerait de tout, voudrait fourrer dans tout son petit intérêt, compterait avec la trésorerie, surveillerait la haute police, et se moquerait de la diplomatie. La nation enfin ferait marcher le gouvernement, comme un cocher qu'on paye, et qui doit nous mener, non où il veut, ni comme il veut, mais où nous prétendons aller, et par le chemin qui nous convient; chose horrible à penser, contraire au droit divin et aux capitulaires.

Mais comme si c'était peu de toutes ces machinations contre les bonnes mœurs, la grande propriété et les priviléges des hautes classes, voici bien autre chose. On mande de Berlin que le docteur Kirkausen, fameux mathématicien, a depuis peu imaginé de nouveaux caractères, une nouvelle pressé maniable, légère, mobile, portative, à mettre dans la poche, expéditive surtout, et dont l'usage est tel, qu'on écrit comme on parle, aussi vite, aisément : c'est une tachitypie. On peut, dans un salon, sans que personne s'en doute, imprimer tout ce qui se dit, et, sur le lieu même,

théâtre, voyant représenter le Tartufe, disait: Pourquoi donc les dévots haïssent-ils tant cette pièce? il n'y a rien contre la religion. L'autre, non moins naïf, s'étonne, trouve que partout tout est tranquille, et demande de quoi on s'inquiète. Celuilà, certes, n'a point de place, et ne va pas chez les ministres; car il y verrait que le monde (le monde, comme vous savez, ce sont les gens à places), bien loin d'être tranquille, est au contraire fort troublé par l'appréhension du plus grand de tous les désastres, la diminution du budget, dont le monde en effet est menacé, si le gouvernement n'y apporte remède. C'est à éloigner ce fléau que tendent ses soins paternels, bénis de Dieu jusqu'à ce jour. Car, depuis cinq ou six cents ans, le

et de Henri IV, a continuellement augmenté, en raison composée, disent les géomètres, de l'avidité des gens de cour et de la patience des peuples.

tirer à mille exemplaires toute la conversation, à | qu'on crie vengez le roi. Ainsi ce bonhomme, au mesure que les acteurs parlent. La plume, de cette façon, ne servira presque plus, va devenir inutile. Une femme, dans son ménage, au lieu d'écrire le compte de son linge à laver, ou le journal de sa dépense, l'imprimera, dit-on, pour avoir plus tôt fait. Je vous laisse à penser, Monsieur, quel déluge va nous inonder, et ce que pourra la censure contre un pareil débordement. Mais on ajoute, et c'est le pis pour quiconque pense bien ou touche un traitement, que la combinaison de ces nouveaux caractères est si simple, si claire, si facile à concevoir, que l'homme le plus gros sier apprend en une leçon à lire et à écrire. Le docteur en a fait publiquement l'expérience avec un succès effrayant, et un paysan qui, la veille, savait à peine compter ses doigts, après une ins-budget, si ce n'est à quelques époques de Louis XII truction de huit à dix minutes, a composé et distribué aux assistants un petit discours, fort bien tourné, en bon allemand, commençant par ces mots: Despotès ho nomos; c'est-à-dire, comme on me l'a traduit, la loi doit gouverner. Où en sommes-nous, grand Dieu! qu'allons-nous devenir! Heureusement l'autorité avertie a pris des mesures pour la sûreté de l'État : les ordres sont donnés; toute la police de l'Allemagne est à la "poursuite du docteur, avec un prix de cent mille florins à qui le livrera mort ou vif, et l'on attend à chaque moment la nouvelle de son arrestation. La chose n'est pas de peu d'importance; une pareille invention, dans le siècle où nous sommes, venant à se répandre, c'en serait fait de toutes les bases de l'ordre social ; il n'y aurait plus rien | de caché pour le public. Adieu les ressorts de la politique intrigues, complots, notes secrètes; plus d'hypocrisie qui ne fût bientôt démasquée, d'imposture qui ne fût démentie, Comment gouverner après cela?

LETTRE XI.

Véretz, 10 avril 1820.

Mais de tous ceux qui ont parlé dans cette occasion, le plus amusant, c'est M. Benjamin Constant, qui va dire aux ministres : Quoi! point de journaux libres! point de papiers publics (ceux que vous censurez sont à vous seuls )! Comment saurez-vous ce qui se passe? Vos agents vous tromperont, se moqueront de vous, vous feront faire mille sottises, comme ils faisaient avant que la presse fût libre. Témoin l'affaire de Lyon. Car, qu'était-ce, en deux mots? On vous mande qu'il y a là une conspiration. Eh bien! qu'on coupe les têtes, répondites-vous d'abord, bonnement. L'ordre part; et puis, par réflexion, vous envoyez quelqu'un savoir un peu ce que c'est. Le moindre journal libre vous l'eût appris à temps, bien mieux qu'un maréchal et à bien moins de frais. Que sûtesvous par le rapport de votre envoyé? peu de chose. A la fin, on imprime, tout devient public, et il se trouve qu'il n'y a point eu de conspiration. Cependant les têtes étaient coupées. Voilà un furieux pas de clerc, une bévue qui coûte cher, et que la liberté des journaux vous eût certainement épargnée. De pareilles âneries font grand tort, et voilà ce que c'est que d'enchaîner la presse.

Je trouve comme vous, Monsieur, que nos orateurs ont fait merveille pour la liberté de la presse. Rien ne se peut imaginer de plus fort ni Là-dessus, dit-on, le ministère eut peine à se de mieux pensé que ce qu'ils ont dit à ce sujet, tenir de rire; et M. Pasquier, le lendemain, s'éet leur éloquence me ravit, en même temps que gaya aux dépens de l'honorable membre, non sur bien des choses j'admire leur peu de finesse. sans cause. Car on pouvait dire à M. Benjamin L'un, aux ministres qui se plaignent de la licence Constant: Oui, les tètes sont à bas, mais monseides écrits, répond que la famille royale ne fut gneur est duc; il n'en faut plus qu'autant, le voilà jamais si respectée, qu'on n'imprime rien contre prince de plein droit. Les bévues des ministres le roi. En bonne foi, il faut être un peu de son coûtent cher, il est vrai, mais non pas aux midépartement pour croire qu'il s'agit du roi, lors-nistres. Mieux vaut tuer un marquis, disent les

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médecins, que guérir cent vilains : cela vaut mieux pour le médecin; pour les ministres non; mieux vaut tuer les vilains, et, selon leurs conséquences, les fautes changent de nom. Contenter le public, s'en faire estimer, est fort bien; il n'y a nul mal assurément, et Laffitte a raison de se conduire comme il fait, parce qu'il a besoin, lui, de l'estime, de la confiance publique, étant homme de négoce, roturier, non pas duc. Mais le point pour un ministre, c'est de rester ministre; et pour cela, il faut savoir, non ce qui s'est fait à Lyon, mais ce qui s'est dit au lever, dont ne parlent pas les journaux.La presse étant libre, il n'y a point de conspiration, dites-vous, messieurs de gauche. Vraiment, on le sait bien. Mais, sans conspiration, comment sauver l'État, le trône, la monarchie? et que deviendraient les agents de sûreté, de surveillance? Comme le scandale est nécessaire pour la plus grande gloire de Dieu, aussi sont les conspirations pour le maintien de la haute police. Les faire naître, les étouffer, charger la mine, l'éventer, c'est le grand art du ministère; c'est le fort et le fin de la science des hommes d'État; c'est la politique transcendante chez nous, perfectionnée depuis peu par d'excellents hommes en ce genre, que l'Anglais jaloux veut imiter et contrefait, mais grossièrement. N'y ayant ni complots, ni machinations, ni ramifications, que voulez-vous qu'un ministre fasse de son génie et de son zèle pour la dynastie? Quelle intrigue peut-on entamer avec espoir de la mener à bien, si tout est affiché le même jour? Quelle trame saurait-on mettre sur le métier ? Les journaux apprennent aux ministres ce que le public dit, chose fort indifférente; ils apprennent au public ce que les ministres font, chose fort intéressante, ou ce qu'ils veulent faire, encore meilleur à savoir. Il n'y a nulle parité; le profit est tout d'une part. Outre que les ministres, dès qu'on sait ce qu'ils veulent faire, aussitôt ne le veulent ou ne le peuvent plus faire. Politique connue, politique perdue; affaires d'État, secrets d'État, secrétaires d'État !...... Le secret, en un mot, est l'âme de la politique, et la publicité n'est bonne que pour le public.

Voilà une partie de ce qu'on eût pu répondre aux orateurs de gauche, admirables d'ailleurs dans tout ce qu'ils ont dit pour la défense de nos "droits, et forts sur la logique autant qu'imperturbables sur la dialectique. Leurs discours seront des monuments de l'art de discuter, d'éclaircir la question; réfuter les sophismes, analyser, approfondir. Courage, mes amis, courage, les mi

nistres se moquent de nous; mais nous raisonnons bien mieux qu'eux. Ils nous mettent en prison, et nous y consentons; mais nous les mettons dans leur tort, et ils y consentent aussi. Que cette poignée de protégés du général Foy nous lie, nous dépouille, nous égorge; il sera toujours vrai que nous les avons menés de la belle manière; nous leur avons bien dit leur fait, sagement toutefois, prudemment, décemment. La décence est de rigueur dans un gouvernement constitutionnel.

Mais ce qui m'étonne de ces harangues si belles dans le Moniteur, si bien déduites, si frappantes par le raisonnement, qu'il ne semble pas qu'on puisse répliquer un mot; ce qui me surprend, c'est de voir le peu d'effet qu'elles produisent sur les : auditeurs. Nos Cicérons, avec toute leur éloquence, n'ont guère persuadé que ceux qui, avant de les entendre, étaient de leur avis. Je sais la raison qu'on en donne : ventre n'a point d'oreilles, et il n'est pire sourd... Vous dirai-je ma pensée? Ce sont d'habiles gens, sages et bien disants, orateurs, en un mot; mais ils ne savent pas faire usage de l'apostrophe, une des plus puissantes machines de la rhétorique, ou n'ont pas voulu s'en servir dans le cours de ces discussions, par civilité, je m'imagine, par ce même principe de décence, preuve de la bonne éducation qu'ils ont reçue de leurs parents; car l'apostrophe n'est pas polie; j'en demeure d'accord avec M. de Corday. Mais aussi trouvez-moi une tournure plus vive, plus animée, plus forte, plus propre à remuer une assemblée, à frapper le ministère, à étonner la droite, à émouvoir le ventre? L'apostrophe, Monsieur, l'apostrophe, c'est la mitraille de l'éloquence. Vous l'avez vu, quand Foy, artilleur de son métier...... Sans l'apostrophe, je vous défie d'ébranler une majorité, lorsque son parti est bien pris. Essayez un peu d'employer, avec des gens qui ont dîné chez M. Pasquier, le syllogisme et l'enthymême. Je vous donne toutes les figures de Quintilien, tous les tropes de Dumarsais et tout le sublime de Longin; allez attaquer avec cela un M. Poyféré de Cerre. Poussez à Marcassus, poussez à Marcellus la métaphore, l'antithèse, l'hypotypose, la catachrèse; polissez votre style et choisissez vos termes; à la force du sens unissez l'harmonie infuse dans vos périodes, pour charmer l'oreille d'un préfet, ou porter le cœur d'un ministre à prendre pitié de son pays,

Vous serez étonné, quand vous serez au bout,
De ne leur avoir rien persuadé du tout.
Pas un seul ne vous écoutera; vous verrez la droitę
bâiller, le ministère se moucher, le ventre aller

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