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pays, les peuples doivent s'y croire abandonnés par la Divinité; mais ici nous sentons toujours la protection du ciel, nous voyons qu'il s'intéresse à l'homme, et qu'il a daigné le traiter comme une noble créature.

Ce n'est pas seulement de pampres et d'épis que notre nature est parée, mais elle prodigue sous les pas de l'homme, comme à la fête d'un souverain, une abondance de fleurs et de plantes inutiles qui, destinées à plaire, ne s'abaissent point à servir.

Les plaisirs délicats soignés par la nature sont goûtés par une nation digne de les sentir; les mets les plus simples lui suffisent; elle ne s'enivre point aux fontaines de vin que l'abondance lui prépare: elle aime son soleil, ses beaux-arts, ses monuments, sa contrée tout à la fois antique et printanière; les plaisirs raffinés d'une société brillante, les plaisirs grossiers d'un peuple avide, ne sont pas faits pour elle.

Ici les sensations se confondent avec les idées, la vie se puise toute entière à la même source, et l'âme comme l'air occupe les confins de la terre et du ciel. Ici le génie se sent à l'aise, parce que la rêverie y est douce ; s'il agite, elle calme; s'il regrette un but, elle lui fait don de mille chimères; si les hommes l'oppriment, la nature est là pour pour l'accueillir.

Ainsi, toujours elle répare, et sa main secourable guérit toutes les blessures. Ici l'on se console des peines même du cœur, en admirant un Dieu de bonté, en pénétrant le secret de son amour; les revers passagers de notre vie éphémère se perdent dans le sein fécond et majestueux de l'immortel univers.

Il est des peines cependant que notre ciel consolateur ne saurait effacer; mais dans quel séjour les regrets peuvent-ils porter à l'âme une impression plus douce et plus noble que dans ces lieux !

Ailleurs les vivants trouvent à peine assez de place pour leurs rapides courses et leurs ardents désirs; ici les ruines, les déserts, les palais inhabités laissent aux ombres un vaste espace. Rome maintenant n'est-elle

pas la patrie des tombeaux !

Le Colisée, les obélisques, toutes les merveilles qui,

du fond de l'Egypte et de la Grèce, de l'extrémité des siècles, depuis Romulus jusqu'à Léon X. se sont réunies ici, comme si la grandeur attirait la grandeur, et qu'un même lieu dût renfermer tout ce que l'homme a pu mettre à l'abri du temps, toutes ces merveilles sont consacrées aux monuments funèbres. Notre indolente vie est à peine aperçue, le silence des vivants est un hommage pour les morts; ils durent, et nous passons.

Eux seuls sont honorés, eux seuls sont encore célèbres; nos destinées obscures relèvent l'éclat de nos ancêtres, notre existence actuelle ne laisse debout que le passé, il ne se fait aucun bruit autour des souvenirs ! Tous nos chefs-d'œuvre sont l'ouvrage de ceux qui ne sont plus, et le génie lui-même est compté parmi les illustres morts.

Peut-être un des charmes secrets de Rome est-il de réconcilier l'imagination avec le long sommeil. On s'y résigne pour soi, l'on en souffre moins pour ce qu'on aime. Les peuples du Midi se représentent la fin de la vie sous des couleurs moins sombres que les habitants du Nord. Le soleil comme la gloire réchauffe même la tombe.

Le froid et l'isolement du sépulcre sous ce beau ciel, à côté de tant d'urnes funéraires, poursuivent moins les esprits effrayés. On se croit attendu par la foule des ombres; et de notre ville solitaire à la ville solitaire à la ville souterraine, la transition semble assez douce. MADAME DE STAËL.

IMPROVISATION DE CORINNE DANS LA CAMPAGNE DE

NAPLES.

La nature, la poésie et l'histoire rivalisent ici de grandeur, ici on peut embrasser d'un coup d'œil tous les temps et tous les prodiges.

J'aperçois la lac d'Averne, volcan éteint, dont les ondes inspiraient jadis la terreur; l'Achéron, le Phlégéton, qu'une flamme souterraine fait bouillonner, sont les fleuves de cet enfer visité par Enée.

La ville de Cumes, l'antre de la Sibylle, le temple d'Apollon, étaient sur cette hauteur. Voici le bois où fut cueilli le rameau d'or. La terre de l'Énéide vous entoure, et les fictions consacrées par le génie sont devenues des souvenirs dont on cherche encore les traces.

Un Triton a plongé dans ces flots le Troyen téméraire qui osa défier les divinités de la mer par ses chants: ces rochers creux et sonores sont tels que Virgile les a décrits. L'imagination est fidèle, quand elle est toutepuissante. Le génie de l'homme est créateur, quand il sent la nature; imitateur, quand il croit l'inventeur.

Au milieu de ces masses terribles, vieux témoins de la création, l'on voit une montagne nouvelle que le volcan a fait naître. Ici la terre est orageuse comme la mer, et ne rentre pas comme elle paisiblement dans ses bornes. Le lourd élément, soulevé par les tremblements de l'abîme, creuse les vallées, élève des monts; et ses vagues pétrifiées attestent les tempêtes qui déchirent son sein.

Si vous frappez sur ce sol, la voûte souterraine retentit on dirait que le monde habité n'est plus qu'une surface prête à s'entr'ouvrir. La campagne de Naples est l'image des passions humaines : sulfureuse et féconde, ses dangers et ses plaisirs semblent naître de ces volcans enflammés qui donnent à l'air tant de charmes, et font gronder la foudre sous nos pas.

Pline étudiait la nature pour mieux admirer l'Italie ; il vantait son pays comme la plus belle des contrées, quand il ne pouvait plus l'honorer à d'autres titres. Cherchant la science, comme un guerrier les conquêtes, il partit de ce promontoire même pour observér le Vésuve à travers les flammes; et ces flammes l'ont consumé.

O souvenir, noble puissance, ton empire est dans ces lieux ! De siècle en siècle, bizarre destinée! l'homme se plaint de ce qu'il a perdu. L'on dirait que les temps écoulés sont tous dépositaires à leur tour d'un bonheur qui n'est plus et tandis que la pensée s'enorgueillit de ses progrès, s'élance dans l'avenir, notre âme semble

regretter une ancienne patrie dont le passé la rapproche.

Les Romains dont nous envions la splendeur, n'enviaient-ils pas la simplicité mâle de leurs ancêtres ? Jadis ils méprisaient cette contrée voluptueuse; et ses délices ne domptèrent que leurs ennemis. Voyez dans le lointain Capoue: elle a vaincu le guerrier dont l'âme inflexible résista plus longtemps à Rome que l'univers.

Les Romains, à leur tour, habitèrent ces lieux : quand la force de l'âme servait seulement à mieux sentir la honte et la douleur, ils s'amollirent sans remords. A Baies, on les a vus conquérir sur la mer un rivage pour leurs palais. Les monts furent creusés pour en arracher des colonnes; et les maîtres du monde, esclaves à leur tour, asservirent la nature pour se consoler d'être asservis.

Cicéron a perdu la vie près du promontoire de Gaëte, qui s'offre à nos regards. Les triumvirs, sans respect pour la postérité, la dépouillèrent des pensées que ce grand homme aurait conçues. Le crime des triumvirs dure encore; c'est contre nous encore que leur forfait est commis.

Cicéron succomba sous le poignard des tyrans. Scipion, plus malheureux, fut banni par son pays encore libre: il termina ses jours non loin de cette rive; et les ruines de son tombeau sont appelées la Tour de la patrie : touchante allusion au souvenir dont sa grande âme fut occupée !

Marius s'est réfugié dans ces marais de Minturnes, près de la demeure de Scipion. Ainsi, dans tous les temps, les nations ont persécuté leurs grands hommes: mais ils sont consolés par l'apothéose; et le ciel, où les Romains croyaient commander encore, reçoit parmi ses étoiles Romulus, Numa, César: astres nouveaux, qui confondent à nos regards les rayons de la gloire et la lumière céleste.

Ce n'est pas assez des malheurs ; la trace de tous les crimes est ici. Voyez, à l'extrémité du golfe, l'île de Caprée, où la vieillesse a désarmé Tibère, où cette âme à la fois cruelle et voluptueuse, violente et fatiguée, s'ennuya même du crime, et voulut se plonger dans les

plaisirs les plus bas, comme si la tyrannie ne l'avait pas encore assez dégradée.

Le tombeau d'Agrippine est sur ces bords, en face de l'île de Caprée; il ne fut élevé qu'après la mort de Néron l'assassin de sa mère proscrivit aussi ses cendres. Il habita longtemps Baies, au milieu des souvenirs de son forfait. Quels monstres le hasard rassemble sous nos yeux ! Tibère et Néron se regardent.

Les îles que les volcans ont fait sortir de la mer servirent, presque en naissant, aux crimes du vieux monde : les malheureux relégués sur ces rochers solitaires, au milieu des flots, contemplaient de loin leur patrie, tâchaient de respirer ses parfums dans les airs: et quelquefois, après un long exil, un arrêt de mort leur apprenait que leurs ennemis du moins ne les avaient pas oubliés.

O terre! toute baignée de sang et de larmes, tu n'as jamais cessé de produire et des fruits et des fleurs! es-tu donc sans pitié pour l'homme? et sa poussière retourne-t-elle dans ton sein maternel sans le faire tressaillir?

Quelques souvenirs du cœur, quelques noms de femmes, réclament aussi vos pleurs. C'est à Misène, dans le lieu même où nous sommes, que la veuve de Pompée, Cornélie, conserva jusqu'à la mort son noble deuil. Agrippine pleura longtemps Germanicus sur ces bords un jour, le même assassin qui lui ravit son époux la trouva digne de la suivre. L'île de Nisida fut témoin des adieux de Brutus et de Porcie.

Ainsi, les femmes amies des héros ont vu périr l'objet qu'elles avaient adoré. C'est en vain que pendant longtemps elles suivirent ses traces; un jour vint qu'il fallut le quitter. Porcie se donne la mort; Cornélie presse contre son sein l'urne sacrée qui ne répond plus à ses cris; Agrippine, pendant plusieurs années, irrite en vain le meurtrier de son époux et ces créatures infortunées, errant comme des ombres sur les plages dévastées du fleuve éternel, soupirent pour aborder à l'autre rive; daus leur longue solitude, elles interrogent le silence, et demandent à la nature entière, à ce ciel

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