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autres de femmes élégamment parées ; il y a encore le roulement des tambours, les éclats de la fusillade, le cri des sifflets, le grincement des manœuvres, l'harmonie vibrante des fanfares de guerre ; il y a l'émail de ces mille pavillons blancs, verts, jaunes, rouges, qui se découpent sur le bleu du ciel, comme autant de prismes aériens. Il y a enfin le murmure imposant et grandiose de la mer qui mugit derrière la côte, et dont le retentissement sonore et prolongé domine ces bruits divers et les fond en un seul, grand comme elle, imposant comme elle. EUGÈNE SUE.

Vigie de Koat-Ven.

ALGER.

CETTE pyramide de maisons inégales et blanches, et dont la base est une ceinture crénelée, par où sortent des canons à fleur d'eau ; ces dômes blafards que coiffent des palmiers et des cigognes, comme autant d'aigrettes sur un turban ; ces monuments sans croisées extérieures, espèces de maisons aveugles; cette plage sur laquelle se balancent quelques barques alongées, mais sans voile déployée, sans rames, sans gouvernail: enfin cette ville et cette mer engourdies sous le soleil, c'est Alger.

Alger dort, ce vaste nid de pirates; rien n'y décèle la vie et l'activité. Il est impossible d'admettre que c'est de là que partent des nuées de corsaires, avec leurs mille barques; que c'est là qu'ils retournent avec leurs mille prises, remorquant à la suite les uns des autres le brick Français et le schooner Anglais, la flûte Hollandaise et la tartane Sicilienne, le chebec Napolitain et le mistick Sarde: non, ce n'est pas là Alger, la terreur des mers, l'effroi de la Chrétienté.

Ce dernier mot nous dispense presque de dire que nous nous plaçons à cinquante ans environ de distance de notre époque, où Alger est une ville Européenne, presque une ville de second ordre; ayant des lanternes et un peuple, ce qui est le commencement de toute

civilisation et de toute révolution; possédant des fontaines et pas d'eau, comme une ville de premier ordre ; ayant enfin ce que nous n'avons pas, les Bédouins; ce que n'a pas le désert, un maire et un juge de paix.

Alger n'était pas comme cela il y a cinquante ans.— Il y a cinquante ans, lorsqu'une voile Française ou Italienne blanchissait à l'horison, ne fût-elle grande que comme l'aile d'un albatros, Alger, la vieille barbaresque, s'éveillait, frappait dans le creux de ses mains comme un sultan appelant ses esclaves, et hommes nus, rouges, noirs, cuivrés, armés ou sans armes, brandissant l'aviron ou la hache, femmes et enfants, tous coulaient sans bruit le long des maisons, le long des ravins, le long des plages, le long de leurs barques plates, et puis gagnaient la haute mer.

un

Le soir, Alger fumait et flamboyait comme brasier; les captifs ramenés étaient traînés dans les chantiers du dey. Les femmes captives passaient dans son sérail, avec leurs éventails ou leurs mantilles, et puis s'effectuait le partage du menu butin; au chef le tonneau de riz, au soldat le sac, à la femme la mesure, à l'enfant la pincée. Ainsi de tout; puis Alger, ivre et repue, ivre de vin Français, repue de comestibles Anglais, dansait et tournait jusqu'à ce qu'elle tombât.

Dans cet état, Alger paraissait ne pas exister; c'est peut-être dans cet état que la surprit une fois le fameux pirate Barberousse, mais à coup sûr ce ne fut pas dans celui-là qu'elle chassa Charles-Quint.

LÉON GOLZAN.

RUINES DES MONUMENTS GRECS.

L'INSOUCIANCE des Turcs a fait plus de tort aux arts que la lime du temps. Ils ne se donnent pas la peine de tailler des pierres, ils démolissent de superbes édifices antiques, et se servent des matériaux pour construire des baraques. J'ai vu les ruines d'un temple de la plus riche architecture, des blocs de granit, des marbres précieux, des bas-reliefs et des ornements du plus beau

fini, servir à construire une digue grossière qui détournait les eaux d'un ruisseau pour faire tourner les roues d'un misérable moulin en bois. Ailleurs, ce sont des colonnes de tous ordres, arrachées à divers monuments pour servir de soutien au comble d'une écurie. Ici, c'est un autel qu'on a creusé en forme de mortier, qui sert à dépouiller le grain de son enveloppe; un tombeau antique dont on a brisé le fond, formera la margelle d'un puits, et un autre servira d'auge où les troupeaux viendront s'abreuver; une statue qui par sa masse ne peut être déplacée, sera défigurée par les coups de la lance des fanatiques sectateurs du Koran qui proscrit toute représentation humaine. L'on trouvera enfin dans un atelier de sculpteur, ou plutôt d'un barbare fabricant de tombeaux, des marbres dont il s'efforce d'effacer les inscriptions précieuses pour l'histoire de l'antiquité, et cela pour y substituer l'épitaphe d'un obscur descendant de Mahomet. On ne peut faire un pas sans gémir de voir dénaturer ces restes vénérables, et disparaître en un instant le témoignage de tant de siècles de gloire. CASTELLAN.

Lettres sur la Morée.

LA CATARACTE DE NIAGARA.

Nous arrivâmes bientôt au bord de la cataracte, qui s'annonçait par d'affreux mugissements. Elle est formée par la rivière Niagara, qui sort du lac Erié, et se jette dans le lac Ontario; sa hauteur perpendiculaire est de cent quarante-quatre pieds: depuis le lac Erié jusqu'au saut, le fleuve arrive toujours en déclinant par une pente rapide: et, au moment de la chute, c'est moins un fleuve qu'une mer, dont les torrents se pressent à la bouche béante d'un gouffre. La cataracte se divise en deux branches, et se courbe en fer à cheval. Entre les deux chutes s'avance une île, creusée en dessous, qui pend, avec tous ses arbres, sur le chaos des ondes. La masse du fleuve, qui se précipite au midi, s'arrondit en un vaste cylindre, puis se déroule en

nappe de neige, et brille au soleil de toutes les couleurs : celle qui tombe au levant, descend dans une ombre effrayante: on dirait une colonne d'eau du déluge. Mille arcs-en-ciel se courbent et se croisent sur l'abîme. L'onde, frappant le roc ébranlé, rejaillit en tourbillons d'écume qui s'élèvent au-dessus des forêts, comme les fumées d'un vaste embrasement. Des pins, des noyers sauvages, des rochers taillés en forme de fantômes décorent la scène. Des aigles, entraînés par le courant d'air, descendent en tournoyant au fond du gouffre, et des carcajoux se suspendent par leurs longues queues au bout d'une branche abaissée, pour saisir dans l'abîme les cadavres brisés des élans et des ours.

CHATEAUBRIAND.

Génie du Christianisme.

DÉSERTS DE LA SIBÉRIE.

La ville de Tobolsk, capitale de la Sibérie, est située sur les rives de l'Irtish; au nord, elle est entourée d'immenses forêts qui s'étendent jusqu'à la mer Glaciale. Dans cet espace de onze cents verstes on rencontre des montagnes arides, rocailleuses et couvertes de neiges éternelles ; des plaines incultes, dépouillées, où, dans les jours les plus chauds de l'année, la terre ne dégèle pas à un pied; de tristes et larges fleuves dont les eaux glacées n'ont jamais arrosé une prairie, ni vu épanouir une fleur. En avançant davantage vers le pôle, les cèdres, les sapins, tous les grands arbres disparaissent; des broussailles de mélèzes rampants et de bouleaux nains deviennent le seul ornement de ces misérables contrées; enfin, des marais chargés de mousse se montrent comme le dernier effort d'une nature expirante; après quoi toute trace de végétation disparaît. Néanmoins c'est là qu'au milieu des horreurs d'un éternel hiver, la nature a encore des pompes magnifiques; c'est là que les aurores boréales sont fréquentes et majestueuses, et qu'embrassant l'horizon en forme d'arc très-clair d'où partent des colonnes de

lumière mobile, elles donnent à ces régions hyperborées des spectacles dont les merveilles sont inconnues aux peuples du midi. Au sud de Tobolsk s'étend le cercle d'Ischim; des landes, parsemées de tombeaux et entrecoupées de lacs amers, le séparent des Kirguis, peuple nomade et idolâtre. A gauche il est borné par l'Irtish, qui va se perdre, après de nombreux détours, sur la frontière de la Chine, et à droite par le Tobol. Les rives de ce fleuve sont nues et stériles; elles ne présentent à l'œil que des fragments de rocs brisés, entassés les uns sur les autres, et surmontés de quelques sapins; à leur pied, dans un angle du Tobol, on trouve le village domanial de Saïmka; sa distance de Tobolsk est de plus de cinq cents verstes. Placé jusqu'à la dernière limite du cercle, au milieu d'un pays désert, tout ce qui l'entoure est sombre comme son soleil, et triste comme son climat.

Cependant le cercle d'Ischim est surnommé l'Italie de la Sibérie, parce qu'il a quelques jours d'été, et que l'hiver n'y dure que huit mois; mais il y est d'une rigueur extrême. Le vent du nord qui souffle alors continuellement, arrive chargé des glaces des déserts arctiques, et en apporte un froid si pénétrant et si vif, que, dès le mois de Septembre, le Tobol charrie des glaces. Une neige épaisse tombe sur la terre, et ne la quitte plus qu'à la fin de Mai. Il est vrai qu'alors, quand le soleil commence à la fondre, c'est une chose merveilleuse que la promptitude avec laquelle les arbres se couvrent de feuilles et les champs de verdure; deux ou trois jours suffisent à la nature pour faire épanouir toutes ses fleurs. On croirait presque entendre le bruit de la végétation; les chatons des bouleaux exhalent une odeur de rose le cytise velu s'empare de tous les endroits humides; des troupes de cigognes, de canards tigrés, d'oies du nord, se jouent à la surface des lacs; la grue blanche s'enfonce dans les roseaux des marais solitaires pour y faire son nid, qu'elle natte industrieusement avec de petits joncs; et dans les bois, l'écureuil volant, sautant d'un arbre à l'autre, et fendant l'air à l'aide de ses pattes et de sa queue chargée de

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