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Thomas Diaf. Mademoiselle, ne plus ne moins que la statue de Memnon rendait un son harmonieux lorsqu'elle venait à être éclairée des rayons du soleil, tout de même me sens-je animé d'un doux transport à l'apparition du soleil de vos beautés; et, comme les naturalistes remarquent que la fleur nommée héliotrope tourne sans cesse vers cet astre du jour, ainsi mon cœur dores-en-avant† tournera-t-il toujours vers les astres resplendissants de vos yeux adorables, ainsi que vers son pôle unique. Souffrez donc, mademoiselle, que j'appende aujourd'hui à l'autel de vos charmes l'offrande de ce cœur qui ne respire et n'ambitionne autre gloire que d'être toute sa vie, mademoiselle, votre très-humble, tres-obéissant et très-fidèle serviteur et mari.

Toin. Voilà ce que c'est que d'étudier! on apprend à dire de belles choses.

Arg. [à Cléante.] Hé! que dites-vous de cela ?

Clean. Que monsieur fait merveilles, et que, s'il est aussi bon médecin qu'il est bon orateur, il y aura plaisir à être de ses malades.

Toin. Assurément. Ce sera quelque chose d'admirable, s'il fait d'aussi belles cures qu'il fait de beaux discours.

Arg. Allons, vite, ma chaise, et des siéges à tout le monde. [Des laquais donnent des siéges.] Mettez-vous là, ma fille. [à M. Diafoirus.] Vous voyez, monsieur, que tout le monde admire monsieur votre fils; et je vous trouve bien heureux de vous voir un garçon comme celui-là.

M. Diaf. Monsieur, ce n'est pas parce que je suis son père; mais je puis dire que j'ai sujet d'être content de lui, et que tous ceux qui le voient, en parlent comme d'un garçon qui n'a point de méchanceté. Il n'a jamais eu l'imagination bien vive, ni ce feu d'esprit qu'on remarque dans quelques-uns; mais c'est par là que j'ai

*Ne plus ne moins. On dit maintenant ni plus ni moins. + Dores-en-avant dorénavant. Les expressions dores-en-avant et ne plus ne moins appartiennent au vieux langage, et sont employées par Molière pour faire ressortir la pédanterie de Thomas Diafoirus.

toujours bien auguré de sa judiciaire, qualité requise pour l'exercice de notre art. Lorsqu'il était petit, il n'a jamais été ce qu'on appelle mièvre et éveillé; on le voyait toujours doux, paisible et taciturne, ne disant jamais mot, et ne jouant jamais à tous ces petits jeux que l'on nomme enfantins. On eut toutes les peines du monde à lui apprendre à lire; et il avait neuf ans, qu'il ne connaissait pas encore ses lettres. Bon! disais-je en moi-même, les arbres tardifs sont ceux qui portent les meilleurs fruits. On grave sur le marbre bien plus malaisément que sur le sable; mais les choses y sont conservées bien plus longtemps; et cette lenteur à comprendre, cette pesanteur d'imagination est la marque d'un bon jugement à venir. Lorsque je l'envoyai au collége, il trouva de la peine, mais il se raidissait contre les difficultés ; et ses régents se louaient toujours à moi de son assiduité et de son travail. Enfin, à force de battre le fer, il en est venu glorieusement à avoir ses licences; et je puis dire, sans vanité, que, depuis deux ans qu'il est sur les bancs, il n'y a point de candidat qui ait fait plus de bruit que lui dans toutes les disputes de notre école. Il s'y est rendu redoutable; et il ne s'y passe point d'acte où il n'aille argumenter à outrance pour la proposition contraire. Il est ferme dans la dispute, fort comme un Turc sur ses principes, ne démord jamais de son opinion, et poursuit un raisonnement jusques dans les derniers recoins de la logique. Mais, sur toute chose, ce qui me plait en lui, et en quoi il suit mon exemple, c'est qu'il s'attache aveuglément aux opinions de nos anciens, et que jamais il n'a voulu comprendre ni écouter les raisons et les expériences des prétendues découvertes de notre siècle touchant la circulation du sang, et autres opinions de même farine.

Thomas Diaf. [tirant de sa poche une grande thèse roulée, qu'il présente à Angélique.] J'ai, contre les circulateurs, soutenu une thèse, qu'avec la permission [saluant Argan] de monsieur, j'os présenter à mademoiselle, comme un hommage que je lui dois des prémiçes de mon esprit,

R

Angél. Monsieur, c'est pour moi un meuble inutile, et je ne me connais pas à ces choses-là.

Toin. [prenant la thèse.] Donnez, donnez; elle est toujours bonne à prendre pour l'image: cela servira à parer notre chambre.

Thomas Diaf. [saluant encore Argan.] Avec la permission aussi de monsieur, je vous invite à venir voir, l'un de ces jours, pour vous divertir, une dissection sur laquelle je dois raisonner.

Toin. Le divertissement sera agréable. Il y en a qui donnent la comédie à leurs maîtresses; mais donner une dissection est quelque chose de plus galant.

Arg. [à M. Diafoirus.] N'est-ce pas votre intention, monsieur, de pousser votre fils à la cour, et d'y ménager pour lui une charge de médecin ?

M. Diaf. A vous en parler franchement, notre métier auprès des grands ne m'a jamais paru agréable; et j'ai toujours trouvé qu'il valait mieux pour nous autres demeurer au public. Le public est commode : vous n'avez à répondre de vos actions à personne; et, pourvu que l'on suive le courant des règles de l'art, on ne se met point en peine de tout ce qui peut arriver; mais ce qu'il y a de fâcheux auprès des grands, c'est que, quand ils viennent à être malades, ils veulent absolument que leurs médecins les guérissent.

Toin. Cela est plaisant! et ils sont bien impertinents de vouloir que vous autres messieurs vous les guérissiez! Vous n'êtes pas auprès d'eux pour cela; vous n'y êtes que pour recevoir vos pensions et leur ordonner des remèdes; c'est à eux à guérir, s'ils peuvent.

M. Diaf. Cela est vrai; on n'est obligé qu'à traiter les gens dans les formes.

Arg. [à Béline qui entre.] M'amour, voilà le fils de monsieur Diafoirus.

Thomas Diaf. Madame, c'est avec justice que le ciel vous a concédé le nom de belle-mère, puisque l'on voit sur votre visage...

Bél. Monsieur, je suis ravie d'être venue ici à propos, pour avoir l'honneur de vous voir.

Thomas Diaf. Puisque l'on voit sur votre visage....

Puisque l'on voit sur votre visage.... Madame, vous m'avez interrompu dans le milieu de la période, et cela m'a troublé la mémoire.

M. Diaf. Thomas, réservez cela pour une autre fois.

Arg. Je voudrais, m'amie, que vous eussiez été ici tantôt.

Toin. Ah! madame, vous avez bien perdu de n'avoir point été ici au second père, à la statue de Memnon, et à la fleur nommée héliotrope.

Arg. Allons, ma fille, touchez dans la main de monsieur, et lui donnez votre foi comme à votre mari. Angél. Mon père !....

Arg. Hé bien! mon père ! Qu'est-ce que cela veut dire?

Angél. De grâce, ne précipitez pas les choses. Donnez-nous au moins le temps de nous connaître, et de voir naître en nous, l'un pour l'autre, cette inclination si nécessaire à composer une union parfaite.

Thomas Diaf. Quant à moi, mademoiselle, elle est déjà toute née en moi ; et je n'ai pas besoin d'attendre davantage.

Angél. Si vous êtes si prompt, monsieur, il n'en est pas de même de moi; et je vous avoue que votre mérite n'a pas encore fait assez d'impression dans mon âme. Arg. Oh! bien, bien; cela aura tout le loisir de se faire quand vous serez mariés ensemble.

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Angél. Hé! mon père, donnez-moi du temps, je vous prie. Le mariage est une chaîne où l'on ne doit jamais soumettre un cœur par force; et si monsieur est honnête homme, il ne doit point vouloir accepter une personne qui serait à lui par contrainte.

Thomas Diaf. "Nego consequentiam," mademoiselle; et je puis être honnête homme, et vouloir bien vous accepter des mains de monsieur votre père.

Angél. C'est un méchant moyen de se faire aimer de quelqu'un, que de lui faire violence.

Thomas Diaf. Nous lisons des anciens, mademoiselle, que leur coutume était d'enlever par force de la maison des pères les filles qu'on menait marier, afin qu'il ne

semblât pas que ce fût de leur consentement qu'elles convolaient dans les bras d'un homme.

Angél. Les anciens, monsieur, sont les anciens ; et nous sommes les gens de maintenant. Les grimaces ne sont point nécessaires dans notre siècle; et, quand un mariage nous plaît, nous savons fort bien y aller, sans qu'on nous y traîne. Donnez-vous patience; si vous m'aimez, monsieur, vous devez vouloir tout ce que je veux.

Thomas Diaf. Oui, mademoiselle, jusqu'aux intérêts de mon amour exclusivement.

Angél. Mais la grande marque d'amour, c'est d'être soumis aux volontés de celle qu'on aime.

Thomas Diaf. "Distinguo," mademoiselle. Dans ce qui ne regarde pas sa possession, "concedo;" mais dans ce qui la regarde, "nego."

Toin. [à Angélique.] Vous avez beau raisonner. Monsieur est frais émoulu du collége, et il vous donnera toujours votre reste. Pourquoi tant résister, et refuser la gloire d'être attachée au corps de la faculté ?

Angél. Pour finir toute discussion il vaut mieux que je me retire. Adieu.

SCÈNES TIRÉES DE "L'AVARE," COMÉDIE.

HARPAGON, homme riche et très-avare; LA FLÈCHE, valet de CLEANTE, fils d'HARPAGON.

Harp. Hors d'ici tout à l'heure, et qu'on ne réplique pas. Allons, que l'on détale de chez moi, maître juré filou, vrai gibier de potence!

La Flèche. [à part.] Je n'ai jamais rien vu de si méchant que ce maudit vieillard, et je pense, sauf correction, qu'il a le diable au corps.

Harp. Tu murmures entre tes dents!

La Flèche. Pourquoi me chassez-vous ?

Harp. C'est bien à toi, pendard, à me demander des raisons! Sors vite, que je ne t'assomme.

La Flèche. Qu'est-ce que je vous ai fait ?
Harp. Tu m'as fait que je veux que tu sortes.

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