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démie Française, de l'Académie des inscriptions et belles-lettres, et de presque toutes les sociétés savantes et littéraires du monde. Aujourd'hui George Cuvier perd tous ces titres pompeux, mais il reste en possession de cette vie intellectuelle qui n'a point de terme dans l'avenir, et son nom seul inscrit sur sa tombe proclame son immortalité.

DISCOURS PRONONCÉ SUR LA TOMBE DE L'ABBÉ

GAULTIER.

MON VÉNÉRABLE AMI,-Ce n'est pas un éloge que ton disciple consterné vient prononcer sur ta tombe. Il a accepté la triste mission d'être l'organe d'une douleur commune. Il vient, précédant le cortége de tes élèves, de tes enfants désolés, pleurer sur ce cercueil une perte irréparable. Tu les as vus autour de toi : ils étaient réunis pour recevoir ton dernier soupir ; ils t'accompagnent pour te dire adieu. Il y a peu de Jours, ta main pouvait encore presser la leur; ils te contemplaient douloureusement: ils ne te verront plus! Oh! pourquoi les as-tu si promptement quittés ? Comment ont-ils mérité de te perdre ? Ils t'aimaient avec tant de tendresse tant de reconnaissance! Ah! si quelque chose peut en ce jour leur donner la force de la résignation, c'est l'exemple de ta mort. Disciples d'un juste, réunissez-vous encore une fois autour de sa dépouille mortelle. Contemplez avec respect ce qui reste ici-bas de l'homme qui était votre protecteur et votre maître. Vous savez tous quelle fut sa vie ; vous avez vu quelle a été sa fin. Sublime et touchant modèle de résignation et de douceur ! toujours la même égalité, toujours le même calme. Il semblait encore sourire avec bonté, comme pour vous dire l'adieu que ses lèvres glacées ne pouvaient plus articuler. Rappelez-vous sans cesse ce tableau que vous a offert un juste, un bienfaiteur de l'humanité prêt à quitter la terre. Sa mort n'est pas la moins grande leçon qu'il vous ait donnée. Oh! jamais il ne sortira de ma

mémoire cet édifiant et triste spectacle! Quel père de famille, à son heure suprême, fut plus entouré que ce père adoptif de la jeunesse tout entière? Il avait fait tant de bien ! Pauvres enfants, venez pleurer sur lui. Quel ami vous avez perdu! Mères de famille, pleurez aussi, vous qu'il avait instruites et dont il instruisait les enfants sous vos yeux. Hélas! il se félicitait de voir déjà la troisième génération de ses élèves. Qui pourra nous le rendre? Où retrouver cette tendresse paternelle pour l'enfance, ces soins désintéressés, ce besoin de rendre au jeune âge le bonheur que la nature semble lui avoir destiné ? Tes élèves, ô notre bon ami! feront leurs efforts pour rendre à ta mémoire l'hommage le plus digne d'elle, et pour marcher sur les traces que tu leur as laissées. Mais peuvent-ils espérer d'adoucir nulle part des regrets qu'ils sentiront toujours de même ? Ah! tu as disparu trop tôt de ce monde. Après tant d'efforts, tant de soins, le succès s'offrait à tes regards, et s'apprêtait à couronner tes vœux. Cette grande et belle entreprise à laquelle ton influence et tes lumières ont si puissamment concouru, cette heureuse réforme de l'instruction primaire s'accomplit, et tu n'as pas le temps d'en jouir. Déplorable condition humaine ! Mais du moins, avant d'expirer, tu as entendu le premier cri de la victoire; ami désintéressé de l'humanité, cette assurance t'a suffi pour quitter le monde sans regrets; mais nous, qui pourra nous consoler ? Qui nous rendra l'ami, le collaborateur, le guide, le protecteur que nous perdons en toi?

L. P. DE JUSSIEU.

SERVIR SA PATRIE.

TOUT homme en naissant contracte l'obligation d'aimer sa patrie, et, en se nourrissant dans son sein, il ratifie l'engagement de vivre et de mourir pour elle. Mais la patrie, ayant divers besoins, n'exige pas de tous ses enfants les mêmes sacrifices: les uns versent leur sang dans les combats, les autres arrosent nos

campagnes de leurs sueurs ; d'autres, levant les mains au ciel, prient pour notre prospérité, ou pleurent sur nos crimes, tandis que d'autres, veillant sur le dépôt des lois, maintiennent parmi les citoyens les droits de l'équité et de la justice. Mais si, tout à coup, fondant sur nous, un ennemi cruel ravageait nos possessions, enlevait ou égorgeait nos frères, renversait nos temples, nos lois, nos autels, et menaçait l'état d'une subversion entière, au premier cri d'effroi et de douleur de la patrie éplorée, descendant de leurs tribunaux, suspendant leurs sacrifices, s'arrachant de leurs cloîtres, accourant de leurs déserts, juges, prélats, cénobites, solitaires, viendraient grossir la troupe des guerriers, donner l'exemple du zèle et du courage, et, s'ils ne savaient combattre, du moins ils sauraient mourir.

Tout homme naît donc soldat, quoique tout soldat ne porte point les armes. Mais le jour que la patrie, croyant avoir besoin de son bras, appelle un citoyen à son secours, ou que, ce citoyen venant s'offrir de luimême, elle veut bien agréer ses services, il reçoit le caractère de ministre armé pour sa défense, il devient une victime honorable dévouée à la sûreté publique, et, par un engagement solennel, il resserre ses premiers nœuds, il retourne à sa destination originaire. C'est donc le jour que, succédant au trône de leurs pères, nos rois viennent prendre sur l'autel le glaive pour nous protéger et le sceptre pour nous conduire; le jour que, marchant sur les traces de leurs ancêtres, notre jeune noblesse fait les premiers pas dans la carrière où ils se sont illustrés; le jour que la patrie, sonnant l'alarme, invite le citoyen qui n'a pas fait choix d'une profession, à prendre parti sous ses enseignes, ou qu'arrachant le pâtre à ses troupeaux, le cultivateur à sa charrue, elle lui dit ; "Cesse de me nourrir, et viens me défendre ;" c'est en ce jour que tous ces enfants de l'état passent dans la classe honorable de ses défenseurs. Là, sous les yeux du Dieu des armées qui fait la revue de ses nouveaux soldats, chacun d'eux, en se revêtant de ses armes, reçoit comme en dépôt la sûreté de nos campagnes, le repos de nos villes, la vie, la liberté de ses

frères ; il devient l'épée et le bouclier de celui qui n'en a point, ou dont le bras, trop faible pour les porter, ne saurait en faire usage; et Dieu lui dit, comme à Josué, comme à Gédéon, comme à tous les chefs de son peuple : Allez, voici mes ordres; soyez vaillants!

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DE NOE.

Discours pour une Bénédiction de Drapeaux.

L'OMBRE DE FABRICIUS AUX ROMAINS.

O FABRICIUS! qu'eût pensé votre grande âme, si, pour votre malheur, rappelé à la vie, vous eussiez vu la face pompeuse de cette Rome sauvée par votre bras, et que votre nom respectable avait plus illustrée que toutes ses conquêtes?" Dieux !" eussiez-vous dit, "que sont devenus ces toits de chaume et ces foyers rustiques qu'habitaient jadis la modération et la vertu? Quelle splendeur funeste a succédé à la simplicité Romaine ? Quel est-ce langage étranger? Quelles sont ces mœurs efféminées? Que signifient ces statues, ces tableaux, ces édifices? Insensés ! qu'avez-vous fait ? Vous, les maîtres des nations, vous vous êtes rendus les esclaves des hommes frivoles que vous avez vaincus: ce sont des rhéteurs qui vous gouvernent: c'est pour enrichir des architectes, des peintres, des statuaires et des histrions que vous avez arrosé de votre sang la Grèce et l'Asie. Les dépouilles de Carthage sont la proie d'un joueur de flûte.

"Romains, hâtez-vous de renverser ces amphithéâtres, brisez ces marbres, brûlez ces tableaux, chassez ces esclaves qui vous subjuguent, et dont les funestes arts vous corrompent. Que d'autres mains s'illustrent par de vains talents : le seul talent digne de Rome est celui de conquérir le monde, et d'y faire régner la vertu. Quand Cynéas prit notre sénat pour une assemblée de rois, il ne fut ébloui, ni par une pompe vaine, ni par une élégance recherchée; il n'y entendit point cette éloquence frivole, l'étude et le charme des hommes futiles. Que vit donc Cynéas de

majestueux? O citoyens! il vit un spectacle que ne donneront jamais vos richesses, ni tous vos arts, le plus beau spectacle qui ait jamais paru sous le ciel, l'assemblée de deux cents hommes vertueux, dignes de commander à Rome et de gouverner la terre."

J. J. ROUSSeau.

LES PRISONS.

JETEZ les yeux sur ces tristes murailles où la liberté humaine est renfermée et chargée de fers, où quelquefois l'innocence est confondue avec le crime, et où l'on fait l'essai de tous les supplices avant le dernier : approchez; et si le bruit horrible des fers, si des ténèbres effrayantes, des gémissements sourds et lointains, en vous glaçant le cœur, ne vous font reculer d'effroi, entrez dans le séjour de la douleur, osez descendre un moment dans ces noirs cachots où la lumière du jour ne pénètre jamais; et sous des traits défigurés contemplez vos semblables, meurtris de leurs fers, à demi couverts de quelques lambeaux, infectés d'un air qui ne se renouvelle jamais, et semble s'imbiber du venin du crime; rongés vivants des mêmes insectes qui dévorent les cadavres dans leurs tombeaux, nourris à peine de quelques substances grossières distribuées avec épargne; sans cesse consternés des maux de leurs malheureux compagnons, et des menaces d'un impitoyable gardien; moins effrayés du supplice que tourmentés de son attente; dans ce long martyre de tous leurs sens, ils appellent à leur secours une mort plus douce que leur vie infortunée.

Si ces hommes sont coupables, ils sont encore dignes de pitié, et le magistrat qui diffère leur jugement est manifestement injuste à leur égard. La loi a prononcé un châtiment public qui doit suffire à la réparation de leur crime, et à la satisfaction de la société ; ce long tourment d'une prison cruelle est une peine nouvelle dont il surcharge le coupable, et c'est violer la loi que

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