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l'amitié de Socrate, son maître. Aussi aperçoit-on de toutes parts, dans ses ouvrages, les sentiments religieux, les principes de justice, et l'empreinte de toutes les vertus qui honorent sa mémoire. Le surnom d'Abeille Attique qu'il mérita, caractérise très-bien ses talents. Les sujets qu'il traite sont heureusement choisis; il les dispose avec art, et sa narration est toujours agréable, variée, et pleine de douceur et de grâce. Sa diction est comparable à celle d'Hérodote. S'il lui est souvent inférieur, quelquefois il l'égale. Noble et élégant comme lui, il emploie toujours le mot propre, et s'exprime avec autant de clarté que d'agrément.

Mais veut-il s'élever, semblable au vent qui souffle de terre, il tombe presque aussitôt. On lui reproche encore d'avoir prêté des discours philosophiques à des hommes ignorants, à des barbares. Ce reproche regarde principalement la Cyropédie, dans laquelle Xénophon s'est plu à donner des leçons de philosophie aux dépens de la vérité et au mépris des convenances. L'histoire parle assez d'elle-même; pourquoi appeler la fiction à son secours? L'élève de Socrate se laisse encore trop apercevoir dans les Helléniques; mais rien n'y blesse les règles de l'histoire; et, quoique Xénophon ait composé cet ouvrage dans une extrême vieillesse, on y retrouve toujours de ces beautés naturelles et sans fard, que les Grâces semblaient ellesmêmes avoir dictées. En faisant passer à la postérité la gloire des dix mille, il lui a transmis le principal titre de la sienne. Aussi habile capitaine que grand historien, il eut beaucoup de part à leur mémorable retraite ; il l'a décrite avec autant de simplicité et de noblesse, que d'intérêt et d'exactitude. Sa relation est le plus précieux comme le plus ancien monument de la BARTHÉLEMY.

science militaire.

PÉRICLÈS.

PERICLES s'aperçut de bonne heure que sa naissance et ses richesses lui donnaient des droits et le rendaient suspect. Un autre motif augmentait ses alarmes. Des

vieillards qui avaient connu Pisistrate, croyaient le retrouver dans le jeune Périclès; c'était, avec les mêmes traits, le même son de voix, et le même talent de la parole: il fallait se faire pardonner cette ressemblance, et les avantages dont elle était accompagnée. Périclès consacra ses premières années à l'étude de la philosophie, sans se mêler des affaires publiques, et ne paraissant ambitionner d'autre distinction que celle de la valeur.

Après la mort d'Aristide et l'exil de Thémistocle, Cimon prit les rênes du gouvernement; mais, souvent occupé d'expéditions lointaines, il laissait la confiance des Athéniens flotter entre plusieurs concurrents incapables de la fixer. On vit alors Périclès se retirer de la société, renoncer aux plaisirs, attirer l'attention de la multitude par une démarche lente, un maintien décent, un extérieur modeste, et des mœurs irreprochables. Il parut enfin à la tribune, et ses premiers essais étonnèrent les Athéniens; il devait à la nature d'être le plus éloquent des hommes, et au travail d'être le premier des orateurs de la Grèce.

Les maîtres célèbres qui avaient élevé son enfance, continuant à l'éclairer de leurs conseils, remontaient avec lui aux principes de la morale et de la politique ; et de là cette profondeur, cette plenitude de lumières, cette force de style, qu'il savait adoucir au besoin ; ces grâces qu'il ne négligeait point, qu'il n'affecta jamais ; tant d'autres qualités qui le mirent en état de persuader ceux qu'il ne pouvait convaincre, et d'entraîner ceux même qu'il ne pouvait ni convaincre ni persuader.

On trouvait dans ses discours une majesté imposante sous laquelle les esprits restaient accablés. C'était le fruit de ses conversations avec le philosophe Anaxagore, qui, en lui développant le principe des êtres et les phénomènes de la nature, semblait avoir agrandi son âme naturellement élevée.

On n'était pas moins frappé de la dextérité avec laquelle il pressait ses adversaires, et se dérobait à leurs poursuites. I la devait au philosophe Zénon d'Élée qui l'avait plus d'une fois conduit dans les détours

d'une dialectique captieuse, pour lui en découvrir les issues secrètes. Aussi l'un des plus grands antagonistes de Périclès disait souvent : "Quand je l'ai terrassé, et que je le tiens sous moi, il s'écrie qu'il n'est point vaincu, et le persuade à tout le monde."

Périclès connaissait trop bien sa nation, pour ne pas fonder ses espérances sur le talent de la parole, et l'excellence de ce talent, pour n'être pas le premier à le respecter. Avant que de paraître en public, il s'avertissait en secret qu'il allait parler à des hommes libres, à des Grecs, à des Athéniens.

Cependant il s'éloignait le plus qu'il pouvait de la tribune, parce que, toujours ardent à suivre avec lenteur le projet de son élévation, il craignait d'effacer par de nouveaux succès l'impression des premiers, et de porter trop tôt l'admiration du peuple à ce point d'où elle ne peut que descendre. On jugea qu'un orateur qui dédaignait des applaudissements dont il était assuré, méritait la confiance qu'il ne cherchait pas, et que les affaires dont il faisait le rapport devaient être bien importantes, puisqu'elles le forçaient à rompre le silence.

On conçut une haute idée du pouvoir qu'il avait sur son âme, lorsqu'un jour que l'assemblée se prolongea jusqu'à la nuit, on vit un simple particulier ne cesser de l'interrompre et de l'outrager, le suivre avec des injures jusque dans sa maison, et Périclès ordonner froidement à un de ses esclaves de prendre un flambeau, et de conduire cet homme chez lui.

Quand on vit enfin que partout il montrait nonseulement le talent, mais encore la vertu propre à la circonstance; dans son intérieur, la modestie et la frugalité des temps anciens ; dans les emplois de l'administration, un désintéressement et une probité inaltérables; dans le commandement des armées, l'attention à ne rien donner au hasard, et à risquer plutôt sa réputation que le salut de l'état, on pensa qu'une âme qui savait mépriser les louanges et l'insulte, les richesses, les superfluités, et la gloire elle-même, devait avoir pour le bien public cette chaleur dévorante qui

étouffe les autres passions, ou qui du moins les réunit dans un sentiment unique.

Ce fut surtout cette illusion qui éleva Périclès; et il sut l'entretenir, pendant près de quarante ans, dans une nation éclairée, jalouse de son autorité, et qui se lassait aussi facilement de son admiration que de son obéissance. Il avait subjugué le parti des riches en flattant la multitude; il subjugua la multitude en réprimant ses caprices, tantôt par une opposition invincible, tantôt par la sagesse de ses conseils, ou par les charmes de son éloquence. Tout s'opérait par ses volontés, tout se faisait, en apparence, suivant les règles établies; et la liberté, rassurée par le maintien des formes republicaines, expirait, sans qu'on s'en aperçut, sous le poids du génie.

Plus la puissance de Périclès augmentait, moins il prodiguait son crédit et sa présence. Renfermé dans un petit cercle de parents et d'amis, il veillait, du fond de sa retraite, sur toutes les parties du gouvernement, tandis qu'on ne le croyait occupé qu'à pacifier ou bouleverser la Grèce. Les Athéniens, dociles au mouvement qui les entraînait, en respectaient l'auteur, parce qu'ils le voyaient rarement implorer leurs suffrages et, aussi excessifs dans leurs expressions que dans leurs sentiments, ils ne représentaient Périclès que sous les traits du plus puissant des dieux. Faisaitil entendre sa voix dans les occasions essentielles, on disait que Jupiter lui avait confié la foudre et les éclairs. N'agissait-il dans les autres que par le ministère de ses créatures, on se rappelait que le souverain des cieux laissait à des génies subalternes les détails du gouvernement de l'univers.

Périclès, dans la troisième année de la guerre du Péloponèse, mourut des suites de la peste; et cette perte fut pour les Athéniens la plus irréparable. Quelque temps auparavant, aigris par l'excès de leurs maux, ils l'avaient dépouillé de son autorité, et condamné à une amende : ils venaient de reconnaître leur injustice, et Périclès la leur avait pardonnée, quoique dégoûté du commandement par la légèreté du peuple, et par la

perte de sa famille ét de la plupart de ses amis, que peste avait enlevés.

la

Près de rendre le dernier soupir, et ne donnant plus aucun signe de vie, les principaux d'Athènes, assemblés autour de son lit, soulageaient leur douleur, en racontant ses victoires et le nombre de ses trophées. "Ces exploits," leur dit-il en se soulevant avec effort, "sont l'ouvrage de la fortune, et me sont communs avec d'autres généraux : le seul éloge que je mérite, est de n'avoir fait prendre le deuil à aucun citoyen."

CICERON.

BARTHÉLEMY. Voyage d'Anacharsis.

NÉ dans un rang obscur, on sait qu'il devint, par son génie, l'égal de Pompée, de César, de Caton. II gouverna et sauva Rome, fut vertueux dans un siècle de crimes, défenseur des lois dans l'anarchie, républicain parmi des grands qui se disputaient le droit d'être oppresseurs. Il eut cette gloire que tous les ennemis de l'état furent les siens. Il vécut dans les orages, les travaux, le succès, et le malheur. Enfin, après avoir soixante ans défendu les particuliers et l'état, lutté contre les tyrans, cultivé au milieu des affaires la philosophie, l'éloquence, et les lettres, il périt. Un homme à qui il avait servi de protecteur et de père vendit son sang; un homme à qui il avait sauvé la vie fut son assassin. Trois siècles après, un empereur plaça son image dans un temple domestique, et l'honora à côté des dieux.

Il y a des caractères indécis qui sont un mélange de grandeur et de faiblesse, et quelques personnes mettent Cicéron de ce nombre. Vertueux, dit-on, mais circonspect; tour à tour brave et timide; aimant la patrie, mais craignant les dangers; ayant plus d'élévation que de force; sa fermeté, quand il en eut, tenait plus à son imagination qu'à son âme. On ajoute que, faible par caractère, il n'était grand que par réflexion. Il comparait la gloire avec la vie, et le devoir au

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