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douceur dont il usa, après plusieurs agitations, le mirent enfin au-dessus de l'envie; et, tout concourant à sa gloire, le ciel même faisant servir à son élevation et sa faveur et ses disgrâces, il prit les rênes de l'état: heureux d'avoir aimé la France comme sa patrie, d'avoir laissé la paix aux peuples fatigués d'une longue guerre, et plus encore d'avoir appris l'art de régner et les secrets de la royauté au premier monarque du FLÉCHIER.

monde !

Oraisons Funèbres.

DESCARTES, BACON, LEIBNITZ, ET NEWTON.

Si on cherche les grands hommes modernes avec qui on peut comparer Descartes, on en trouvera trois : Bacon, Leibnitz, et Newton. Bacon parcourut toute la surface des connaissances humaines; il jugea les siècles passés, et alla au-devant des siècles à venir; mais il indiqua plus de grandes choses qu'il n'en exécuta; il construisit l'échafaud d'un édifice immense, et laissa à d'autres le soin de construire l'édifice.

Leibnitz fut tout ce qu'il voulut être ; il porta dans la philosophie une grande hauteur d'intelligence, mais il ne traita la science de la nature que par lambeaux ; et ses systèmes métaphysiques semblent plus faits pour étonner et accabler l'homme que pour l'éclairer.

Je ne

Newton a créé une optique nouvelle, et démontré les rapports de la gravitation dans les cieux. prétends point ici diminuer la gloire de ce grand homme; mais je remarque seulement tous les secours qu'il a eut pour ces grandes découvertes. Je vois que Galilée lui avait donné la théorie de la pesanteur; Kepler, les lois des astres dans leurs révolutions; Huyghens, la combinaison et les rapports des forces centrales et des forces centrifuges; Bacon, le grand principe de remonter des phénomènes vers les causes; Descartes, sa méthode pour le raisonnement, son analyse pour la géométrie, une foule innombrable de connaissances pour la physique, et, plus que tout cela

peut-être, la destruction de tous les préjugés. La gloire de Newton a donc été de profiter de tous ces avantages, de rassembler toutes ces forces étrangères, d'y joindre les siennes propres qui étaient immenses, et de les enchaîner toutes par les calculs d'une géométrie aussi sublime que profonde.

Si maintenant je rapproche Descartes de ces hommes célèbres, j'oserai dire qu'il avait des vues aussi nouvelles et bien plus étendues que Bacon; qu'il a eu l'éclat et l'immensité du génie de Leibnitz, mais bien plus de consistance et de réalité dans sa grandeur; qu'enfin il a mérité d'être mis à côté de Newton, et qu'il n'a été créé que par lui-même, parce que si l'un a découvert plus de vérités, l'autre a ouvert la route de toute les vérités; géomètre aussi sublime, quoiqu'il n'ait point fait un aussi grand usage de la géométrie; plus original par son génie, quoique ce génie l'ait souvent trompé; plus universel dans ses connaissances, comme dans ses talents, quoique moins sage et moins assuré dans sa marche; ayant peut-être en étendue ce que Newton avait en profondeur; fait pour concevoir en grand, mais peu fait pour suivre les détails, tandis que Newton donnait aux plus petits détails l'empreinte du génie; moins admirable, sans doute, pour la con> naissance des cieux, mais bien plus utile pour le genre humain, par sa grande influence sur les esprits et sur les siècles. THOMAS.

HOMÈRE.

Je ne suis qu'un Scythe, et l'harmonie des vers d'Homère, cette harmonie qui transporte les Grecs, échappe souvent à mes organes trop grossiers; mais je ne suis plus maître de mon admiration, quand je vois ce génie altier, planer, pour ainsi dire, sur l'univers, lançant de toutes parts ses regards embrasés, recueillant les feux et les couleurs dont les objets étincellent à sa vue; assistant au conseil des dieux; sondant les replis du cœur humain, et bientôt, riche de ses découvertes, ivre des beautés de la nature, et ne pouvant plus sup

porter l'ardeur qui le dévore, la répandre avec profusion dans ses tableaux et dans ses expressions; mettre aux prises le ciel avec la terre, et les passions avec ellesmêmes ; nous éblouir par ces traits de lumière qui n'appartiennent qu'aux talents supérieurs, nous entraîner par ces saillies de sentiment qui sont le vrai sublime, et toujours laisser dans notre âme une impression profonde qui semble l'étendre et l'agrandir.

Car ce qui distingue surtout Homère, c'est de tout animer, et de nous pénétrer sans cesse des mouvements qui l'agitent; c'est de tout subordonner à la passion principale, de la suivre dans ses fougues, dans ses écarts, dans ses inconséquences, de la porter jusqu'aux nues, et de la faire tomber, quand il le faut, par la force du sentiment et de la vertu, comme la flamme de l'Etna que le vent repousse au fond de l'abîme; c'est d'avoir saisi de grands caractères, d'avoir différencié la puissance, la bravoure, et les autres qualités de ses personnages, non par des descriptions froides et fastidieuses, mais par des coups de pinceau rapides et vigoureux, ou par des fictions neuves et semées presque au hasard dans ses ouvrages.

Je monte avec lui dans les cieux: je reconnais Vénus tout entière à cette ceinture d'où s'échappent sans cesse les feux de l'amour, les désirs impatients, les grâces séduisantes, et les charmes inexprimables du langage et des yeux : je reconnais Pallas et ses fureurs, à cette égide où sont suspendues la Terreur, la Discorde, la Violence, et la tête épouvantable de l'horrible Gorgone Jupiter et Neptune sont les plus puissants des dieux; mais il faut à Neptune un trident pour secouer la terre; à Jupiter, un clin d'oeil pour ébranler l'Olympe. Je descends sur la terre: Achille, Ajax, et Diomède sont les plus redoutables des Grecs; mais Diomède se retire à l'aspect de l'armée Troyenne ; Ajax ne cède qu'après l'avoir repoussée plusieurs fois ; Achille se montre, et elle disparaît.

BARTHÉLEMY.

Voyage d'Anacharsis.

HÉRODOTE.

GRAND imitateur d'Homère, il adopta la forme épique, en transportant tout d'un coup ses lecteurs au règne de Crésus, et en enchaînant les faits à une action principale, la lutte des Grecs contre les barbares, dont la défaite de Xerxès est le dénoûment. Cette idée était belle et hardie: il l'exécuta avec autant d'habileté que de succès. Géographie, mœurs, usages, religion, histoire des peuples connus, tout fut enchassé dans cet heureux cadre. Il arracha en quelque sorte le voile qui couvrait l'univers aux yeux des Grecs, trop prévenus en leur faveur pour chercher à connaître les autres nations. Aux beautés de l'ordonnance, Hérodote joignit les charmes inimitables de la diction et du coloris. Ses tableaux sont animés et pleins de cette douceur qui le distingue éminemment; mais elle a quelquefois une teinte mélancolique que lui donne le spectacle des calamités humaines.

Ses digressions sont des épisodes toujours variés, plus ou moins attachés au sujet principal, sans lui être jamais étrangers. Que de naïveté, de grâce, de clarté, d'éloquence, et même d'élévation, n'a pas cet écrivain inimitable! Enfin il chante plutôt qu'il ne raconte, tant son style a d'harmonie et de ressemblance avec la poésie. DE SAINTE-CROIX.

Examen critique des Hist. d'Alexandre.

THUCYDIDE.

LES justes applaudissements que les Grecs donnèrent à Hérodote avec une sorte d'enthousiasme excitèrent l'émulation de Thucydide. Exilé d'Athènes, sa patrie, il employa vingt années, soit à rassembler les matériaux de son histoire, soit à les rédiger. "Je n'ai pas "Je n'ai pas écrit,” dit-il, "pour plaire à mes contemporains et remporter le prix sur des rivaux, mais pour laisser un monument à la postérité." C'est suffisamment annoncer le dessein de s'écarter de la manière de son prédécesseur. Aussi

prit-il un sujet beaucoup moins grand, la guerre du Péloponèse, et il s'y borna, malgré son peu d'étendue. Il n'adopta point la forme épique, qui lui parut sans doute avoir trop d'inconvénients, et il revint à l'ordre chronologique et s'y attacha tellement, qu'il en résulte quelquefois de l'embarras et de la confusion dans ses récits. Son style, plein de choses, réunit la précision à la justesse, et est toujours austère. Quoiqu'il fut plus jaloux d'instruire que de plaire, il a su néanmoins embellir son ouvrage par des tableaux dignes d'un grand peintre. Ceux de l'état politique de la Grèce, de la peste, etc., sont de véritables chefs-d'œuvre. Plusieurs de ses harangues doivent servir de modèles. Quel coup de pinceau! quelle force! Son âme courageuse, parce qu'elle était élevée, repousse de toutes parts le mensonge, et sacrifie à la vérité son propre ressentiment. Le style d'Hérodote fut la règle du dialecte Ionique, et celui de Thucydide devint celle de l'Attique. Le premier est recommandable par sa clarté, et le second par sa précision. L'un excelle dans la peinture des mœurs, et l'autre dans le pathétique. Ils ont également de l'élégance et de la majesté. Thucydide a plus de force et d'énergie; ses couleurs sont plus fortes et plus variées. Hérodote l'emporte de beaucoup par les grâces et la simplicité naïve de son style. Il plait et persuade davantage. Avec des qualités différentes, ces deux historiens méritent le premier rang, chacun dans son genre, et sont préférables à tous les autres. Mais une gloire particulière, qu'on ne peut ravir à Thucydide, est d'avoir, pour ainsi dire, créé l'éloquence Attique, et formé le plus grand des orateurs. BARTHÉLEMY.

XÉNOPHON.

LE sage Xénophon publia et continua l'ouvrage de Thucydide, sans prendre sa manière. Celle d'Hérodote était plus conforme à son caractère, et moins éloignée de l'élocution d'Isocrate, dont il avait été l'auditeur; d'ailleurs, il n'ambitionnait que de paraître digne de

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