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exaltées et novatrices contre des rêves qui tiennent malheureusement quelquefois à des spéculations indignes de ceux qui se livrent à la noble et délicate fonction d'éclairer la jeunesse ? Les rouages que l'on fait mouvoir sont cachés avec soin, et les yeux fascinés n'aperçoivent que le jeu merveilleux de la machine.

Voyez les prospectus pompeux, les affiches ambitieuses, les connaissances y sont à jour fixe: en moins d'un mois, que dis-je ! en moins de huit jours, on peut savoir lire, écrire, calculer, orthographier, dire les dates les plus difficiles de l'histoire, et pour peu que la rivalité enflamme le génie de nos inventeurs, une instruction complète s'acquerra en quelques minutes! La philanthropie ne peut aller plus loin. Nous sommes maintenant au siècle de la méthodomanie.

Les faux prophètes tomberont, dites-vcus; le bon sens en fera justice; mais, en attendant que les miracles s'opèrent, les dupes admirent et payent, et, ce qui est irréparable, nos enfants perdent leur temps.

Resterons-nous donc froids lorsqu'on sacrifie ainsi l'avenir de nos enfants, victimes de la routine ou du charlatanisme? lorsqu'on entoure de langes leurs jeunes intelligences, qui ne demandent que de l'aisance, de la liberté et du développement; ou lorsqu'on les aveugle pour vouloir les éclairer trop vite?

Grâces à vous, mesdames, vos élèves auront grandi en esprit, en caractère, en raison; vos élèves seront des femmes dignes de paraître dans la société avec les qualités qu'elles devront à vos lumières et à votre prudence.

Ce ne seront point de petits perroquets, et petites pédantes qui auront d'autant plus de vanité, qu'elles auront plus d'ignorance; ce ne seront pas des femmes futiles qui, dans leur ménage, n'apporteront pour dot morale et intellectuelle qu'une romance plaintive ou les brillantes variations de Hertz. A moins de destination spéciale, les arts d'agrément qu'elles auront appris ne seront pour elles que d'aimables accessoires, d'utiles préservatifs contre l'ennui, la solitude, ou de charmantes

distractions de société, qui feront ressortir davantage leur instruction, leur goût et leur bon sens.

Le règne de la beauté et des caprices cesse bientôt, l'âge de l'enchantement s'enfuit comme l'ombre, et si le bon sens, les qualités morales et religieuses, l'esprit cultivé, ne sont pas là pour succéder aux ravages du temps, que reste-t-il? Aux unes, des conversations frivoles, languissantes, ennuyeuses; aux autres, des regrets et des larmes, peut-être la misère; car dans un siècle où la main de fer des révolutions et des épidémies renverse les fortunes et décime les populations, quelles ressources trouvera la mère de famille qui n'aura pas, pour la sauver du naufrage, elle et ses enfants, le secours de l'éducation et de l'instruction ?

SOCRATE À SES JUGES.

D. LEVI.

JE comparais devant ce tribunal pour la première fois de ma vie, quoique âgé de plus de soixante et dix ans. Ici, le style, les formes, tout est nouveau pour moi; je vais parler une langue étrangère, et l'unique grâce que je vous demande, c'est d'être attentifs plutôt à la raison qu'à mes paroles, car votre devoir est de discerner la justice; le mien, de vous dire la vérité.

On prétend que je corromps la jeunesse d'Athènes : qu'on cite donc un de mes disciples que j'aie entraîné dans le vice. J'en vois plusieurs dans cette assemblée ; qu'ils se lèvent et qu'ils déposent contre leur corrupteur. S'ils sont retenus par un reste de considération, d'où vient que leurs pères, leurs frères, leurs parents, n'invoquent pas, dans ce moment, la sévérité des lois? D'où vient que Mélitus a négligé leurs témoignages C'est que, loin de me poursuivre, ils sont eux-mêmes accourus à ma défense.

Ce ne sont pas les calomnies de Mélitus et d'Anytus qui me coûteront la vie ; c'est la haine de ces hommes vains ou injustes dont j'ai démasqué l'ignorance ou les vices, haine qui a déjà fait périr tant de gens de bien, et qui en fera périr tant d'autres; car je ne dois pas

me flatter qu'elle s'épuise par mon supplice. Je me la suis attirée en voulant pénétrer le sens d'une réponse de la Pythie qui m'avait déclaré le plus sage des hommes. Étonné de cet oracle, j'interrogeai, dans les diverses classes des citoyens, ceux qui jouissaient d'une réputation distinguée; je ne trouvai partout que de la présomption et de l'hypocrisie. Je tâchai de leur inspirer des doutes sur leur mérite, et m'en fis des ennemis irréconciliables: je conclus de là que la sagesse n'appartient qu'à la Divinité, et que l'oracle, en me citant pour exemple, a voulu montrer que le plus sage des hommes est celui qui croit l'être le moins.

Si l'on me reprochait d'avoir consacré tant d'années à des recherches si dangereuses, je répondrais qu'on ne doit compter pour rien ni la vie ni la mort, dès qu'on peut être utile aux hommes. Je me suis cru destiné à les instruire ; j'ai cru en avoir reçu la mission du ciel même. J'avais gardé, au péril de mes jours, les postes où nos généraux m'avaient placé à Amphipolis, à Potidée, à Délium; je dois garder avec plus de courage celui que les dieux m'ont assigné au milieu de vous; et je ne pourrais l'abandonner sans désobéir à leurs ordres, sans m'avilir à mes yeux.

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J'irai plus loin: si vous preniez aujourd'hui le parti de m'absoudre à condition que je garderais le silence, je vous dirais O mes juges! je vous aime et je vous honore sans doute; mais je dois obéir à Dieu plutot qu'à vous. Tant que je respirerai, je ne cesserai d'élever ma voix comme par le passé, et de dire à tous ceux qui s'offriront à mes regards: N'avez-vous pas de honte de courir après les richesses et les honneurs, tandis que vous négligez les trésors de sagesse et de vérité qui doivent embellir et perfectionner votre âme ? Je les tourmenterais à force de prières et de questions; je les ferais rougir de leur aveuglement ou de leurs fausses vertus, et leur montrerais que leur estime place au premier rang des biens qui ne méritent que le mépris.

Voilà ce que la Divinité me prescrit d'annoncer sans interruption aux jeunes gens, aux vieillards, aux

citoyens, aux étrangers; et comme ma soumission à ses ordres est pour vous le plus grand de ses bienfaits, si vous me faites mourir, vous rejetterez le don de Dieu, et vous ne trouverez personne qui soit animé du même zèle. C'est donc votre cause que je soutiens aujourd'hui, en paraissant défendre la mienne; car enfin Anytus et Mélitus peuvent me calomnier, me bannir, m'ôter la vie; mais ils ne sauraient me nuire : ils sont plus à plaindre que moi, puisqu'ils sont injustes. Pour échapper à leurs coups, je n'ai point, à l'exemple des autres accusés, employé les menées clandestines, les sollicitations ouvertes. Je vous ai trop respectés, pour chercher à vous attendrir par mes larmes, ou par celles de mes enfants et de mes amis rassemblés autour de moi. C'est au théâtre qu'il faut exciter la pitié par des images touchantes; ici la vérité seule doit se faire entendre. Vous avez fait un serment solennel de juger suivant les lois; si je vous arrachais un parjure, je serais véritablement coupable d'impiété. Mais, plus persuadé que mes adversaires de l'existence de la Divinité, je me livre sans crainte à sa justice, ainsi qu'à la vôtre. BARTHÉLEMY.

DISCOURS DE M. DE JOUY SUR LA TOMBE DE CUVIER.

La mort nous ravit un homme puissant par la pensée, puissant par la parole, un homme dont le génie avait rendu tributaires toutes les nations éclairées du globe. L'illustre Cuvier n'est plus; la France, l'Europe, déplorent avec nous la perte immense que vient de faire le monde savant.

Elle est éteinte cette sublime intelligence qui semble franchir les bornes de la nature pour lui dérober ses plus intimes secrets. Elle est glacée pour jamais cette voix éloquente qui retentit encore à notre oreille. A pareil jour, nous assistions à ses doctes leçons; au pied de cette tribune, où se pressait la foule de ses élèves et. de ses admirateurs, nous l'entendions converser avec les siècles passés, et, remontant avec lui jusqu'au ber

ceau de la science, nous la précédions dans sa marche, nous la devancions dans ses progrès. A pareil jour, la semaine dernière, il nous assemblait autour de sa chaire : où nous rassemble-t-il aujourd'hui ? autour de sa tombe. Ce n'est pas à nous qu'il appartient d'assigner à M. Cuvier le rang qu'il doit occuper parmi ce petit nombre d'hommes de génie dont les travaux scientifiques ont agrandi le domaine de l'esprit humain; contentonsnous de dire que cet émule des Fontenelle, des d'Alembert, des Buffon, fut à la fois un savant du premier ordre, un littérateur distingué : c'est à ce dernier titre que l'Académie Française s'honora de le compter parmi ses membres, et qu'elle exprime en ce moment, par ma voix, les profonds regrets qu'elle éprouve en voyant disparaître la plus éclatante lumière du siècle. Aussi remarquable par la multiplicité de ses connaissances que par leur étendue, cette haute intelligence n'avait pu rester étrangère à la science de l'homme d'état : M. Cuvier fut appelé successivement aux fonctions les plus importantes du gouvernement; dans toutes, il porta cette force de conception, cette profondeur de vues, ces recherches lumineuses qui lui avaient révélé quelques-uns des mystères de la nature. Mais quels que soient les services qu'il ait pu rendre à l'état dans la carrière politique qu'il a parcourue, c'est le réformateur de la zoologie, c'est le fondateur du cabinet d'anatomie comparée, c'est l'auteur d'une création nouvelle, qui exhuma, qui ressuscita des classes d'animaux disparus de la terre ; c'est l'homme de la science, en un mot, qu'attend la postérité.

Celui dont les travaux avaient immortalisé l'existence vit arriver la mort avec une courageuse résignation. "Je suis anatomiste," disait-il aux doctes amis qui lui prodiguaient leurs soins, "la paralysie a gagné la moelle épinière, vous n'y pouvez plus rien, et moi je n'ai plus qu'à mourir."

Hier M. Cuvier était baron, pair de France, conseiller d'état, membre du conseil de l'instruction publique, grand officier de la légion d'honneur, secrétaire perpétuel de l'Académie des sciences, membre de l'Aca

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