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étoilé, comme à cette mer profonde, un son d'une voix chérie, un accent qu'elles n'entendront plus.

Amour, suprême puissance du cœur, mystérieux enthousiasme qui renferme en lui-même la poésie, l'héroïsme et la religion! Qu'arrive-t-il quand la destinée nous sépare de celui qui avait le secret de notre âme, et nous avait donné la vie du cœur, la vie céleste ? Qu'arrive-t-il quand l'absence ou la mort isolent une femme sur la terre? Elle languit, elle tombe. bien de fois ces rochers qui nous entourent, n'ont-ils pas offert leur froid soutien à ces veuves délaissées, qui s'appuyaient jadis sur le sein d'un ami, sur le bras d'un héros !

Com

Devant vous est Sorrente; là, demeurait la sœur du Tasse, quand il vint en pélerin demander à cette obscure amie un asile contre l'injustice des princes: ses longues douleurs avaient presque égaré sa raison; il ne lui restait plus que du génie : il ne lui restait que la connaissance des choses divines; toutes les images de la terre étaient troublées. Ainsi le talent, épouvanté du désert qui l'environne, parcourt l'univers sans trouver rien qui lui ressemble. La nature pour lui n'a plus d'écho; et le vulgaire prend pour de la folie ce malaise d'une âme qui ne respire pas dans ce monde assez d'air, assez d'enthousiasme, assez d'espoir.

La fatalité, (continua Corinne, avec une émotion toujours croissante,) la fatalité ne poursuit-elle pas les âmes exaltées, les poëtes dont l'imagination tient à la puissance d'aimer et de souffrir? Ils sont les bannis d'une autre région; et l'universelle bonté ne devait pas ordonner toute chose pour le petit nombre des élus ou des proscrits. Que voulaient dire les anciens, quand ils parlaient de la destinée avec tant de terreur? Que peut-elle, cette destinée, sur les êtres vulgaires et paisibles? Ils suivent les saisons ; ils parcourent docilement le cours habituel de la vie. Mais la prêtresse qui rendait les oracles se sentait agitée par une puissance cruelle. Je ne sais quelle force involontaire précipite le génie dans le malheur : il entend le bruit des sphères que les organes mortels ne sont pas faits

pour saisir il pénètre des mystères du sentiment inconnus aux autres hommes, et son âme recèle un Dieu qu'elle ne peut contenir !

Sublime Créateur de cette belle nature, protége-nous ! Nos élans sont sans force, nos espérances mensongères. Les passions exercent en nous une tyrannie tumultueuse, qui ne nous laisse ni liberté ni repos. Peut-être ce que nous ferons demain, décidera-t-il de notre sort; peut-être hier avons-nous dit un mot que rien ne peut racheter!... MADAME DE STAËL.

INVOCATION AUX RUINES.

JE vous salue, ruines solitaires, tombeaux saints, murs silencieux ! C'est vous que j'invoque ; c'est à vous que j'adresse ma prière. Oui, tandis que votre aspect repousse d'un secret effroi les regards du vulgaire, mon cœur trouve à vous contempler le charme des sentiments profonds et des hautes pensées. Combien d'utiles leçons, de reflexions touchantes et fortes n'offrez-vous pas à l'esprit qui sait vous consulter ? C'est vous qui, lorsque la terre entière asservie se taisait devant les tyrans, proclamiez déjà les vérités qu'ils détestent, et qui, confondant la dépouille des rois avec celle du dernier esclave, attestiez le saint dogme de l'Égalité. C'est dans votre enceinte qu'amant solitaire de la Liberté, j'ai vu m'apparaître son génie, non tel que se le dépeint un vulgaire insensé, armé de torches et de poignards, mais sous l'aspect auguste de la justice, tenant en ses mains les balances sacrées où se pèsent les actions des mortels aux portes de l'éternité.

O tombeaux ! que vous possédez de vertus! vous épouvantez les tyrans, vous empoisonnez d'une terreur secrète leurs jouissances impies; ils fuient votre incorruptible aspect, et les lâches portent loin de vous l'orgueil de leurs palais. Vous punissez l'oppresseur puissant, vous ravissez l'or au concussionnaire avare, et vous vengez le faible qu'il a dépouillé ; vous com

pensez les privations du pauvre en flétrissant de soucis le faste du riche; vous consolez le malheureux, en lui offrant un dernier asile; enfin vous donnez à l'âme ce juste équilibre de force et de sensibilité qui constitue la sagesse, science de la vie. En considérant qu'il faut tout vous restituer, l'homme réfléchi néglige de se charger de vaines grandeurs, d'inutiles richesses: il retient son cœur dans les bornes de l'équité; et cependant, puisqu'il faut qu'il fournisse sa carrière, il emploie les instants de son existence, et use des biens qui lui sont accordés. Aussi vous jetez un frein salutaire sur l'élan impétueux de la cupidité: vous calmez l'ardeur fièvreuse des jouissances qui troublent les sens; vous reposez l'âme de la lutte fatigante des passions ; vous l'élevez au-dessus des vils intérets qui tourmentent la foule; et de vos sommets, embrassant la scène des peuples et des temps, l'esprit ne se déploie qu'à de grandes affections, et ne conçoit que des idées solides de vertu et de gloire. Ah! quand le songe de la vie sera terminé, à quoi auront servi ses agitations, si elles ne laissent la trace de l'utilité ?

Oh ruines! je retournerai vers vous prendre vos leçons, je me replacerai dans la paix de vos solitudes; et là, éloigné du spectacle affligeant des passions, j'aimerai mieux les hommes sur des souvenirs, je m'occuperai de leur bonheur, et le mien se composera de l'idée de l'avoir hâté.

C. F. CHASSEBŒUF, COMTE DE Volney.

INVOCATION À LA PAIX.

GRAND Dieu, dont la seule présence soutient la nature et maintient l'harmonie des lois de l'univers, vous qui, du trône immobile de l'empyrée, voyez rouler sous vos pieds toutes les sphères célestes sans choc et sans confusion; qui, du sein du repos, reproduisez à chaque instant leurs mouvements immenses, et seul régissez dans une paix profonde ce nombre infini de cieux et de mondes; rendez enfin le calme à la terre

agitée; qu'elle soit dans le silence! qu'à votre voix la discorde et la guerre cessent de faire retentir leurs clameurs orgueilleuses!

Dieu de bonté, auteur de tous les êtres, vos regards paternels embrassent tous les objets de la création; mais l'homme est votre être de choix ; vous avez éclairé son âme d'un rayon de votre lumière immortelle; comblez vos bienfaits en pénétrant son cœur d'un trait de votre amour ce sentiment divin, se répandant partout, réunira les nations ennemies; l'homme ne craindra plus l'aspect de l'homme, le fer homicide n'armera plus sa main; le feu dévorant de la guerre ne fera plus tarir la source des générations; l'espèce humaine, maintenant affaiblie, mutilée, moissonnée dans sa fleur, germera de nouveau, et se multipliera sans nombre; la nature, accablée sous le poids des fléaux, stérile, abandonnée, reprendra bientôt avec une nouvelle vie son ancienne fécondité; et nous, Dieu bienfaiteur, nous la seconderons, nous la cultiverons, nous l'observerons sans cesse, pour vous offrir à chaque instant un nouveau tribut de reconnaissance et d'admiration. BUFFON.

EXHORTATION À L'ÉTUDE DES SCIENCES NATURELLES.

Er comment ne conserveriez-vous pas à jamais votre ardeur pour les sciences naturelles? Quelque destinée qui vous attende, dans quelque contrée du globe que vos jours doivent couler, la nature vous environnera sans cesse de ses productions, de ses phénomènes, de ses merveilles. Dans les vastes plaines et au milieu des bois touffus, sur le haut des monts et dans le fond de la vallée solitaire, vers le bord des ruisseaux paisibles et sur l'immense surface de l'océan agité, vous serez sans cesse entourés des objets de votre étude.

Elle vous suivra partout, cette collection que la nature déploie avec tant de magnificence devant les yeux dignes de la contempler, et qui est si supérieure à toutes celles que le temps, l'art et la puissance réunissent dans les temples consacrés à l'instruction. Et quel est

le point de la terre où la science aux progrès de laquelle nous nous sommes voués ne nous montre pas un nouvel être à décrire, une nouvelle propriété à reconnaître, un nouveau phénomène à dévoiler? Quel est le climat où transportant, multipliant, perfectionnant les espèces ou les races, et donnant à l'agriculture des secours plus puissants, un commerce de productions plus nombreuses et plus belles, aux nations populeuses des moyens de subsistance plus agréables, plus salubres et plus abondants, vous ne pussiez bien mériter de vos semblables?

Ah! ne renoncez jamais à la source la plus pure du bonheur qui peut être réservé à l'espèce humaine. Tout ce que la philosophie a dit de l'étude en général, combien nous devons nous le dire, avec plus de raison, de cette passion constante et douce qui s'anime par le temps, échauffe sans consumer, entraîne avec tant de charme, imprime à l'âme des mouvements si vifs et cependant si peu tumultueux, s'empare de l'existence tout entière, l'arrache au trouble, à l'inquiétude, aux regrets, l'attache avec tant de force à la conquête de la vérité, a pour premier terme l'observation des actes de la faculté créatrice, pour dernier but le perfectionnement, pour jouissance une paix intérieure, un contentement secret et inexprimable, et pour récompense l'estime de son siècle et de la postérité ! Comme elle embellit tous les objets avec lesquels elle s'allie! A quel âge, à quel état, à quelle fortune ne convient-elle pas ? Elle enchante nos jeunes années, elle plaît à l'âge mûr, elle pare la vieillesse de fleurs, dissipant les chagrins, calmant les douleurs, écartant les ennuis, allégeant le fardeau du pouvoir, soulageant du souci des affaires pénibles, faisant oublier jusqu'à la misère, consolant du malheur d'une trop grande renommée; quelle adversité ne diminue-telle pas?

Jetez les yeux sur les hommes célèbres dont on nous a transmis les actions les plus secrètes. Quels ont été les plus heureux? Ceux qui se sont livrés à la contemplation de la nature. J'en atteste Aristote, Linné, Buffon, Bonnet, et ce Bernard de Jussieu, dont la tendre sollicitude pour la conservation d'une plante

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