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qui bordent les puits, portent la trace des cordes qui les ont creusées peu à peu. On voit encore sur les murs d'un corps de garde les caractères mal formés, les figures grossièrement esquissées, que les soldats traçaient pour passer le temps, tandis que ce temps avançait pour les engloutir.

Quand on se place au milieu du carrefour des rues, d'où l'on voit de tous les côtés la ville, qui subsiste encore presque en entier, il semble qu'on attende quelqu'un, que le maître soit prêt à venir; et l'apparence même de vie qu'offre ce séjour fait sentir plus tristement son éternel silence. C'est avec des morceaux de lave pétrifiée que sont bâties la plupart de ces maisons qui ont été ensevelies par d'autres laves. Ainsi, ruines sur ruines, tombeaux sur tombeaux ! Cette histoire du monde, où les époques se comptent de débris en débris, cette vie humaine, dont la trace se suit à la lueur des volcans qui l'ont consumée, remplissent le cœur d'une profonde mélancolie. Qu'il y a long temps que l'homme existe! Qu'il y a long temps qu'il vit, qu'il souffre et qu'il périt! Où peut-on trouver ses sentiments et ses pensées? L'air qu'on respire dans ces ruines en est-il encore empreint, ou sont-elles pour jamais déposées dans le ciel, où règne l'immortalité ? Quelques feuilles brûlées des manuscrits qui ont été trouvés à Herculanum et à Pompéi, et que l'on essaie de dérouler à Portici, sont tout ce qui nous reste pour interpréter les malheureuses victimes que le volcan, la foudre de la terre, a dévorées. Mais en passant près de ces cendres, que l'art parvient à ranimer, on tremble de respirer, de peur qu'un souffle n'enlève cette poussière, où de nobles idées sont peut-être encore empreintes. MADAME DE STAËL. Corinne.

CAP COLONNA.

Si on en excepte Athènes et Marathon, il n'y a point dans toute l'Attique de site qui mérite plus d'intérêt. Seize colonnes sont une source inépuisable d'études

pour l'artiste et pour l'antiquaire : le philosophe salue avec respect le lieu où Platon enseignait ses doctrines en conversant avec ses élèves ; le voyageur est enchanté de la beauté d'un paysage d'où l'on voit toutes les îles qui couvrent la mer Egée. Le temple de Minerve se voit d'une grande distance en mer. Je suis allé deux fois par terre et une fois par mer au Cap Colonna. Du côté de la terre, la vue est moins belle que quand on s'en approche en venant des îles. La seconde fois que nous y allâmes par terre, nous fûmes surpris par un parti de Maïnotes qui étaient cachés dans les cavernes. Nous avons su, dans la suite, par un prisonnier qu'ils avaient rendu après avoir reçu sa rançon, qu'ils avaient été détournés de nous attaquer par la vue de deux Albanais qui m'accompagnaient, s'étant imaginés, heureusement pour nous, que nous avions une bonne escorte de ces mêmes Arnautes; ils ne s'avancèrent pas, et laissèrent ainsi passer saine et sauve notre caravane trop peu nombreuse pour opposer aucune résistance. Colonna, autrefois Sunium, n'est pas moins fréquentée par les peintres que par les pirates. LA MARTINE.

LES RUINES DE PALMYRE.

Le soleil venait de se coucher; un bandeau rougeâtre marquait encore sa trace à l'horizon lointain des monts de la Syrie la pleine lune, à l'orient, s'élevait sur un fond bleuâtre aux planes rives de l'Euphrate; le ciel était pur, l'air calme et serein; l'éclat mourant du jour tempérait l'horreur des ténèbres; la fraîcheur naissante de la nuit calmait les feux de la terre embrasée; les pâtres avaient retiré leurs chameaux; l'œil n'apercevait plus aucun mouvement sur la plaine monotone et grisâtre; un vaste silence régnait sur le désert; seulement, à de longs intervalles, l'on entendait les lugubres cris de quelques oiseaux de nuit et de quelques chacals. L'ombre croissait, et déjà, dans le crépuscule, mes

regards ne distinguaient plus que les fantômes blanchâtres des colonnes et des murs. Ces lieux solitaires, cette soirée paisible, cette scène majestueuse, imprimèrent à mon esprit un recueillement religieux. L'aspect d'une grande cité déserte, la mémoire des temps passés, la comparaison de l'état présent, tout éleva mon cœur à de hautes pensées. Je m'assis sur le tronc d'une colonne; et là, le coude appuyé sur le genou, la tête soutenue sur la main, tantôt portant mes regards sur le désert, tantôt les fixant sur les ruines, je m'abandonnai à une rêverie profonde.

Ici, me dis-je, ici fleurit jadis une ville opulente; ici fut le siége d'un empire puissant. Oui, ces lieux, maintenant si déserts, jadis une multitude vivante animait leur enceinte, une foule active circulait dans ces routes aujourd'hui solitaires : en ces murs, où règne un morne silence, retentissaient sans cesse le bruit des arts et les cris d'allégresse et de fêtes; ces marbres amoncelés formaient des palais réguliers; ces colonnes abattues ornaient la majesté des temples, ces galeries écroulées dessinaient les places publiques! Là, pour les devoirs respectables de son culte, pour les soins touchants de sa subsistance, affluait un peuple nombreux. Là, une industrie créatrice de jouissances appelait les richesses de tous les climats, et l'on voyait s'échanger la pourpre de Tyr pour le fil précieux de la Sérique, les tissus moelleux de Cachemire pour les tapis fastueux de la Lydie, l'ambre de la Baltique pour les perles et les parfums Arabes, l'or d'Ophir pour l'étain de Thulé !

Et maintenant, voilà ce qui subsiste de cette ville puissante, un lugubre squelette! Voilà ce qui reste d'une vaste domination, un souvenir obscur et vain! Au concours bruyant qui se pressait sous ces portiques, a succédé une solitude de mort. Le silence des tombeaux s'est substitué au murmure des places publiques. L'opulence d'une cité de commerce s'est changée en une pauvreté hideuse. Les palais des rois sont devenus le repaire des bêtes fauves; les troupeaux parquent au seuil des temples, et les reptiles immondes habitent le

sanctuaire des dieux! Ah! comment s'est éclipsée tant de gloire! Comment se sont anéantis tant de travaux ! Ainsi donc périssent les ouvrages des hommes ! Ainsi s'évanouissent les empires et les nations! VOLNEY.

Les Ruines.

EFFET PITTORESQUE DES RUINES DE PALMYRE,

D'ÉGYPTE, ETC.

Les ruines, considérées sous les rapports pittoresques, sont d'une ordonnance plus magique dans un tableau, que le monument frais et entier. Dans les temples que les siècles n'ont point percés, les murs masquent une partie du paysage et empêchent qu'on ne distingue les colonnades et les cintres de l'édifice; mais, quand ces temples viennent à crouler, il ne reste que des masses isolées, entre lesquelles l'œil découvre au haut et au loin les astres, les nues, les forêts, les fleuves, les montagnes alors, par un jeu naturel de l'optique, les horizons reculent, et les galeries, suspendues en l'air, se découpent sur les fonds du ciel et de la terre. Ces beaux effets n'ont pas été inconnus des anciens; ils élevaient des cirques sans masses pleines pour laisser un libre accès à toutes les illusions de la perspective.

Les ruines ont ensuite des accords particuliers avec leurs déserts, selon le style de leur architecture, les lieux où elles se trouvent placées, et les règnes de la nature, au méridien qu'elles occupent.

Dans les pays chauds, peu favorables aux herbes et aux mousses, elles sont privées de ces graminées qui décorent nos châteaux et nos vieilles tours; mais aussi de plus grands végétaux se marient aux plus grandes formes de leur architecture. A Palmyre, le dattier fend les têtes d'hommes et de lions qui soutiennent les chapiteaux du temple du Soleil. Le palmier remplace de sa colonne la colonne tombée; et le pêcher, que les anciens consacraient à Harpocrate, s'élève dans la retraite du silence. On y voit encore une espèce d'ardre, dont le feuillage échevelé, et les fruits en cristaux, forment, avec

les débris pendants, de beaux accords de tristesse. Une caravane, arrêtée dans ces déserts, y multiplie les effets pittoresques. Le costume oriental ailie bien sa noblesse à la noblesse de ces ruines; et les chameaux et les dromadaires semblent en accroître les dimensions, lorsque, couchés entre de grands fragments de maçonnerie, ces énormes animaux ne laissent voir que leurs têtes fauves et leurs dos bossus.

Les ruines changent de caractère en Égypte; souvent elles étalent, dans un petit espace, toutes les sortes d'architecture et toutes sortes de souvenirs. Les sphinx et les colonnes du vieux style Égyptien s'élèvent auprès de l'élégante colonne Corinthienne. Un morceau d'ordre Toscan s'unit a une tour Arabesque. D'innombrables débris sont roulés dans le Nil, enterrés dans le sol, cachés sous l'herbe: des champs de fèves, des rizières, des plaines de trèfles, s'étendent à l'entour. Quelquefois des nuages, jetés en ondes sur les flancs des ruines, les partagent en deux moitiés : le chacal, monté sur un piédestal vide, allonge son museau de loup derrière le buste d'un Pan à tête de bélier; la gazelle, l'autruche, l'ibis, la gerboise, sautent parmi les décombres; et la poule sultane s'y tient immobile, comme un oiseau hiéroglyphique de granit et de porphyre.

La vallée de Tempé, les bois de l'Olympe, les côtes de l'Attique et du Péloponnèse, étalent de toutes parts les ruines de la Grèce. Là, commencent à paraître les mousses, les plantes grimpantes et les fleurs saxatiles; une guirlande vagabonde de jasmin embrasse une Vénus antique, comme pour lui rendre sa ceinture. Une barbe de mousse blanche descend du menton d'une Hébé; le pavot croît sur les feuillets du livre de Mnémosyne, aimable symbole de la renommée passée, et de l'oubli présent de ces lieux. Les flots de l'Égée qui viennent expirer sous de croulants portiques, Philomèle qui se plaint, Alcyon qui gémit, Cadmus qui roule ses anneaux autour d'un autel, le cygne qui fait son nid dans le sein d'une Léda; tous ces accidents, produits par les Gràces, enchantent ces poétiques débris. Un souffle divin anime encore la poussière des temples

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