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Jeanne d'Arc partit de Crespy pour aller s'enfermer avec la garnison. Dès le jour même de son arrivée, elle tenta une sortie par la porte du pont, de l'autre côté de la rivière d'Aisne. Elle tomba à l'improviste sur le quartier du Sire de Noyelles, au moment où Jean de Luxembourg et quelques-uns de ses cavaliers y étaient venus pour reconnaitre la ville de plus près. Le premier choc fut rude; les Bourguignons étaient presque tous sans armes. Le Sire de Luxembourg se maintenait de son mieux, en attendant qu'on pût lui amener les secours de son quartier, qui était voisin, et de celui des Anglais. Bientôt, le cri d'alarme se répandit parmi tous les assiégeants, et ils commencèrent à arriver en foule. Les Français n'étaient pas en nombre pour résister: ils se mirent en retraite. Jeanne d'Arc se montra plus vaillante que jamais; deux fois elle ramena ses gens sur l'ennemi; enfin, voyant qu'il fallait rentrer dans la ville, elle se mit en arrière-garde pour protéger leur marche et les maintenir en bon ordre contre les Bourguignons qui, sûrs maintenant d'être bien appuyés, se lançaient vigoureusement à la poursuite. Ils reconnaissaient l'étendard de Jeanne d'Arc, et la distinguaient à sa huque d'écarlate, brodée d'or et d'argent; enfin ils poussèrent jusqu'à elle. La foule se pressait sur le pont. De crainte que l'ennemi n'entrât dans la ville à la faveur de ce désordre, la barrière n'était point grande ouverte; Jeanne se trouva environnée des ennemis; elle se défendit courageusement avec une forte épée qu'elle avait conquise à Lagny sur un Bourguignon. Enfin, un archer Picard, saisissant sa huque de velours, la tira en bas de son cheval; elle se releva, et, combattant encore à pied, elle parvint jusqu'au fossé qui environnait le boulevard devant le pont. Pothon le Bourguignon, vaillant chevalier du parti du roi, et quelques autres étaient restés avec elle, et la défendirent avec des prodiges de valeur. Enfin il lui fallut se rendre à Lionel, bâtard de Vendôme, qui se trouva près d'elle. DE BARANTE.

COMBAT DU TAUREAU.

Au milieu du champ est un vaste cirque environné de nombreux gradins: c'est là que l'auguste reine, habile dans cet art si doux de gagner les cœurs de son peuple en s'occupant de ses plaisirs, invite souvent ses guerriers au spectacle le plus chéri des Espagnols. Là, les jeunes chefs, sans cuirasse, vêtus d'un simple habit de soie, armés seulement d'une lance, viennent, sur de rapides coursiers, attaquer et vaincre des taureaux sauvages. Des soldats à pied, plus légers encore, les cheveux enveloppés dans des réseaux, tiennent d'une main un voile de pourpre, de l'autre des lances aiguës. L'alcade proclame la loi de ne secourir aucun combattant, de ne leur laisser d'autres armes que la lance pour immoler, le voile de pourpre pour se défendre. Les rois, entourés de leur cour, président à ces jeux sanglants; et l'armée entière, occupant les immenses amphithéâtres, témoigne par des cris de joi, par des transports de plaisir et d'ivresse, quel est son amour effréné pour ces antiques combats.

Le signal se donne, la barrière s'ouvre, le taureau s'élance au milieu du cirque; mais, au bruit de mille fanfares, aux cris, à la vue des spectateurs, il s'arrête, inquiet et troublé : ses naseaux fument; ses regards brûlants errent sur les amphithéâtres; il semble également en proie à la surprise, à la fureur. Tout à coup

il se précipite sur un cavalier qui le blesse, et fuit rapidement à l'autre bout. Le taureau s'irrite, le poursuit de près, frappe à coups redoublés la terre, et fond sur le voile éclatant que lui présente un combattant à pied. L'adroit Espagnol, dans le même instant, évite à la fois sa rencontre, suspend à ses cornes le voile léger, et lui darde une flèche aiguë qui de nouveau fait couler son sang. Percé bientôt de toutes les lances, blessé de ces traits pénétrants dont le fer courbé reste dans la plaie, l'animal bondit dans l'arène, pousse d'horribles mugissements, s'agite en parcourant le cirque, secoue les flèches nombreuses enfoncées dans son large cou,

fait voler ensemble les cailloux broyés, les lambeaux de pourpre sanglants, les flots d'écume rougie, et tombe enfin épuisé d'efforts, de colère et de douleur.

FLORIAN.

LES AMIS ET L'ARGENT.

UN riche Musulman était malade depuis quelques semaines, et s'étonnait que deux ou trois de ses amis ne le vinrent pas voir. "Ils n'osent," lui dit son homme d'affaires; "vous leur avez prêté de grosses sommes, dont le paiement est échu, et qu'ils ne sont pas en état de vous rendre." "Eh bien !" répondit le malade, va leur dire de ma part, qu'ils ne me doivent plus rien mais que je les prie de venir chercher leurs quittances. J'aime mieux perdre mon argent que

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mes amis."

On peut joindre à cette petite histoire le double expédient que donne le poëte Sadi, pour se délivrer des importuns. "S'ils sont pauvres," dit-il "prêtezleur de l'argent; s'ils sont riches, priez-les de vous en prêter. Dans l'un et dans l'autre cas, vous êtes moralement sûr de ne les plus revoir."

L'ABBÉ BLANCHET.

LE DERVICHE INSULTÉ.

LE favori d'un Sultan jeta une pierre à un pauvre Derviche, qui lui demandait l'aumône. Le religieux outragé n'osa rien dire: mais il ramassa la pierre et la garda, se promettant bien de la rejeter, tôt ou tard, à cet homme superbe et cruel. Quelque temps après, on vint lui dire que le favori était disgracié; que, par ordre du Sultan, on le promenait dans les rues, monté sur un chameau et exposé aux insultes de la populace. A cette nouvelle, le Derviche courut prendre sa pierre:

mais après un moment de réflexion, il la jeta dans un puits. "Je pense à présent," dit-il, "qu'il ne faut jamais se venger: quand notre ennemi est puissant, c'est imprudence et folie; quand il est malheureux, c'est bassesse et cruauté."

L'ABBÉ BLANCHET.

DÉFINITIONS, DESCRIPTIONS, &c.

L'ORDRE ET LE DÉSORDRE DANS LE MONDE PHYSIQUE.

"Le tonnerre et les vents déchirent les nuages;
Le fermier de ses champs contemple les ravages."

SAINT-LAMBERT.

QU'EST-CE que l'ordre et le désordre dans le monde physique? Pénétrons ensemble dans cette vallée qui se prolonge devant nous. Des monts sourcilleux en protégent l'enceinte; leurs sommets, couverts d'une neige éternelle, étincellent au loin, resplendissants de tous les feux de l'astre du jour; au-dessous de la région des neiges, et à des hauteurs inégales, une immense forêt de pins se déploie, dont les feuillages sombres rehaussent encore l'éclat de la zone brillante qu'elle termine; plus bas, les teintes deviennent moins sévères. Des collines, plus ou moins élevées, appuient leurs croupes verdoyantes sur les flancs des montagnes, et, dans leur développement pittoresque, offrent à l'œil enchanté, tantôt d'agrestes solitudes, tantôt de magnifiques paysages; ici, de doux et secrets asiles; là, des perspectives lointaines, dont les traits fugitifs viennent se perdre dans l'azur des cieux, ou se refléter mollement dans les ondulations incertaines

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du lac majestueux qui borne l'horizon. Des eaux, pures comme l'air que vous respirez, s'échappent des réservoirs supérieurs qui les alimentent ; et, distribuées en ruisseaux limpides, ou en cascades argentées, elles ajoutent, par leurs effets divers, au charme de la contrée. Voyez comme ces cabanes dispersées se groupent agréablement avec les masses de verdure qui les environnent. Chacune est abritée contre le vent du nord ou la chaleur importune du midi, par des bosquets d'ormes, de hêtres, de chênes verts; chacun a son verger, qu'enclôt une double haie vive, entremêlée d'arbustes odorants; au devant sont des champs cultivés, qui se couvrent, suivant la saison, de légumes savoureux, ou de moissons abondantes, tandis qu'au fond de la vallée, de superbes troupeaux errent dans de vastes pâturages, interrompus ça et là par des touffes d'églantiers, des plantations d'aunes toujours frais, ou des saules robustes, dont la cognée destructive a respecté les rameaux. C'est ici le séjour de la paix profonde et de l'innocente joie. Quelle expression de bonheur est répandue sur la physionomie de ces femmes, de ces enfants, de ces vieillards réunis auprès de leurs demeures champêtres, et se livrant, en commun, à des occupations convenables à leur sexe, ou proportionées à leurs forces! Quel mélange de noblesse et de sérénité, de confiance naïve et de bonté courageuse dans les traits de ces jeunes gens qui, sous les yeux de leurs heureuses familles, se partagent entre eux les travaux de la culture ou le soin des troupeaux! Entendezvous ces accents prolongés, ces chants mélodieux, ces murmures, ces sons, ces voix ineffables, qui, s'élevant de toutes les profondeurs de cette terre fortunée, célèbrent, comme à l'envi, l'éternel et inépuisable Auteur de tant de biens? Qu'il est touchant, qu'il est sublime ce concert solennel d'hommages et de reconnaissance!— Or, maintenant, à l'aspect d'une scène si imposante et si romantique, d'où naît l'involontaire et douce émotion dont vous êtes agité ? D'où vient qu'ici vos organes ont plus de mouvement, plus de liberté, plus de jeu ? D'où vient que vos pensées sont

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