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d'en excéder la mesure; excès d'autant plus funeste, qu'il nuit à la fois au coupable et au public, et que tous les moments consumés dans une prison sont perdus pour l'exemple des mœurs.

Mais si ces hommes sont innocents, ô douleur ! ô pitié! à cette idée, l'humanité pousse du fond du cœur un cri terrible et tendre. Quoi! cet homme, né libre, gémit sous le poids des fers! Cet homme, à qui la lumière et l'air du ciel étaient destinés, respire à peine dans un cachot; ce père de famille est arraché avec violence des bras de son épouse et de ses enfants! Le deuil, le désespoir et la faim se sont emparés de sa tranquille habitation; ces bras qui tenaient embrassées une épouse tendre, une progéniture naissante; ces bras qui leur donnaient la subsistance, qui semaient, qui recueillaient; ces bras si nécessaires à l'état, sont indignement liés ; un cœur pur et sans reproche est dans des lieux souillés de remords; l'innocence, en un mot, est dans le séjour du crime : c'est là qu'on ne peut s'empêcher de gémir profondément sur les malheurs de l'humaine condition; c'est là qu'en jetant les yeux vers la Providence, on dit avec autant d'amertume que d'étonnement: O homme! quelle est ta destinée ! souffrir et mourir, voilà donc les deux grands termes de ta carrière ! SERVAN.

Discours sur l'Administration de la Justice Criminelle.

FRAGMENT DU DISCOURS D'OUVERTURE DE L'UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES.

Il y aurait encore beaucoup à dire à ce sujet; mais le temps nous presse; et ces mots que je viens de prononcer, ces mots presque sacramentels, et que l'on ne saurait répéter sans une profonde émotion, le bien-être et l'amélioration de la patrie et de l'humanité, c'est encore tout un monde de pensées qui surgit devant

nous.

En effet, messieurs, rendre nos concitoyens et, s'il se pouvait, tous les hommes, plus heureux et meilleurs, ce doit être là, aujourd'hui, l'objet non-seulement de notre nouvelle faculté, mais de tout notre enseignement; ce doit être là le lien véritable de nos doctrines, l'unique fin de nos travaux. L'humanité ! saine ou souffrante, innocente ou dépravée, gouvernée ou gouvernante, riche ou pauvre, mais toujours l'humanité, voilà, dans toutes les voies intellectuelles et morales, l'étoile où doivent se diriger sans cesse les regards, le but où doivent tendre sans cesse les efforts. Car l'avenir est là tout entier. Les rêves religiosisme, que vingt sectes diverses veulent remettre à la mode, s'évanouiront; les luttes mesquines de l'égoïsme politique se tairont; les doctrines nobiliaires, que quelques habiles chez nos voisins prétendent recrépir à grand renfort de sophismes, tomberont; et sur toutes ces ruines s'élèvera toujours plus grande et plus triomphante la maxime éternelle, la maxime qui résumait le christianisme au berceau: Tous les hommes sont frères, aimez-vous donc les uns les autres.

Je serais infini, messieurs, si je cherchais à suivre cette divine moralité dans ses applications à toutes les branches de notre enseignement; mais, pour me borner aux études qui me sont plus familières et à la mission spéciale que vous m'avez confiée, elle sera, croyez-le bien, la muse inspiratrice du vrai littérateur, du vrai poëte de l'avenir. Sans doute il s'approchera encore des anciens flambeaux de la poésie; il invoquera encore le soleil aux flots de pourpre et d'or, et les mille diamants de la nuit, et toute cette belle nature qui révèle Dieu; il invoquera les grandes images des siècles passés, et les voix mystérieuses de la solitude, et les intimes délices de l'amour pur et des arts. Mais ne vous semble-t-il pas que si quelque chose peut allumer en lui le feu divin, ce sera surtout la révélation de l'avenir de paix et de perfectionnement promis à l'humanité; ce sera le spectacle de tous les peuples réunis pour opérer par le bonheur de tous le bonheur de chacun, et réalisant cette providentielle allégorie de l'antiquité, ce

Mercure trois fois grand, qui, les ailes aux pieds, les ailes au cerveau, et les ailes encore au caducée commercial qu'il élève sur sa tête, comme le signal du bien-être humanitaire; s'élance d'un vol sublime et le regard au ciel dans les régions du progrès infini?

Et ne croyez pas, messieurs, que j'abuse moi-même du privilége de la poésie pour lui prédire des destinées qui ne seront pas les siennes. Par combien d'éclairs jetés dans leurs chants, ses représentants les plus nobles, ces hommes doués de la seconde vue, ne nous ont-ils pas déjà donné l'intelligence et l'avant-goût de son avenir! Choisissez les peuples qui, depuis longtemps, dominent l'Europe par le génie des arts, par le génie de la pensée, par le génie de l'industrie, par le génie de l'action. Demandez-leur quels sont, depuis le commencement de ce siècle, ceux qu'ils ont reconnus comme les plus profonds interprètes de la pensée sociale, comme leurs prophètes, leurs prêtres: car les vrais poëtes sont tout cela. Ils jetteront quatre billets dans Ï'urne, et quatre noms, quatre grands noms en sortiront tout rayonnants: Manzoni, Schiller, Byron, et Béranger.

Eh bien si dans les rêves de la méditation, vous évoquez ces hommes d'élite, vous les entendrez, si divers de croyance, de langage, de position, de caractère, redire, d'une voix harmonieusement unanime, la maxime de l'éternelle paix, de l'éternelle fraternité. C'est Manzoni frappant du front les dalles des églises catholiques; c'est Schiller, assis, la coupe en main, la joie sur les lèvres, aux banquets des barons et des chevaliers féodaux; c'est Byron, aristocrate radical, amoureux de l'égalité et la demandant à la solitude, car un tel génie ne pouvait la trouver ailleurs; c'est Béranger, le peuple fait poëte; mais partout c'est la même pensée, le même langage. Oh! qu'il me soit permis de redire leurs propres expressions; si cette enceinte renferme des enfants de ces nations modèles, que chacun d'eux entende répéter dans sa langue maternelle, et avec les paroles mêmes des hommes qu'ils doivent révérer le plus, notre symbole sacré.

Italiens, écoutez Manzoni:

"Siam fratelli, siam stretti ad un patto;
Maladetto colui che l'infrange,

Che s'inalza sul fiacco che piange,
Che contrista uno spirto immortal!"

Allemands, respect à Schiller:

"Seyd umschlungen, millionen!
Diesen Kuss der ganzen Welt!
Alle Menschen werden Brüder."†

Anglais, c'est Byron qui parle :

*

"The time is past when sword subdued;

But the heart, and the mind,

And the voice of mankind

Shall arise in communion,

And who shall resist that proud union?" ‡

Et vous, Français, et vous, Belges, qui parlez la même langue et vivez de la même vie sociale, voici notre Béranger:

"J'ai vu la Paix descendre sur la terre,
Semant de l'or, des fleurs et des épis;
L'air était calme, et du dieu de la guerre
Elle étouffait les foudres assoupis.

'Ah!' disait-elle, 'égaux par la vaillance,
Français, Anglais, Belge, Russe ou Germain,
Peuples, formez une sainte alliance,

Et donnez-vous la main !'"

A nous maintenant, messieurs, avançons-nous à notre tour sur les traces de lumière qu'ont laissées derrière eux ces nobles guides du genre humain; nous avons aussi un serment à prêter, non entre les mains ou aux genoux d'un homme, mais debout, devant nos concitoyens, dans l'un des vieux temples des libertés Flamandes, les premières libertés de l'Europe.

Nous

* Nous sommes frères, nous sommes liés par un pacte inviolable. Maudit qui le brise; maudit qui s'élève sur le faible qui pleure; maudit qui contriste une intelligence immortelle !

+ Puisse-je presser dans mes bras des milliers de mortels! un baiser à tout l'univers tous les hommes sont frères.

Le temps de l'empire du glaive est passé! mais le cœur, mais l'intelligence, mais la voix de l'humanité entière s'élè vera d'un seul et commun élan, et qui résistera à cette sublime

union?

jurons d'inspirer à nos élèves, quelque soit d'ailleurs l'objet de notre enseignement, l'amour pratique des hommes qui sont frères, sans distinction de caste, d'opinion, de nation; nous jurons de leur apprendre à consacrer leurs pensées, leurs talents au bonheur et à l'amélioration de leurs concitoyens et de l'humanité. Voilà notre serment, et Dieu nous soit en aide!

LE GÉNIE DE L'HOMME.

A. BARON.

QUE l'homme est grand, messieurs, et que l'auteur de son être l'a élevé par son intelligence au-dessus de tous les ouvrages sortis de ses mains!

Il dompte toutes les puissances de la nature, il les maîtrise, il les réunit ou les sépare selon ses besoins et quelquefois selon ses caprices.

Roi de la terre, il la couvre à son gré de villes, de villages, de monuments, d'arbres et de moissons; il force tous les animaux de la cultiver pour lui, de reconnaître son empire, de le, servir, de l'amuser ou de disparaître.

il

Roi de la mer, il se balance en riant sur ses abîmes pose des digues à sa furie; il pille ses trésors et il commande à ses vagues écumantes de transporter au loin les produits de son industrie, ou de servir de route à ses découvertes.

Roi des éléments, le feu, l'air, la lumière, l'eau, esclaves dociles de sa volonté souveraine, se laissent emprisonner dans ces ateliers et ces manufactures, et même atteler à ces chars qu'ils entraînent, coursiers invisibles, aussi vite que la pensée.

Que de grandeur et de puissance dans un être fragile qui ne vit qu'un jour, et qui ne semble qu'un atome imperceptible au du milieu de cet univers qu'il gouverne avec tant d'empire!

Mais cette créature si petite et si faible a reçu une âme intelligente et raisonnable, elle est animée d'un souffle divin, et seule, entre toutes les autres, elle jouit de l'étonnant avantage de puiser la lumière au foyer de la lumière, et de briller de l'éclat de l'esprit au

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