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PHARAMOND.

Il est vrai, seigneur. Mais l'amour...

PLUTON. Oh! l'amour! l'amour! Va exagérer, si tu veux, les injustices de l'amour dans mes galeries1. Mais pour moi, le premier qui m'en viendra encore parler, je lui donnerai de mon sceptre tout au travers du visage. En voilà un qui entre. Il faut que je lui casse la tête.

MINOS. Prenez garde à ce que vous allez faire. Ne voyez-vous pas que c'est Mercure?

PLUTON.

Ah! Mercure, je vous demande pardon. Mais ne venez-vous point aussi me parler d'amour?

MERCURE. Vous savez bien que je n'ai jamais fait l'amour pour moi-même. La vérité est que je l'ai fait quelquefois pour mon père Jupiter, et qu'en sa faveur autrefois j'endormis si bien le bon Argus, qu'il ne s'est jamais réveillé. Mais je viens vous apporter une bonne nouvelle. C'est qu'à peine l'artillerie que je vous amène a paru, que vos ennemis se sont rangés dans le devoir. Vous n'avez jamais été roi plus paisible de l'enfer que vous l'ètes.

PLUTON.

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Divin messager de Jupiter, vous m'avez rendu la vie. Mais, au nom de notre proche parenté, dites-moi, vous qui êtes le dieu de l'éloquence, comment vous avez souffert qu'il se soit glissé dans l'un et dans l'autre monde une si impertinente manière de parler que celle qui règne aujourd'hui, surtout en ces livres qu'on appelle romans; et comment vous avez permis que les plus grands héros de l'antiquité parlassent ce langage.

MERCURE.

Hélas! Apollon et moi, nous sommes des dieux qu'on n'invoque presque plus; et la plupart des écrivains d'aujourd'hui ne connaissent pour leur véritable patron qu'un certain Phébus qui est bien le plus impertinent personnage qu'on puisse voir. Du reste, je viens vous avertir qu'on vous a joué une pièce.

PLUTON.

MERCURE.

ici?

PLUTON.

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Une pièce à moi ! Comment ?

Vous croyez que les vrais héros sont venus

Assurément, je le crois, et j'en ai de bonnes preuves, puisque je les tiens encore ici tous renfermés dans les galeries de mon palais.

MERCURE. Vous sortirez d'erreur, quand je vous dirai que c'est une troupe de faquins, ou plutôt de fantômes

1. Cette phrase manque dans l'édition de 1713.

BOILEAU.

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chimériques qui, n'étant que de fades copies de beaucoup de personnages modernes, ont eu pourtant l'audace de prendre le nom des plus grands héros de l'antiquité, mais dont la vie a été fort courte, et qui errent maintenant sur les bords du Cocyte et du Styx. Je m'étonne que vous y ayez été trompé. Ne voyez-vous pas que ces gens-là n'ont nul caractère des héros? Tout ce qui les soutient aux yeux des hommes, c'est un certain oripeau et un faux clinquant de paroles, dont les ont habillés ceux qui ont écrit leur vie, et qu'il n'y a qu'à leur ôter pour les faire paraître tels qu'ils sont. J'ai même amené des Champs Élysées, en venant ici, un Français pour les reconnaître quand ils seront dépouillés; car je me persuade que vous consentirez sans peine qu'ils le soient.

PLUTON.J'y consens si bien que je veux que sur-lechamp la chose ici soit exécutée. Et pour ne point perdre de temps, gardes, qu'on les fasse de ce pas sortir tous de mes galeries par les portes dérobées, et qu'on les amène tous dans la grande place. Pour nous, allons nous mettre sur le balcon de cette fenêtre basse, d'où nous pourrons les contempler et leur parler tout à notre aise. Qu'on y porte nos sièges. Mercure, mettez-vous à ma droite, et vous, Minos, à ma gauche; et que Diogène se tienne derrière

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UN GARDE.

PLUTON.

Les voilà qui arrivent en foule.

Y sont-ils tous ?

On n'en a laissé aucun dans les galeries. · Accourez donc, vous tous, fidèles exécuteurs de mes volontés, spectres, larves, démons, furies, milices infernales que j'ai fait assembler. Qu'on m'entoure tous ces prétendus héros, et qu'on me les dépouille.

CYRUS. Quoi vous ferez dépouiller un conquérant comme moi!

PLUTON.

- Hé de grâce, généreux Cyrus, il faut que vous passiez le pas.

HORATIUS COCLES. Quoi! un Romain comme moi, qui a défendu lui seul un pont contre toutes les forces de Porsenna, vous ne le considérez pas plus qu'un coupeur de bourses?

PLUTON.

ASTRATE.

Je m'en vais te faire chanter.

- Quoi! un galant aussi tendre et aussi passionné que moi, vous le ferez maltraiter?

PLUTON. Je m'en vais te faire voir la reine. Ah! les

voila dépouillés.

MERCURE

- Où est le Français que j'ai amené?

Me volla, seigneur, que souhaitez-vous ? Tiens, regarde bien tous ces gens-la; les con

LE FRANÇAIS.
PLUTON.

nais-tu ?

LE PRINÇAIS. — Si je les connais? He! ce sont tous la plupart des bourgeois de mon quartier. Bonjour, madame Lucrèce. Bonjour, monsieur Brutus. Bonjour, mademoiselle Clélie. Bonjour, monsieur Horatius Coclės.

PLUTON. — Tu vas voir accommoder tes bourgeois de toutes pièces. Allons, qu'on ne les épargne point ; et qu'après qu'ils auront été abondamment fustiges, on mè les conduise tous, sans différer, droit aux bords du fleuve de Léthé‘. Puis, lorsqu'ils y seront arrivés, qu'on me les jette tous, la tête la première, dans l'endroit du fleuve le plus profond, eux, leurs billets doux, leurs lettres galantes, leurs vers passionnés, avec tous les nombreux volumes, ou, pour mieux dire, les monceaux de ridicule papier où sont écrites leurs histoires. Marchez donc, faquins, autrefois si grands héros. Vous voilà arrivés à votre fin, ou, pour mieux dire, au dernier acte de la comédie que vous avez jouée si peu de temps.

CHOEUR DE HÉROS, s'en allant chargés d'escourgées 2, — Ah ! La Calprenède ! Ah! Scudéry!

PLUTON.

Eh! que ne les tiens-je! que ne les tiens-je! Ce n'est pas tout, Minos. Il faut que vous vous en alliez tout de ce pas donner ordre que la même justice se fasse sur tous leurs pareils dans les autres provinces de mon

royaume.

MINOS.

Je me charge avec plaisir de cette commission. MERCURE. Mais voici les véritables héros qui arrivent, et qui demandent à vous entretenir. Ne voulez-vous pas qu'on les introduise?

PLUTON.

Je serai ravi de les voir; mais je suis si fatigué des sottises que m'ont dites tous ces impertinents usurpateurs de leurs noms, que vous trouverez bon qu'avant tout j'aille faire un somme.

1. Fleuve de l'Oubli. (Note de Boileau)

2. Sorte de fouet fait avec des lanières de cuir.

REMERCIMENT

A MESSIEURS DE L'ACADÉMIE FRANÇAISE.

LE 1er JUILLET 1684.

[Le frère aîné de Boileau était de l'Académie française à 29 ans; l'auteur de l'Art poétique eut toutes les peines du monde à s'y faire admettre à 47 ans; il fallut un ordre du roi pour triompher du mauvais vouloir de la célèbre compagnie. C'est pour cette raison que le discours de réception de Boileau a si peu de valeur à tous les points de vue; le poète se sentait gêné. Il a donc prodigué à ses nouveaux confrères les éloges, les protestations de reconnaissance et d'humilité; il a cru surtout qu'il pourrait se tirer d'embarras en consacrant à louer le roi la plus grande partie de son Remerciment. On peut voir en lisant ce discours combien étaient difficiles les relations de Boileau avec les gens de lettres de son temps, même après la mort de Chapelain et de Cotin].

MESSIEURS,

L'honneur que je reçois aujourd'hui est quelque chose pour moi de si grand, de si extraordinaire, de si peu attendu, et tant de sortes de raisons semblaient devoir pour jamais m'en exclure1 que, dans le moment même où je vous en fais mes remercîments, je ne sais encore ce que je dois croire. Est-il possible, est-il bien vrai que vous m'ayez en effet jugé digne d'être admis dans cette illustre compagnie, dont le fameux établissement ne fait guère moins d'honneur à la mémoire du cardinal de Richelieu2

1. L'auteur avait écrit contre plu- | çaise. Le chancelier Séguier prit sieurs académiciens. (Note de Boileau.)

2. Des lettres patentes de 1635 autorisèrent le cardinal de Richelieu à prendre le titre de «< chef et protecteur de l'Académie fran

ce titre en 1642, et les séances de l'Académie se tinrent en son hôtel. Louis XIV en 1672 se déclara le protecteur de cette compagnie à laquelle il permit de s'assembler au Louvre. (Note de Boileau)

que tant de choses merveilleuses qui ont été exécutées sous son ministère? Et que penserait ce grand homme, que penserait ce sage chancelier, qui a possédé après lui la dignité de votre protecteur, et après lequel vous avez jugé ne pouvoir choisir d'autre protecteur que le roi même ; que penseraient-ils, dis-je, s'ils me voyaient aujourd'hui entrer dans ce corps si célèbre, l'objet de leurs soins et de leur estime, et où, par les lois qu'ils ont établies, par les maximes qu'ils ont maintenues, personne ne doit être reçu qu'il ne soit d'un mérite sans reproche, d'un esprit hors du commun, en un mot, semblable à vous? Mais à qui est-ce encore que je succède dans la place que vous m'y donnez? N'est-ce pas à un homme1 également considérable et par ses grands emplois et par sa profonde capacité dans les affaires, qui tenait une des premières places dans le conseil, et qui, en tant d'importantes occasions, a été honoré de la plus étroite confiance de son prince, à un magistrat non moins sage qu'éclairé, vigilant, laborieux, et avec lequel plus je m'examine, moins je me trouve de proportion?

Je sais bien, messieurs, et personne ne l'ignore, que, dans le choix que vous faites des hommes propres à remplir les places vacantes de votre savante assemblée, vous n'avez égard ni au rang, ni à la dignité; que la politesse, le savoir, la connaissance des belles-lettres ouvrent chez vous l'entrée aux honnêtes gens, et que vous ne croyez point remplacer indignement un magistrat du premier ordre, un ministre de la plus haute élévation, en lui substituant un poète célèbre, un écrivain illustre par ses ouvrages, et qui n'a souvent d'autre dignité que celle que son mérite lui donne sur le Parnasse. Mais, en qualité même d'homme de lettres, que puis-je vous offrir qui soit digne de la grâce dont vous m'honorez? Serait-ce un faible recueil de poésies qu'une témérité heureuse et quelque adroite imitation des anciens ont fait valoir, plutôt que la beauté des pensées, ni la richesse des expressions? Serait-ce une traduction2 si éloignée de ces grands chefs-d'œuvre que vous nous donnez tous les jours, et où vous faites si glorieusement revivre les Thucydide, les Xénophon, les Tacite et tous ces autres célè

1. M. de Bezons, conseiller d'É- | Sublime du rhéteur grec Longin; tat. (Note de Boileau.) Boileau l'accompagna de Remarques

2. La traduction du Traité du judicieuses.

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