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désert. Enseveli dans une atmosphère de sable embrasé, le guide échappe à ma vue. Tout à coup, j'entends son cri, je vole à sa voix; l'infortuné, foudroyé par le vent de feu, était tombé mort sur l'arène, et son dromadaire avait disparu. CHATEAUBRIAND.

LES NATIONS MODERNES.

QUE de traits caractéristiques n'offrent point les nations nouvelles! Ici ce sont les Germains, peuple où la profonde corruption des grands n'a jamais influé sur les petits, où l'indifférence des premiers pour la patrie n'empêche point les seconds de l'aimer; peuple où l'esprit de révolte et de fidélité, d'esclavage et d'indépendence, ne s'est jamais démenti depuis les jours de Tacite. Là, ce sont ces industrieux Bataves qui ont de l'esprit par bon sens, du génie par industrie, des vertus par froideur, et des passions par raison. L'Italie aux cent princes et aux magnifiques souvenirs contraste avec la Suisse obscure et républicaine. L'Espagne, séparée des autres nations, présente encore à l'historien un caractère plus original: l'espèce de stagnation de mœurs dans laquelle elle repose lui sera peut-être utile un jour; et, lorsque tous les peuples de l'Europe seront usés par la corruption, elle seule pourra reparaître avec éclat sur la scène du monde, parce que le fond des mœurs subsistera chez elle.

Mélange du sang Allemand et du sang Français, le peuple Anglais décéle de toutes parts sa double origine. Son gouvernement formé de royauté et d'aristocratie, sa religion moins pompeuse que la Catholique, et plus brillante que la Luthérienne, son militaire à la fois lourd et actif, sa littérature et ses arts, chez lui, enfin, le langage, les traits, et jusqu'aux formes du corps, tout participe des deux sources dont il découle. Il réunit à la simplicité, au calme, au bon sens, à la lenteur Germanique, l'éclat, l'emportement, la déraison, la vivacité et l'élégance de l'esprit Français.

Les Anglais ont l'esprit public, et nous l'honneur

national; nos belles qualités sont plutôt des dons de la faveur divine, que les fruits d'une éducation politique : comme les demi-dieux, nous tenons moins de la terre que du ciel.

Fils aînés de l'antiquité, les Français, Romains par le génie, sont Grecs par le caractère. Inquiets et volages dans le bonheur; constants et invincibles dans l'adversité; formés pour tous les arts; civilisés jusqu'à l'excès durant le calme de l'État; grossiers et sauvages dans les troubles politiques; flottants, comme des vaisseaux sans lest, au gré de toutes les passions; à présent dans les cieux, l'instant d'après dans l'abîme; enthousiastes et du bien et du mal, faisant le premier sans en exiger de reconnaissance, et le second sans en sentir de remords; ne se souvenant ni de leurs crimes, ni de leurs vertus; amants pusillanimes de la vie pendant la paix, prodigues de leurs jours dans les batailles ; vains, railleurs, ambitieux, à la fois routiniers et novateurs, méprisant tout ce qui n'est pas eux; individuellement, les plus aimables des hommes; en corps, les plus désagréables de tous; charmants dans leur propre pays, insupportables chez l'étranger; tour à tour plus doux, plus innocents que l'agneau qu'on égorge, et plus impitoyables, plus féroces que le tigre qui déchire: tels furent les Athéniens d'autrefois, et tels sont les Français d'aujourd'hui. CHATEAUBRIAND.

Génie du Christianisme.

UN OURAGAN AUX ANTILLES.

TOUTE la plantation était plongée dans le sommeil. Le ciel d'azur brillait de son éclat ordinaire, et une légère brise soufflait par intervalles; enfin aucun des signes qui, dans les climats d'Europe, annoncent l'approche d'une tempête, n'existait dans ce moment.

Vers une heure du matin, le temps changea tout à coup, les étoiles s'éteignirent dans une atmosphère envahie par des vapeurs grisâtres qui descendaient sur la terre, semblables aux ailes de la tempête, enve

loppant sa proie avant de la dévorer. Les myriades d'animaux divers qui remplissent les nuits des Antilles de leurs cris bizarres se turent à l'approche de cette grande convulsion de la nature : tout était immobile.

Bientôt dans le lointain gronde le bruit sourd de la mer qui s'enfle et roule sur ses rivages. Les troupeaux à des plaintes étouffées font succéder de longs gémissements auxquels se mêle le gloussement des oiseaux domestiques. Soudain une brusque secousse, accompagnée d'un hurlement rauque, ébranle et fait craquer toutes les jointures de la charpente des maisons. Les arbres ploient et se relèvent en sifflant; chacun est debout sur sa couche, oppressé d'effroi. Un instant de silence succède à ce signal des éléments. Ah! qui peut décrire les angoisses des malheureux colons? Voilà l'ouragan, voilà l'ennemi! Quelle force humaine lui opposer

?

Une nouvelle secousse fait crier la maison; le tonnerre gronde comme la décharge d'une batterie ; la terre frémit sous les pieds, les toits semblent vaciller, les palissades s'abattre tous les cœurs sont saisis.

D'après les ordres du maître, le nègre de garde prend son lambis pour avertir les esclaves qu'ils doivent abandonner leurs cases et se réfugier dans l'habitation. Il court se placer à l'angle de la maison; et, se couchant jusqu'à terre pour offrir moins de prise au vent, il fait retentir les sons lugubres et prolongés de cette espèce de trompe naturelle.

Rien de plus triste et de plus imposant en même temps que le retentissement de cet appel au milieu d une nuit d'ouragan. Dans les intervalles des bouffées de vent et des roulements sourds du tonnerre, la conque faisait entendre sa voix gémissante. Les hurlements des nègres, qui s'appelaient pour gagner la maison du maître, y répondaient; mais soudain tous ces bruits humains se perdaient sous les nouveaux fracas du vent, de la pluie et de la foudre auxquels se joignaient les mugissements des animaux qui semblaient implorer le secours de l'homme. De malheureux nègres se traînaient en se cramponnant aux racines, aux mottes de

terre, à tout ce qui offrait quelque résistance. Des groupes presque nus, grelottant de froid, épuisés de fatigue, parvenaient à pénétrer pêle-mêle dans la maison, tandis que d'autres, surpris et enlevés, roulaient à quelques centaines de pas en arrière, froissés, étourdis et forcés de recommencer cette effroyable lutte.

Dans ce moment tout était désordre, trouble et terreur la furie dévastatrice de l'ouragan continuait, mais elle n'était pas encore à son plus haut degré de violence. La maison isolée, sans appui, ployait, pour ainsi dire, sous les coups de la tempête. A chaque instant elle pouvait s'abîmer. Une planche cédant, le vent s'engouffrait, et, comme un levier, faisait sauter la toiture.

L'économe et tous les noirs multipliaient leurs efforts pour assujettir par des cordes, des planches, des meubles, les endroits les plus faibles. Quelques-uns des nègres les plus robustes, étant sortis en se traînant, tentaient d'enfoncer dans la terre des pieux et des arcsboutants pour appuyer la maison; mais telle était la furie de la tempête, que, pouvant à peine respirer, ils étaient forcés de s'étendre sur le ventre en se tenant les uns les autres. Par moment l'ouragan faisait taire sa grande voix; on entendait le bruit de la pluie qui tombait comme une multitude de cascades, le roulement de tous les torrents enflés et charroyant des forêts avec fracas dans leurs gorges profondes, le déchirement aigu des arbres et les sons plus sinistres encore que rendaient les essontes de la toiture sous lesquelles les vents se jouaient.

On eût dit le rire éclatant et moqueur de démons présidant à ces terribles fléaux. Mais bientôt tous ces bruits, tous ces sons, se confondirent avec les coups du tonnerre des Tropiques; le redoublement du vent et les frémissements du sol annoncèrent une nouvelle crise. Les hommes frissonnaient, et les femmes, à genoux autour de leur maîtresse, invoquaient le Seigneur.

Enfin une fenêtre enfoncée donna passage au vent qui frappa les cloisons comme un boulet de canon. La maison, bâtie presque de bois, fit entendre un craquement

K

général. Le plafond et le toit enlevés se balancèrent un instant, puis s'envolèrent comme si une main de géant les eût arrachés. Les poutres, les cloisons cédèrent, et au fracas de leur chute succéda un affreux silence. La tempête se reposait, satisfaite de son ouvrage.

Quelques instants après, ceux qui avaient survécu à cette horrible catastrophe sortirent des décombres.

Il était cinq heures du matin; l'ouragan, fatigué de ses gigantesques efforts, ne se manifestait plus que par quelques faibles bouffées de vent; mais le monstre semblait en fuyant faire encore retentir sa voix dans l'âme terrifiée de ses victimes.

Partout sur la route et dans l'intérieur du pays on rencontrait des traces de l'ouragan. Des habitations se montraient avec leurs cases abattues, leurs bâtiments écroulés ou privés de leur toiture, leurs plantations bouleversées ou détruites. Devant les maisons on ne voyait que quelques noirs immobiles dans diverses attitudes, ou un planteur, les bras croisés sur sa poitrine, la tête penchée, absorbé dans le calcul de ses pertes. Ailleurs, quelques hommes emportant des cadavres ou traînant les corps des bestiaux écrasés ou étouffés par le vent. Tout était muet; aucune voix humaine, aucun cri d'animal ne rompait ce silence funèbre; les oiseaux, cachés dans les trous des rochers, et à moitié engourdis, ne faisaient entendre aucun chant; les insectes avaient péri par myriades. sentait que la mort avait passé partout.

LEVILLOUX.

On

LE FRAISIER, OU LE MONDE D'INSECTES SUR UNE

PLANTE.

"Aux regards de Celui qui fit l'immensité,

L'insecte vaut un monde, ils ont autant coûté."

LAMARTINE.

UN jour d'été, pendant que je travaillais à mettre en ordre quelques observations sur les harmonies de ce globe, j'aperçus sur un fraisier, qui était venu par

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