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balançait ces petites étoiles, et variait de mille manières leurs lumières incertaines. Le sable aussi contenait un grand nombre de petites pierres ferrugineuses qui brillaient de toutes parts: c'était la terre de feu, conservant encore dans son sein les traces du soleil, dont les derniers rayons venaient de l'échauffer.

MADAME DE STAËL.

LE GLACIER DE MONTANVERT.

LA surface du glacier, vue du Montanvert, ressemble à celle d'une mer qui aurait été subitement gelée, non pas dans le moment de la tempête, mais à l'instant où le vent s'est calmé, et où les vagues, quoique très-hautes, sont émoussées et arrondies. Ces grandes ondes sont à peu près parallèles à la longueur du glacier, et elles sont coupées par des crevasses transversales, qui paraissent bleues dans leur intérieur, tandis que la glace paraît blanche à sa surface extérieure.

Entre les montagnes qui dominent le glacier des Bois, celle qui fixe le plus les regards de l'observateur est un grand obélisque de granit qui est en face du Montanvert, de l'autre côté du glacier. On le nomme l'aiguille du Dru; et en effet sa forme arrondie et excessivement élancée lui donne plus de ressemblance avec une aiguille qu'avec un obélisque; ses côtés semblent polis comme un ouvrage de l'art; on y distingue seulement quelques aspérités et quelques fentes rectilignes, très-nettement tranchées.

Lorsqu'on s'est bien reposé sur la jolie pelouse du Montanvert, et qu'on s'est rassasié, si l'on peut jamais l'être, du grand spectacle que présentent ce glacier et les montagnes qui le bordent, on descend par un sentier rapide entre des rhododendrons, des mélèzes et des aroles, jusqu'au bord du glacier. Au bas de cette pente, on trouve ce qu'on appelle la moraine du glacier, ou cet amas de sable et de cailloux qui sont disposés sur ses bords, après avoir été broyés et arrondis par le

roulis et le frottement des glaces. De là, on passe snr le glacier même, et s'il n'est pas trop scabreux et trop entrecoupé de grandes crevasses, il faut s'avancer au moins jusqu'à trois ou quatre cents pas pour se faire une idée de ces grandes vallées de glace. En effet, si l'on se contente de voir celle-ci de loin, du Montanvert, par exemple, on n'en distingue point les détails; ses inégalités ne semblent être que les ondulations arrondies de la mer après l'orage; mais, quand on est au milieu du glacier, ces ondes paraissent des montagnes, et leurs intervalles semblent être des vallées entre ces montagnes. Il faut d'ailleurs parcourir un peu le glacier pour voir ses beaux accidents, ses larges et profondes crevasses, ses grandes cavernes, ses lacs remplis de la plus belle eau renfermée dans des murs transparents de couleur d'aigue-marine; ses ruisseaux d'une eau vive et claire, qui coulent dans des canaux de glace, et qui viennent se précipiter et former des cascades dans des abîmes de glace. Je ne conseillerais cependant pas d'entreprendre de le traverser vis-à-vis du Montanvert, à moins que les guides n'assurent qu'ils connaissent l'état actuel des glaces, et que l'on peut y passer sans trop de difficulté. J'en courus les risques dans mon premier voyage en 1760, et j'eus bien de la peine à en sortir le glacier, dans ce moment-là, était presque impracticable du côté opposé au Montanvert.

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Je franchissais les fentes qui n'étaient pas trop larges; mais il se présenta des vallons de glace très-profonds, dans lesquels il fallait se laisser couler pour remonter ensuite du côté opposé avec une fatigue extrême : d'autres fois, pour traverser des crevasses extrêmement larges et profondes, il me fallait passer comme un danseur de corde sur des arêtes de glace, très-étroites, qui s'étendaient de l'un des bords à l'autre. Le bon Pierre Simon, mon premier guide sur les hautes Alpes, se repentait bien de m'avoir laissé engager dans cette entreprise; il allait, venait, cherchait les passages les moins dangereux, taillait des escaliers dans la glace, me tendait la main lorsque cela était possible, et me donnait en même temps les premières leçons de l'art, car c'en

est un, de poser convenablement les pieds, de poster son corps et de s'aider de son bâton dans ces passages difficiles. J'en sortis pourtant sans autre mal que quelques contusions que je m'étais faites en me laissant dévaler volontairement sur des pentes de glace très-rapides, que nous avions à descendre. Pierre Simon descendait en se glissant, debout sur ses pieds, le corps penché en arrière et appuyé sur son bâton ferré ; il arrivait ainsi au bas de la glace sans se faire aucun mal.

X. B. DE SAUSSURE.

ROME D'AUJOURD'HUI.

TOUT a changé, dans ces lieux, d'aspect et de destination. J'ai vu de jeunes filles suspendre, en chantant, leurs vêtements humides aux colonnes du temple de Jupiter tonnant. Les religieux de Saint-Bruno célèbrent paisiblement leur office dans les Thermes, bâtis avec magnificence par le dernier persécuteur des Chrétiens. Des marchands de marée vendent leur poisson sous les portiques d'Octavie; des bateleurs se sont emparés du tombeau d'Auguste. On invoque aujourd'hui la sainte Vierge dans le temple que Tullius avait élevé jadis à la Fortune virile, et des troupeaux de chèvres font seuls soulever la poussière, en passant sous l'arc de Titus, que traversaient les légions triomphantes, à leur retour de la Judée.

Les rois, les consuls, les empereurs, les héros, ont passé tour à tour. Que reste-t-il aujourd'hui des temples, des statues, des palais, des portiques, dont ils avaient décoré cette enceinte ? Partout le temps a repris ses droits ; et comme au siècle fabuleux d'Évandre, avant la fondation de Rome, les voyageurs qui parcourent ces lieux peuvent se dire encore, avec Virgile: 'Passimque armenta videbant

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Romanoque Foro et lautis mugire Carenis."

* "Ils voyaient çà et là des troupeaux qui mugissaient dans le Forum et dans le brillant quartier des Carenes."

Mais, dans ces lieux mêmes, ravagés par la main du temps, et plus encore par la main des hommes, la mémoire fidèle s'attache aux moindres débris. L'imagination s'aide des plus légers vestiges pour relever ces monuments détruits et les repeupler de grands hommes. Je vois Horatius Coclès debout sur les ruines du pont Sublicius. Je cherche le champ de Cincinnatus audelà de la porte du Peuple. Monté sur le rempart qui regarde vers Tivoli, je vois, en frémissant, flotter les étendards d'Annibal aux bords du Teverone; ou bien, au pied du mont Sacré, j'entends le peuple, sorti de Rome, répondre aux patriciens qui l'opprimaient : "Tout pays où l'on vivra libre deviendra pour nous la patrie !"

Dans les murs, hors des murs de Rome, tout parle des vertus de ses citoyens, ou nous retrace les faits de son histoire. Voilà ce Capitole où des Gaulois, plus heureux que Brennus, vinrent, si longtemps après lui, planter leurs drapeaux de diverses couleurs. Voici les jardins de Néron, je détourne les yeux; voici le tombeau des Scipions, et je m'incline avec respect. J'arrête sur le pont Milvius les ambassadeurs des Allobroges, au moment où, menacée par Catalina, Rome fut sauvée par Cicéron. J'entends, dans le Forum, la liberté expirant sous le génie de César; mais je cours au palais Spada pour admirer cette belle statue de Pompée, au pied de laquelle vint à son tour expirer César, sous le poignard de Brutus. Je te salue avec respect, terre antique et sacrée, où de grands souvenirs font naître de profonds sentiments, et prêtent aux beaux-arts leurs plus riches inspirations!

J. F. BARRIÈRE.

ROME ANTIQUE.

J'ERRAIS sans cesse du Forum au Capitole, du quartier des Carènes au Champ-de-Mars; je courais au théâtre de Germanicus, au môle d'Adrien, au cirque de

Néron, au Panthéon d'Agrippa; je ne pouvais me lasser de voir le mouvement d'un peuple composé de tous les peuples de la terre, et la marche de ces troupes Romaines, Gauloises, Germaniques, Grecques, Africaines, chacune différemment armée et vêtue. Un vieux Sabin passait avec ses sandales d'écorce de bouleau auprès d'un sénateur couvert de pourpre ; la litière d'un consulaire était arrêtée par le char d'une courtisane; les grands bœufs du Clitumne traînaient au Forum l'antique chariot du Volsque; l'équipage de chasse d'un chevalier Romain embarrassait la Voie Sacrée ; des prêtres couraient encenser leurs dieux, et des rhéteurs ouvrir leurs écoles.

Que de fois j'ai visité ces thermes ornés de bibliothèques, ces palais, les uns déjà croulants, les autres à moitié démolis pour servir à construire d'autres édifices! La grandeur de l'horizon Romain se mariant aux grandes lignes de l'architecture Romaine; ces aqueducs qui, comme des rayons aboutissant à un même centre, amènent les eaux au peuple-roi sur des arcs de triomphe; le bruit sans fin des fontaines; ces innombrables statues qui ressemblent à un peuple immobile au milieu d'un peuple agité; ces monuments de tous les âges et de tous les pays; ces travaux des rois, des consuls, des Césars; ces obélisques ravis à l'Égypte, ces tombeaux enlevés à la Grèce. Je ne sais quelle beauté dans la lumière, les vapeurs et le dessin des montagnes ; la rudesse même du cours du Tibre; les troupeaux de cavales demi-sauvages qui viennent s'abreuver dans ses eaux; cette campagne que le citoyen de Rome dédaigne maintenant de cultiver, se réservant à déclarer chaque année aux nations esclaves quelle partie de la terre aura l'honneur de le nourrir. Que vous dirai-je enfin? tout porte, à Rome, l'empreinte de la domination et de la durée : j'ai vu la carte de la ville éternelle tracée sur des roches de marbre au Capitole, afin que son image même ne put s'effacer.

CHATEAUBRIAND.
Les Martyrs.

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