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Vers pour mettre sous le portrait de M. de La Bruyère 1, au-devant de son livre des Caractères du temps.

1693.

Tout esprit orgueilleux qui s'aime

Par mes leçons se voit guéri;

Et dans mon livre si chéri

Apprend à se haïr soi-même.

Épitaphe de M. Arnauld, docteur de Sorbonne.

1694.

Au pied de cet autel, de structure grossière,
Git sans pompe, enfermé dans une vile bière,
Le plus savant mortel qui jamais ait écrit;
Arnauld, qui, sur la grâce instruit par Jésus-Christ,
Combattant pour l'Église, a, dans l'Église même,
Souffert plus d'un outrage et plus d'un anathème.
Plein du feu qu'en son cœur souffla l'esprit divin,
Il terrassa Pélage 3, il foudroya Calvin *;

De tous les faux docteurs confondit la morale.
Mais, pour fruit de son zèle, on l'a vu rebuté,
En cent lieux opprimé par leur noire cabale,
Errant, pauvre, banni, proscrit, persécuté;
Et même par sa mort leur fureur mal éteinte
N'aurait jamais laissé ses cendres en repos,
Si Dieu lui-même ici de son ouaille sainte
A ces loups dévorants n'avait caché les os.

1. La Bruyère (1644-1696) s'illustra par la publication d'un ouvrage intitulé Les caractères ou les mœurs de ce siècle (1687).

2. V. p. 30, note 4. Arnauld, mort en Flandre, fut enterré dans une chapelle près de Bruxelles. L'épitaphe que Boileau a composée pour lui est un acte de courage, car

Louis XIV et les jésuites étaient au nombre des « loups dévorants » dont il parle au dernier vers.

3. Les Molinistes, adversaires d'Arnauld, étaient accusés de reproduire, après le jésuite espagnol Molina,les erreurs de Pélage, hérésiarque du ve siècle combattu par saint Augustin. 4. V. p. 80, note 4.

A Mme la présidente de Lamoignon, sur le portrait du père Bourdaloue qu'elle m'avait envoyé.

1704.

Du plus grand orateur dont la chaire se vante,
M'envoyer le portrait, illustre présidente,

C'est me faire un présent qui vaut mille présents.
J'ai connu Bourdaloue, et dès mes jeunes ans
Je fis de ses sermons mes plus chères délices 1.
Mais lui, de son côté lisant mes vains caprices,
Des censeurs de Trévoux n'eut point pour moi les yeux.
Ma franchise surtout gagna sa bienveillance,
Enfin, après Arnauld, ce fut l'illustre en France
Que j'admirai le plus et qui m'aima le mieux.

Le Bûcheron et la Mort 2. (Fable d'Esope.)

1668.

Le dos chargé de bois, et le corps tout en eau,
Un pauvre bûcheron, dans l'extrême vieillesse,
Marchait en haletant de peine et de détresse.
Enfin, las de souffrir, jetant là son fardeau,
Plutôt que de s'en voir accablé de nouveau,
Il souhaite la Mort, et cent fois il l'appelle.
La Mort vint à la fin : « Que veux-tu? cria-t-elle.
Qui? moi! dit-il alors prompt à se corriger :
Que tu m'aides à me charger. »

Sur Homère 3.

1702.

Quand la dernière fois, dans le sacré vallon,
La troupe des neuf Sœurs, par l'ordre d'Apollon,

1. Bourdaloue (1632-1704) ne commença à prêcher à la cour qu'en 1670, au moment où Bossuet cessait de s'y faire entendre.

2. Cette fable que Boileau com

posa l'année même où La Fontaine publiait son premier recueil, est détestable; celle du fabuliste est au contraire un chef-d'œuvre.

3. Cette pièce a été faite pour

Lut l'Iliade et l'Odyssée,

Chacune à les louer se montrant empressée :
Apprenez un secret qu'ignore l'univers,
Leur dit alors le dieu des vers;

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Jadis avec Homère, aux rives du Permesse 1,
Dans ce bois de lauriers où seul il me suivait,
Je les fis toutes deux, plein d'une douce ivresse :
Je chantais, Homère écrivait. »

amener la traduction d'un vers grec de l'Anthologie dont voici le sens : « Je chantais, moi, le divin Homère écrivait sous ma dictée. »

1. Petite rivière de la Grèce ancienne; elle prend sa source au pied du mont Hélicon, consacré aux Muses, de même que le Parnasse.

ÉPIGRAMMES

Sur un frère aîné que j'avais, et avec qui j'étais brouillé 1.

1669.

De mon frère, il est vrai, les écrits sont vantés;
Il a cent belles qualités;

Mais il n'a point pour moi d'affection sincère.
En lui je trouve un excellent auteur,
Un poète agréable, un très bon orateur;
Mais je n'y trouve point de frère.

Contre Saint-Sorlin 2.

Dans le palais hier Bilain
Voulait gager contre Ménage*,
Qu'il était faux que Saint-Sorlin
Contre Arnauld eût fait un ouvrage.
« Il en a fait, j'en sais le temps,
Dit un des plus fameux libraires,
Attendez... C'est depuis vingt ans;
On en tira cent exemplaires.

- C'est beaucoup, dis-je en m'approchant;
La pièce n'est pas si publique.

Il faut compter, dit le marchand;

Tout est encor dans ma boutique. >>

1. Ce frère aîné, appelé Gilles Boileau, était poète de mérite; on a de lui, entre autres choses, une traduction du IVe Livre de l'Enéide, dans laquelle se trouvent de très beaux vers. Né en 1631, il était de l'Académie française à 29 ans; il mourut en 1669, et ce fut l'auteur des Satires qui publia ses œuvres posthumes en 1670. La postérité

n'aurait pas dû être mise au courant des jalousies de Gilles Boileau et de la vengeance qu'en tira son frère.

2. Desmarets de Saint-Sorlin, v. p. 30, note 5.

3. Avocat dont le véritable nom était Vilain.

4. V.
p. 33, note 3.
5. V. p. 30, note 4.

Sur la première représentation de l'Agésilas de M. de Corneille que j'avais vue.

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