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des idées, la noblesse du style relèvent encore sa profonde érudition: non-seulement il savait tout ce qu'on pouvait savoir de son temps, mais il avait cette facilité de penser en grand qui multiplie la science; il avait cette finesse de réflexion de laquelle dépendent l'élégance et le goût, et il communique à ses lecteurs une certaine liberté d'esprit, une hardiesse de penser, qui est le germe de la philosophie. Son ouvrage, tout aussi varié que la nature, la peint toujours en beau : c'est, si l'on veut, une compilation de tout ce qui avait été fait d'excellent et d'utile à savoir; mais cette copie a de si grands traits, cette compilation contient des choses rassemblées d'une manière si neuve, qu'elle est préférable à la plupart des ouvrages originaux qui traitent des mêmes matières. BUFFON.

CÉSAR.

CAIUS JULIUS CÉSAR était né de l'illustre famille des Jules, qui, comme toutes les grandes maisons, avait sa chimère, en se vantant de tirer son origine d'Anchise et de Vénus. C'était l'homme de son temps le mieux fait, adroit à toutes sortes d'exercices, infatigable au travail, plein de valeur, le courage élevé, vaste dans ses desseins, magnifique dans sa dépense, et libéral jusqu'à la profusion. La nature, qui semblait l'avoir fait naître pour commander au reste des hommes, lui avait donné un air d'empire et de dignité dans ses manières ; mais cet air de grandeur était tempéré par la douceur et la facilité de ses mœurs. Son éloquence insinuante et invincible était encore plus attachée aux charmes de sa personne qu'à la force de ses raisons. Ceux qui étaient assez durs pour résister à l'impression que faisaient tant d'aimables qualités, n'échappaient point à ses bienfaits, et il commença par assujettir les cœurs, comme le fondement le plus solide de la domination à laquelle il aspirait.

Né simple citoyen d'une république, il forma, dans une condition privée, le projet d'assujettir sa patrie.

La grandeur et les périls d'une pareille entreprise ne l'épouvantèrent point. Il ne trouva rien au-dessus de son ambition, que l'étendue immense de ses vues. Les exemples récents de Marius et de Sylla lui firent comprendre qu'il n'était pas impossible de s'élever à la souveraine puissance; mais, sage jusque dans ses désirs immodérés, il distribua en différents temps l'exécution de ses desseins. Son esprit, toujours juste, malgré son étendue, n'alla que par degrés au projet de la domination; et, quelque éclatantes qu'aient été depuis ses victoires, elles ne doivent passer pour de grandes actions que parce qu'elles furent toujours la suite et l'effet de grands desseins. VERTOT. Révolutions Romaines.

POMPÉE.

POMPÉE attirait sur lui, pour ainsi dire, les yeux de toute la terre. Il avait été général avant que d'être soldat, et sa vie n'avait été qu'une suite continuelle de victoires; il avait fait la guerre dans les trois parties du monde, et il en était toujours revenu victorieux. Il vainquit dans l'Italie, Carinas, et Carbon, du parti de Marius; Domitius dans l'Afrique ; Sertorius, ou, pour mieux dire, Perpenna dans l'Espagne ; les pirates de Cilicie sur la Méditerranée; et, depuis la défaite de Catilina, il était revenu à Rome, vainqueur de Mithridate et de Tigrane.

Par tant de victoires et de conquêtes, il était devenu plus grand que les Romains ne le souhaitaient, et qu'il n'avait osé lui-même l'espérer. Dans ce haut degré de gloire où la fortune l'avait conduit comme par la main, il crut qu'il était de sa dignité de se familiariser moins avec ses concitoyens. Il paraissait rarement en public; et, s'il sortait de sa maison, on le voyait toujours accompagné d'une foule de ses créatures, dont le cortége nombreux représentait mieux la cour d'un grand prince que la suite d'un citoyen de la république. Ce n'est pas qu'il abusât de son pouvoir; mais, dans

une ville libre, on ne pouvait souffrir qu'il affectât des manières de souverain. Accoutumé dès sa jeunesse au commandement des armées, il ne pouvait se réduire à la simplicité d'une vie privée. Ses mœurs, à la vérité, étaient pures et sans tache; on le louait même, avec justice, de sa tempérance; personne en le soupçonna jamais d'avarice, et il recherchait moins, dans les dignités qu'il briguait, la puissance qui en est inséparable, que les honneurs et l'éclat dont elles étaient environnées. Mais, plus sensible à la vanité qu'à l'ambition, il aspirait à des honneurs qui le distinguassent de tous les capitaines de son temps. Modéré en tout le reste, il ne pouvait souffrir sur la gloire aucune comparaison. Toute égalité le blessait, et il eût voulu, ce semble, être le seul général de la république, quand il devait se contenter d'être le premier. Cette jalousie du commandement lui attira un grand nombre d'ennemis, dont César, dans la suite, fut le plus dangereux et le plus redoutable. L'un ne voulait pas d'égal, et l'autre ne pouvait souffrir de supérieur. VERTOT. Revolutions Romaines.

MORALE, PHILOSOPHIE, &c.

NÉCESSITÉ D'UN CULTE RELIGIEUX.

Nous avons des devoirs à remplir envers la Divinité; nous devons lui rendre des hommages, un culte en un mot, et, pour en sentir l'obligation, nous n'avons qu'à consulter, soit les premières notions de Dieu et de l'homme, soit les intérêts les plus chers et les plus sacrés de l'humanité. Ecoutons la raison. Un Dieu créateur qui, possédant la plénitude de l'être et la source de la vie, a communiqué l'existence à tout ce qui compose cet univers: un Dieu conservateur qui gouverne tout par sa sagesse, après avoir tout fait par

sa puissance; embrassant tous les êtres dans les soins de sa providence universelle, depuis les mondes étoilés jusqu'à la fleur des champs, sans être ni plus grand dans les moindres choses, ni plus petit dans les plus grandes ; un Dieu législateur suprême qui, commandant tout ce qui est bien, et défendant tout ce qui est mal, manifeste aux hommes ses volontés saintes par le ministère de la conscience; un Dieu enfin, juge souverain de tous les hommes, qui, dans la vie future, doit rendre à chacun selon ses œuvres, en décernant des châtiments au vice et des prix à la vertu : voilà une doctrine avouée par la raison la plus pure, dont la connaissance, quoique sans doute en des degrés bien différents, est aussi universelle que le genre humain ; que l'on trouve dans sa pureté chez les Hébreux, plus développée encore chez les Chrétiens, qui a bien pu être obscurcie par les superstitions païennes, jamais anéantie chez aucun peuple de la terre. Voilà des points de croyance qui sont indépendants des vaines opinions des hommes et des arguments des sophistes.

Or, comment ne pas voir que de ces notions de la Divinité découlent des devoirs religieux envers elle? Qui ne sentira pas que la raison, en nous découvrant ce que Dieu est par rapport à nous, nous montre par là même ce que nous devons être par rapport à lui? S'il est notre Créateur, ne faut-il pas que nous lui fassions hommage de l'être que nous avons reçu de sa bonté toute-puissante ? S'il nous conserve une vie dont il est l'arbitre, et qu'à tout moment il pourrait nous ravir, chaque instant où je continue de vivre est un nouveau bienfait qui demande un nouveau sentiment de reconnaissance. S'il est notre législateur, nous devons obéir à ses lois, les prendre pour règle de nos affections et de notre conduite. Enfin, s'il doit un jour être notre juge, ne faut-il pas que nous travaillions à paraître sans reproche devant son tribunal, et à ne pas tomber coupables dans les mains de sa justice?

Je suppose pour un moment que nous fussions les enfants du hasard, le résultat des combinaisons fortuites de la matière, que nous eussions été jetés sur la

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terre sans but et sans dessein, alors sans doute nous serions dans cette indépendance absolué de la Divinité que prêche l'athéisme; tout lien religieux ne serait qu'une chaîne honteuse, avilissante, qu'il faudrait se hâter de briser; alors Dieu n'étant rien pour nous, je conçois comment nous ne devrions être rien par rapport à lui. Mais, dans la doctrine contraire d'un Dieu, notre créateur et notre conservateur, l'homme doit tenir une conduite bien différente. Dans ces deux croyances opposées, nos devoirs ne sauraient être les mêmes: quand les principes sont en contradiction, les conséquences doivent l'être également; et par cela même que, dans l'absurde, la chimérique supposition de l'athéisme, l'homme devrait être sans religion, il faut que, dans la doctrine de la croyance d'un Dieu, l'homme soit religieux. FRAYSSINOUS.

DU REMORDS ET DE LA CONSCIENCE.

LA conscience fournit une seconde preuve de l'immortalité de notre âme. Chaque homme a au milieu du cœur un tribunal où il commence par se juger soimême, en attendant que l'Arbitre souverain confirme la sentence. Si le vice n'est qu'une conséquence physique de notre organisation, d'où vient cette frayeur qui trouble les jours d'une prospérité coupable? Pourquoi le remords est-il si terrible, qu'on préfère de se soumettre à la pauvreté et à toute la rigueur de la vertu, plutôt que d'acquérir des biens illégitimes? Pourquoi y a-t-il une voix dans le sang, une parole dans la pierre ? Le tigre déchire sa proie, et dort ; l'homme devient homicide, et veille. Il cherche les lieux déserts, et cependant la solitude l'effraye; il se traîne autour des tombeaux, et cependant il a peur des tombeaux. Son regard est mobile et inquiet, il n'ose regarder le mur de la salle du festin, dans la crainte d'y lire des caractères funestes. Ses sens semblent devenir meilleurs pour le tourmenter : il voit, au milieu de la nuit, des lueurs menaçantes; il est toujours

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