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LA BATAILLE DE HASTINGS.

Au matin dans le camp Normand, l'évêque de Bayeux, fils de la mère du duc Guillaume et d'un bourgeois de Falaise, célébra la messe et bénit les troupes, armé d'un haubert sous son rochet; puis il monta un grand coursier blanc, prit une lance et fit ranger sa brigade de cavaliers. Toute l'armée se divisa en trois colonnes d'attaque à la première, étaient les gens d'armes venus du comté de Boulogne et du Ponthieu, avec la plupart des hommes engagés personnellement pour une solde; à la seconde, se trouvaient les auxiliaires Bretons, Manceaux et Poitevins; Guillaume en personne commandait la troisième, formée des recrues de Normandie. En tête de chaque corps de bataille, marchaient plusieurs. rangs de fantassins à légère armure, vêtus d'un casaque matelassée et portant des arcs longs d'un corps d'homme ou des arbalètes d'acier.

Le duc montait un cheval Espagnol qu'un riche Normand lui avait amené d'un pélerinage à SaintJacques de Galice. Il tenait suspendues à son cou les plus révérées d'entre les reliques sur lesquelles Harold avait juré; et l'étendard béni par le pape était porté à côté de lui par un jeune homme appelé Toustain le Blanc. Au moment où les troupes allaient se mettre en marche le duc, élevant la voix, leur parla en ces termes :

"Pensez à bien combattre, et mettez tout à mort, car si nous les vainquons, nous serons tous riches. Ce que je gagnerai, vous le gagnerez; si je conquiers, vous conquerrez; si je prends la terre, vous l'aurez. Sachez pourtant que je ne suis pas venu ici seulement pour prendre mon dû, mais pour venger notre nation entière des félonies, des parjures et des trahisons de ces Anglais. Ils ont mis à mort les Danois, hommes et femmes, dans la nuit de SaintBrice. Ils ont décimé les compagnons d'Auvré, mon parent, et l'ont fait périr. Allons donc, avec l'aide de Dieu, les châtier de tous leurs méfaits."

L'armée se trouva bientôt en vue du camp Saxon, au nord-ouest de Hastings. Les prêtres et les moines qui l'accompagnaient se détachèrent et montèrent sur une hauteur voisine pour prier et regarder le combat. Un Normand appelé Taillefer poussa son cheval en avant du front de bataille et entonna le chant des exploits, fameux dans toute la Gaule, de Charlemagne, et de Roland. En chantant, il jouait de son épée, la lançait en l'air avec force, et la recevait dans sa main droite. Les Normands répétaient ses refrains, ou criaient: "Dieu aide! Dieu aide!" A portée de trait, les archers commencèrent à lancer leurs flèches, et les arbalétriers leurs carreaux; mais la plupart des coups furent amortis par le haut parapet des redoutes Saxonnes. Les fantassins armées de lances et la cavalerie s'avancèrent jusqu'aux portes des redoutes, et tentèrent de les forcer. Les Anglo-Saxons, tous à pied autour de leur étendard planté en terre, en formant derrière leurs redoutes une masse compacte et solide, reçurent les assaillants à grands coups de hache, qui d'un revers brisaient les lances et coupaient les armures de mailles. Les Normands, ne pouvant pénétrer dans les redoutes ni en arracher les palissades, se replièrent, fatigués d'une attaque inutile, vers la division que commandait Guillaume. Le duc alors fit avancer de nouveau tous ses archers, et leur ordonna de ne plus tirer droit devant eux, mais de lancer leurs traits en haut, pour qu'ils descendissent par-dessus le rempart du camp ennemi. Beaucoup d'Anglais furent blessés, la plupart au visage, par suite de cette manœuvre. Harold lui-même eut l'œil crevé d'une flèche, et il n'en continua pas moins de commander et de combattre. L'attaque des gens de pied et de cheval recommença de près, aux cris de "Notre-Dame!" "Dieu aide! Dieu aide!" Mais les hommes furent repoussés, à l'une des portes du camp, jusqu'à un grand ravin recouvert de broussailles et d'herbes, où leurs chevaux trébuchèrent, et où ils tombèrent pêle-mêle et périrent en grand nombre. Il y eut un moment de terreur panique dans l'armée d'outre-mer; le bruit courut que

le duc avait été tué, et, à cette nouvelle, la fuite commença. Guillaume se jeta lui-même au-devant des fuyards et leur barra le passage, les menaçant et les frappant de sa lance; puis, se découvrant la tête : "Me voilà," leur cria-t-il, "regardez-moi, je vis encore et je vaincrai, avec l'aide de Dieu."

Les cavaliers retournèrent aux redoutes, mais ils ne purent davantage en forcer les portes ni faire brèche. Alors le duc s'avisa d'un stratagème pour faire quitter aux Anglais leur position et leurs rangs; il donna l'ordre à mille cavaliers de s'avancer et de fuir aussitôt. La vue de cette déroute simulée fit perdre aux Saxons leur sang-froid; ils coururent tous à leur poursuite, la hache suspendue au cou. A une certaine distance, un corps posté à dessein joignit les fuyards qui tournèrent bride; et les Anglais, surpris dans leur désordre, furent accueillis de tous côtés à coups de lances et d'épées dont ils ne pouvaient se garantir, ayant les deux mains occupées à manier leurs grandes haches. Quand ils eurent perdu leurs rangs, les clôtures des redoutes furent enfoncées; cavaliers et fantassins y pénétrèrent; mais le combat fut encore vif, pêle-mêle et corps à corps. Guillaume eut son cheval tué sous lui, le roi Harold et ses deux frères tombèrent morts au pied de leur étendard, qui fut arraché et remplacé par le drapeau envoyé de Rome. Les débris de l'armée Anglaise, sans chef et sans drapeau, prolongèrent la lutte jusqu'à la fin du jour, tellement que les combattants de deux partis ne se reconnaissaient plus qu'au langage.

THIERRY.

UN COMBAT EN CHAMP CLOS SOUS LOUIS LE GROS.

[Le Comte Hugues de Cressy contre le Comte Amaury de Montfort.]

LES clairons donnèrent le signal, et les deux combattants se précipitèrent l'un sur l'autre avec la rapidité de la foudre. Leurs. glaives se rencontrèrent sur leurs

têtes, et le choc en retentit dans l'enceinte. Cent coups furent portés et rendus tour à tour avec la même agililité, parés avec la même adresse. La sueur des deux champions dégouttait sur leurs armures. Un silence morne régnait autour d'eux. Il n'était plus possible de prévoir l'issue de cette lutte terrible. Cependant, par une feinte adroite, Montfort trompa son adversaire, et son glaive tomba d'aplomb sur le casque de Cressy. Le cimier fut brisé, mais la dureté du casque fit dévier le glaive, et l'oreille seule fut ensanglantée. La fureur de Cressy s'en accrut, sa vigueur en redoubla; le glaive qui l'avait blessé fut brisé en éclats par son épée sur la tête du Comte de Montfort, qui passa lestement sa hache dans la main droite et tira son poignard de la gauche. Un autre chevalier que Cressy aurait jeté son épée pour que les armes fussent égales; mais il avait oublié qu'il combattait contre le père de Luciane, et l'aspect de son sang l'avait altéré du sang de son ennemi. Il combattait à la fois du glaive et de la hache; mais l'adroit Montfort savait se garantir de tous les coups; profitant même d'un faux pas que Cressy avait fait en glissant sur le tronçon du glaive qu'il avait jeté dans l'arène, il lui porta sur son gantelet un coup si violent et si rude, que l'épée du barbare tomba de sa main engourdie. Le combat ne fut plus inégal; Montfort pressa son adversaire pour ne lui laisser ni le temps ni la faculté de ramasser son épée. Cependant le danger semblait redoubler la vivacité de Montfort. Un de ses coups eût abattu l'épaule de Cressy, si la plaque d'acier qui la couvrait n'eût été trop fortement trempée pour être même entamée. La riposte fut prompte; et si le tranchant de la hache n'avait rencontré le manche de chêne, c'en était fait du Comte de Montfort. Un frémissement de crainte se fit entendre parmi les spectateurs, et cette marque d'intérêt ranima son courage. La hache de Cressy fut si rudement heurtée par la sienne, qu'elle tomba en deux tronçons entre les deux combattants.

Mais Cressy ne se laissa point déconcerter par ce

malheur. Avant qu'un dernier coup fût venu le frapper, il s'était précipité sur son adversaire et l'avait enlacé de ses bras nerveux. La hache d'Amaury était désormais inutile; elle ne pouvait agir, elle ne pouvait frapper qu'au hasard sur le dos de Cressy; et Montfort, serré comme dans un étau n'avait qu'un bras pour se défendre. Il abandonna son arme, et les deux champions furent réduits à leurs poignards. Etroitement embrassés l'un par l'autre, chacun d'eux cherchait à fatiguer son adversaire, à le renverser sur l'arène. Leurs muscles tendus montrèrent long-temps une vigueur égale, long-temps la victoire parut incertaine: mais le Comte de Montfort luttait avec le poids de cinquante années contre un colosse qui était dans toute la vigueur de la jeunesse. Cressy lui fit perdre terre et le renversa sous lui sans l'abandonner. Son genou, posé sur le ventre de son ennemi, le pressait comme un tigre acharné sur sa proie; et, lui arrachant le poignard dont Montfort cherchait encore à le frapper, lui portant le sien à la gorge en lui comprimant la visière de sa main gauche

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Rends-toi," dit-il, "confesse que tu es vaincu!" "Grâce! grâce!" criaient les spectateurs tremblants de cette longue et terrible lutte,

Le roi Louis jeta son sceptre dans la lice, les juges du camp se levèrent, et les sons du cor transmirent à Cressy l'ordre de cesser le combat,

VIENNET.

UN PREMIER TRIOMPHE LITTÉRAIRE.

J'AVAIS mis cette année-là cinq pièces au concours des Jeux floraux, une ode, deux poëmes et deux idylles. L'ode manqua le prix; il ne fut point donné. Les deux poëmes se balancèrent; l'un des deux eut le prix de poésie épique; et l'autre, un prix de prose qui se trouvait vacant. L'une des deux idylles obtint le prix de poésie pastorale, et l'autre l'accessit. Ainsi les

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