Page images
PDF
EPUB

Panc. Hé quoi! vous vous emportez au lieu de vous expliquer? Allez, vous êtes plus impertinent que celui qui m'a voulu soutenir qu'il faut dire la forme d'un chapeau; et je vous prouverai, en toute rencontre, par raisons démonstratives et convainçantes, et par arguments "in Barbara," que vous n'êtes et ne serez jamais qu'une "pécore," et que je suis et serai toujours "in utroque jure," le docteur Pancrace.

Sgan. Quel diable de babillard !

Panc. [en rentrant sur le théâtre.] Homme de lettres, homme d'érudition.

Sgan. Encore?

Panc. Homme de suffisance, homme de capacité ; [S'en allant] homme consommé dans toutes les sciences, naturelles, morales et politiques; [Revenant] homme savant, savantissime, " 'per omnes modos et casus ;" [S'en allant] homme qui possède, "superlativè," fables, mythologies et histoires, [Revenant] grammaire, poésie, rhétorique, dialectique et sophistique, [S'en allant] mathématique, arithmétique, optique, onirocritique, physique et métaphysique, [Revenant] cosmométrie, géométrie, architecture, spéculoire et spéculatoire ; [S'en allant] médecine, astronomie, astrologie, physionomie, métoposcopie, chiromancie, géomancie, etc.

[Scène suivante.]

SGANARELLE.

Sgan. [seul.] Au diable les savants, qui ne veulent point écouter les gens! On me l'avait bien dit, que son maître Aristote n'était rien qu'un bavard. Il faut que j'aille trouver l'autre ; il est plus posé et plus raisonnable. Holà!

[Scène suivante.]

MARPHURIUS, philosophe pyrrhonien; SGANARELLE. Marp. Que voulez-vous de moi, seigneur Sganarelle? Sgan. Seigneur docteur, j'aurais besoin de votre conseil sur une petite affaire dont il s'agit, et je suis venu ici pour cela. [à part.] Ah! voilà qui va bien: il écoute le monde, celui-ci.

Marp. Seigneur Sganarelle, changez, s'il vous plaît, cette façon de parler. Notre philosophie ordonne de ne point énoncer de proposition décisive, de parler de tout avec incertitude, de suspendre toujours son jugement; et, par cette raison, vous ne pouvez pas dire, Je suis venu, mais, Il me semble que je suis venu. Sgan. Il me semble ?

Marp. Oui.

Sgan. Parbleu! il faut bien qu'il me semble, puisque cela est.

Marp. Ce n'est pas une conséquence; et il peut vous le sembler, sans que la chose soit véritable.

Sgan. Comment! il n'est pas vrai que je suis venu? Marp. Cela est incertain, et nous devons douter de

tout.

Sgan. Quoi je ne suis pas ici, et vous ne me parlez pas ?

Marp. Il m'apparaît que vous êtes-là, et il me semble que je vous parle; mais il n'est pas assuré que cela soit.

Sgan. Hé! que diable! vous vous moquez. Me voilà, et vous voilà, bien nettement, et il n'y a point de me semble à tout cela. Laissons ces subtilités, je vous prie, et parlons de mon affaire, Je viens vous dire que j'ai envie de me marier.

Marp. Je n'en sais rien.
Sgan. Je vous le dis.
Marp. Il se peut faire.

Sgan. La fille que je veux prendre est fort jeune et fort belle.

Marp. Il n'est pas impossible.

Sgan. Ferai-je bien ou mal de l'épouser ?

Marp. L'un ou l'autre.

Sgan. [à part.] Ah! ah! voici une autre musique. [à Marp.] Je vous demande si je ferai bien d'épouser

la fille dont je vous parle.

Marp. Selon la rencontre.
Sgan. Ferai-je mal?

Marp. Par aventure.

Sgan. De grâce, répondez-moi comme il faut.

Marp. C'est mon dessein.

Sgan. J'ai une grande inclination pour la fille.

Marp. Cela peut être.

Sgan. Le père me l'a accordée.

Marp. Il se pourrait.

Sgan. Mais, en l'épousant, je crains....

Marp. La chose est faisable.

Sgan. Qu'en pensez-vous ?

Marp. Il n'y a pas d'impossibilité.

Sgan. Mais que feriez-vous, si vous étiez à ma

place?

Marp. Je ne sais.

Sgan. Que me conseillez-vous de faire ?

Marp. Ce qu'il vous plaira.

Sgan. J'enrage.

Marp. Je m'en lave les mains.

Sgan. Au diable soit le réveur !

Marp. Il en sera ce qui pourra.

Sgan. [à part.] La peste du bourreau! Je te ferai changer de note, chien de philosophe enragé. [Il donne des coups de bâton à Marphurius.]

Marp. Ah! ah! ah!

Sgan. Te voilà payé de ton galimatias, et me voilà

content.

Marp. Comment! Quelle insolence! M'outrager de la sorte! avoir eu l'audace de battre un philosophe comme moi !

Sgan. Corrigez, s'il vous plaît, cette manière de parler. Il faut douter de toutes choses; et vous ne devez pas dire que je vous ai battu, mais qu'il vous semble que je vous ai battu.

Marp. Ah! je m'en vais faire une plainte au commissaire du quartier, des coups que j'ai reçus.

Sgan. Je m'en lave les mains.

Marp. J'en ai les marques sur ma personne.

Sgan. Il se peut faire.

Marp. C'est toi qui m'as traité ainsi.

Sgan. Il n'y a pas d'impossiblité.

Marp. J'aurai un décret contre toi.

Sgan. Je n'en sais rien.

Marp. Et tu seras condamné en justice.
Sgan. Il en sera ce qui pourra.

Marp. Laisse-moi faire.

MOLIÈRE.

SCÈNES DU "MÉDECIN MALGRÉ LUI," COMÉDIE. VALÈRE, SGANARELLE, (devenu médecin malgré lui,) GERONTE, LUCAS, JACQUELINE; un peu après, LUCINDE.

Val. Monsieur, préparez vous. Voici notre médecin qui entre.

Gér. [à Sgan.] Monsieur, je suis ravi de vous voir chez moi, et nous avons grand besoin de vous.

Sgan. [en robe de médecin.] Hippocrate dit..... que nous nous couvrions tous deux.

Gér. Hippocrate dit cela?

Sgan. Oui.

Gér. Dans quel chapitre, s'il vous plait ?
Sgan. Dans son chapitre... des chapeaux.

Gér. Puisqu'Hippocrate le dit, il le faut faire. Monsieur, j'ai une fille qui est tombée dans une étrange maladie.

Sgan. Je suis ravi, monsieur, que votre fille ait besoin de moi; et je souhaiterais de tout mon cœur que vous en eussiez besoin aussi, vous et tout votre famille, pour vous témoigner l'envie que j'ai de vous servir.

Gér. Je vous suis obligé de ces sentiments.

Sgan. Je vous assure que c'est du meilleur de mon âme que je vous parle.

Gér. C'est trop d'honneur que vous me faites.
Sgan. Comment s'appelle votre fille.

Gér. Lucinde.

Sgan. Lucinde ! Ah! beau nom à médicamenter! Lucinde! Est-ce là la malade ?

Gér. Oui. Je n'ai qu'elle de fille; et j'aurais tous les regrets du monde si elle venait à mourir.

Sgan. Qu'elle s'en garde bien! Il ne faut pas qu'elle meure sans l'ordonnance du médecin.

Gér. Allons, un siége.

Sgan. [assis entre Géronte et Lucinde.] Voilà une malade qui est encore bien fraîche, et je tiens qu'un homme de goût s'en accommoderait assez.

Gér. Vous l'avez fait rire monsieur.

Sgan. Tant mieux: lorsque le médecin fait rire le malade, c'est le meilleur signe du monde. [A Lucinde. Hé bien! de quoi est-il question? Qu'avez-vous ? Quel est le mal que vous sentez ?

Luc. [portant sa main à sa bouche, à sa tête et sous son menton.] Han, hi, hon, han. Sgan. Hé! que dites-vous?

Luc. [continue les mêmes gestes.] Han, hi, hon, han, han, hi, hon.

Sgan. Quoi ?

Luc. Han, hi, hon.

Sgan. Han, hi, hon, han, ha. Je ne vous entends point. Quel diable de langage est-ce là ?

Gér. Monsieur, c'est là sa maladie. Elle est deve→ nue muette, sans que jusques ici on en ait pu savoir la cause; et c'est un accident qui fait reculer son mariage.

Sgan. Et pourquoi ?

Gér. Celui qu'elle doit épouser veut attendre sa guérison pour conclure les choses.

Sgan. Et qui est-ce sot-là qui ne veut pas que sa femme soit muette? Plût à Dieu que ma femme eût cette maladie je me garderais bien de la vouloir guérir.

Gér. Enfin, monsieur, nous vous prions d'employer tous vos soins pour la soulager de son mal.

Sgan. Ah! ne vous mettez pas en peine. Dites-moi un peu ce mal l'oppresse-t-il beaucoup ? Gér. Oui, monsieur.

Sgan. Tant mieux. Sent-elle de grandes douleurs ?
Gér. Fort grandes.

Sgan. C'est fort bien fait. [à Lucinde,] Donnezmoi votre bras. [à Géronte,] Voilà un pouls qui marque que votre fille est muette.

Gér. Hé! oui, monsieur, c'est là son mal; vous l'avez trouvé tout du premier coup.

Sgan. Ah! ah !

« PreviousContinue »