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plus élevées, plus pures, votre sensibilité plus expansive, plus calme, vos facultés plus agissantes? D'où vient qu'ici vous vivez davantage ? C'est qu'ici tout est réalité, tout est vie; c'est qu'ici chaque être, en se développant, ne contrarie, ne blesse pas l'être qui se développe à côté de lui; c'est que si, dans ce magnifique tableau, les nuances, les couleurs, les oppositions, les contrastes, les formes, sont infinis, vous n'y découvrez néanmoins rien de discordant, rien de heurté, rien qui arrête péniblement vos regards; en un mot, c'est qu'ici se manifeste dans toute sa majesté, dans toute sa richesse, cet ordre puissant de la nature, dont le propre, comme vous le voyez, est de donner à chaque chose son harmonie, c'est-à-dire, la plénitude de son être et de ses rapports, et, avec toutes les harmonies particulières qu'il produit, de composer sans cesse des harmonies nouvelles, progressivement plus variées et plus étendues.

Mais un bruit imprévu se fait entendre. Du sommet des montagnes se précipite avec fracas une avalanche redoutable. Sa masse énorme brise, froisse, bouleverse toutes les couches d'air qu'elle parcourt dans sa chute : les vents naissent de ce bouleversement subit, les vents, précurseurs de la tempête. Sous leur action impétueuse les vapeurs répandues dans l'espace se condensent transformées tout à coup en nuages menaçants; l'astre du jour pâlit; une obscurité soudaine envahit l'horizon, et, se déployant par degrés, ensevelit sous ses teintes noirâtres les forêts superbes, les paysages enchantés, les sites pittoresques, et ces collines parées d'une si douce verdure. Cependant la tempête éclate; d'horribles éclairs brillent d'une lumière effrayante dans la profondeur des cieux; le tonnerre retentit de toutes parts, rendu plus affreux par les échos de la contrée. Le lac, violemment agité, soulève en mugissant ses vagues écumantes; les vents soufflent avec fureur; le pin altier, le chêne orgueilleux, chancellent sur leurs troncs robustes, l'humble arbrisseau se tourmente sur sa tige flexible; au haut des airs, les nuages s'entrechoquent de leurs flancs rompus par la foudre tombe

à flots redoublés une pluie formidable; en un instant, toute la région en est inondée : les ruisseaux roulent, bondissent avec l'impétuosité des torrents; les cascades deviennent d'épouvantables chutes d'eau ; et cette vallée, si riante et si belle, maintenant jonchée de débris, n'offre plus à l'œil consterné qu'une vaste scène de désolation et de ruines. Où fuyez-vous, bons et simples habitants de ces hameaux? où vont ces femmes éperdues, ces enfants en pleurs, ces vieillards soucieux? Je les vois qui cherchent un asile dans les roches caverneuses de la contrée, tandis qu'au fond de la vallée, luttant contre le débordement des eaux, et mêlant les sons aigus de leurs cors rustiques aux accents lugubres de la tempête, les bergers inquiets appellent les troupeaux que la crainte a dispersés, et les chassent devant eux vers les lieux plus tranquilles. Or, au point d'élévation où nous sommes, et sous cette voûte naturelle qui nous garantit, nous pouvons contempler à loisir les effets de l'orage, sans avoir à redouter ses fureurs.-Et néanmoins d'où naît l'effroi qui vous saisit? D'où vient qu'à l'aspect de la scène terrible qui se développe sous vos yeux, vos humeurs, comme subitement empêchées dans leur cours, ne circulent plus qu'avec une pénible lenteur ? Pourquoi la tristesse de vos pensées, le trouble de vos sens, la contrainte de toutes vos facultés ? C'est qu'il n'y a plus ici de mouvement, de vie; c'est qu'ici toutes les réalités souffrent, tous les développements sont arrêtés; c'est que d'une réalité à une autre, il ne se transmet plus d'influence bienfaisante, d'émanation salutaire ; c'est que chaque être ici est fatigué dans ses rapports, gêné, contrarié dans ses habitudes; c'est qu'ici toutes les analogies sont interrompues, toutes les consonnances disparaissent, toutes les couleurs se heurtent ou se confondent; en un mot, c'est qu'ici le désordre se montre dans toute sa difformité, le désordre dont le propre donc, comme je l'ai fait remarquer, de comprimer, d'isoler tout ce qu'il touche, de bouleverser, de détruire toutes les harmonies, d'ôter aux principes des êtres leur expansion, et à la masse des effets, leur ensemble et leur unité. BERGASSE.

est

LE COR DES ALPES.

LE cor des Alpes est un instrument construit de l'écorce du cerisier, et qui, comme le porte-voix, sert à porter les sons à une grande distance. Quand les derniers rayons du soleil dorent le sommet des Alpes, le pâtre qui habite l'endroit le plus élevé de ces montagnes prend son cor, et crie à haute voix: "Béni soit le Seigneur!" Aussitôt qu'on l'a entendu, les pâtres voisins quittent leurs cabanes et répétent ces mots. Les sons se prolongent pendant plusieurs minutes, car tous les échos des montagnes, et toutes les grottes des rochers répétent le nom de Dieu. Quelle est solennelle cette scène! l'imagination ne peut se représenter rien de plus sublime; le profond silence qui succède, le spectacle de ces énormes montagnes, sur lesquelles la voûte des cieux semble se reposer, tout élève l'âme à l'enthousiasme. Cependant les bergers plient le genou, et prient en plein air: bientôt après ils se retirent dans leurs cabanes pour y jouir du repos.

VUE DU LIBAN.

LE Liban, dont le nom doit s'étendre à toute la chaîne du Kesraouân et du pays des Druses, présente tout le spectacle des grandes montagnes. On y trouve à chaque pas ces scènes où la nature déploie tantôt de l'agrément ou de la grandeur, tantôt de la bizarrerie, toujours de la variété. Arrive-t-on par la mer, et descend-on sur le rivage? la hauteur et la rapidité de ce rempart qui semble fermer la terre, le gigantesque des masses qui s'élancent dans les nues, inspirent l'étonnement et le respect. Si l'observateur curieux se transporte ensuite jusqu'à ces sommets qui bornaient sa vue, l'immensité de l'espace qu'il découvre devient un autre sujet de son admiration.

Mais, pour jouir entièrement de ce spectacle, il faut se placer sur la cime même du Liban ou du Sannin. Là, de toutes parts, s'étend un horizon sans bornes; la, par un temps clair, la vue s'égare, et sur le désert qui

confine au golfe Persique, et sur la mer qui baigne l'Europe: l'âme croit embrasser le monde. Tantôt les regards, errant sur la chaîne successive des montagnes, portent l'esprit, en un clin d'œil, d'Antioche à Jérusalem; tantôt, se rapprochant de tout ce qui les environne, ils sondent la lointaine profondeur du rivage; enfin l'attention, fixée par des objets distincts, observe avec détail les rochers, les bois, les torrents, les coteaux, les villages, et les villes. On prend un plaisir secret à trouver petits ces objets qu'on a vus si grands. On regarde avec complaisance la vallée couverte de nuées orageuses, et l'on sourit d'entendre sous ses pas ce tonnerre qui gronda si longtemps sur la tête. On aime à voir à ses pieds ces sommets, jadis menaçants, devenus, dans leur abaissement, semblables aux sillons d'un champ ou aux gradins d'un amphithéâtre. L'on est flatté d'être devenu le point le plus élevé de tant de choses, et l'orgueil les fait regarder avec plus de complaisance.

Lorsque le voyageur parcourt l'intérieur de ces montagnes, l'aspérité des chemins, la rapidité des pentes, la profondeur des précipices, commencent par l'effrayer. Bientôt l'adresse des mulets qui le portent le rassure, et il examine à son aise les incidents pittoresques qui se succèdent pour le distraire. Là, comme dans les Alpes, il marche des journées entières pour arriver dans un lieu qui, dès le départ, est en vue: il tourne, il descend, il côtoie, il grimpe; et, dans ce changement perpétuel de sites, on dirait qu'un pouvoir magique varie à chaque pas les décorations de la scène. ce sont des villages prêts à glisser sur des pentes rapides, et tellement disposés que les terrasses d'un rang de maisons servent de rue au rang qui les domine. Tantôt, c'est un couvent placé sur un cône isolé; ici, un rocher, percé par un torrent, est devenue une arcade naturelle; là, un autre rocher, taillé à pic, ressemble à une haute muraille; souvent, sur les coteaux, les bancs de pierre, dépouillés et isolés par les eaux, ressemblent à des ruines que l'art aurait disposées. En plusieurs lieux les eaux, trouvant des couches inclinées, ont miné

Tantôt

la terre intermédiaire, et ont formé des cavernes ; ailleurs, elles se sont pratiqué des cours souterrains, où coulent des ruisseaux pendant une partie de l'année.

Quelquefois ces incidents pittoresques sont devenus tragiques: on a vu, par des dégels et des tremblements de terre, des rochers perdre leur équilibre, se renverser sur les maisons voisines, et en écraser les habitants. Il y a environ vingt ans qu'un accident semblable ensevelit un village qui n'a laissé aucunes traces. Plus récemment, et près du même lieu, le terrain d'un coteau, chargé de mûriers et de vignes, s'est détaché par un dégel subit; et, glissant sur le talus de roc qui le portait, il est venu, semblable à un vaisseau qu'on lance du chantier, s'établir tout d'une pièce dans la vallée inférieure. VOLNEY. Voyage en Syrie.

LES RUINES DE POMPÉI.

A ROME, l'on ne trouve guère que les débris des monuments publics, et ces monuments ne retracent que l'histoire politique des siècles écoulés; mais à Pompéi, c'est la vie privée des anciens qui s'offre à vous telle qu'elle était. Le volcan qui a couvert cette ville de cendres, l'a préservée des outrages du temps. Jamais des édifices exposés à l'air ne se seraient ainsi maintenus, et ce souvenir enfoui s'est retrouvé tout entier. Les peintures, les bronzes, étaient encore dans leur beauté première, et tout ce qui peut servir aux usages domestiques, est conservé d'une manière effrayante. Les amphores sont encore préparées pour le festin du jour suivant; la farine qui allait être pétrie, est encore là; les restes d'une femme sont encore ornés des parures qu'elle portait dans le jour de fête que le volcan a troublé, et ses bras desséchés ne remplissent plus le bracelet de pierreries qui les entoure encore. On ne peut voir nulle part une image aussi frappante de l'interruption subite de la vie. Le sillon des roues est visiblement marqué sur les pavés dans les rues, et les pierres

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