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Aux Révérends Pères Jésuites, auteurs du Journal de Trévoux.

1703.

Mes révérends pères en Dieu,

Et mes confrères en satire,

Dans vos écrits en plus d'un lieu,

Je vois qu'à mes dépens vous affectez de rire.
Mais ne craignez-vous point que pour rire de vous,
Relisant Juvénal, refeuilletant Horace,

Je ne ran me encor ma satirique audace?
Grands Aristarques de *** 1.

N'allez point de nouveau faire courir aux armes
Un athlète tout prêt à prendre son congé,
Qui, par vos traits malins au combat rengagé,
Peut encore aux rieurs faire verser des larmes.
Apprenez un mot de Régnier

Notre célèbre devancier :

2

« Corsaires attaquant corsaires
Ne font pas, dit-il, leurs affaires. >>

L'amateur d'horloges.

1704.

Sans cesse autour de six pendules,
De deux montres, de trois cadrans,
Lubin, depuis trente et quatre ans,
Occupe ses soins ridicules.

Mais à ce métier, s'il vous plaît,
A-t-il acquis quelque science?

Sans doute; et c'est l'homme de France
Qui sait le mieux l'heure qu'il est 3.

1. De Trévoux. La rime suffisait à le faire deviner. Aristarque, nom d'un critique grec aussi éclairé que bienveillant, est devenu un nom commun, le contraire de Zoïle, le critique ignorant et injuste. Ce mot est employé ici par ironie.

2. V. p. 22, note 1.

3. On a substitué aux mots le mieux les mots le moins, parce qu'un homme qui consulte ainsi onze horloges difficilement d'accord a de grandes chances pour ne pas bien savoir l'heure.

FRAGMENT D'UN PROLOGUE D'OPÉRA

AVERTISSEMENT AU LECTEUR.

Mme de M*** et Mme de T***, sa sœur1, lasses des opéras de M. Quinault, proposèrent au roi d'en faire faire un par M. Racine, qui s'engagea assez légèrement à leur donner cette satisfaction, ne songeant pas dans ce moment là à une chose dont il était plusieurs fois convenu avec moi, qu'on ne peut jamais faire un bon opéra, parce que la musique ne saurait narrer; que les passions n'y peuvent être peintes dans toute l'étendue qu'elles demandent; que d'ailleurs elle ne saurait souvent mettre en chant les expressions vraiment sublimes et courageuses. C'est ce que je lui représentai, quand il me déclara son engagement; et il m'avoua que j'avais raison; mais il était trop avancé pour reculer. Il commença dès lors en effet un opéra, dont le sujet était la chute de Phaéton. Il en fit même quelques vers qu'il récita au roi, qui en parut content. Mais comme M. Racine n'entreprenait cet ouvrage qu'à regret, il me témoigna résolument qu'il ne l'achèverait point que je n'y travaillasse avec lui, et me déclara avant tout qu'il fallait que j'en composasse le prologue. J'eus beau lui représenter mon peu de talent pour ces sortes d'ouvrages, et que je n'avais jamais fait de vers d'amourettes il persista dans sa résolution, et me dit qu'il me le ferait ordonner par le roi. Je songeai donc en moi-même à voir de quoi je serais capable, en cas que je fusse absolument obligé de travailler à un ouvrage si opposé à mon génie et à mon inclination. Ainsi, pour m'essayer, je traçai, sans en rien dire à personne, non pas même à M. Racine, le canevas d'un prologue; et j'en composai une première scène. Le sujet de cette scène était une dispute de la Poésie

1. Il s'agit ici de Mine de Montespan (1641-1707) et de Mme de Thianges, sa sœur, qui mourut en

1693. Ce projet d'opéra ne peut guère être postérieur à l'année 1677, date de la conversion de Racine.

et de la Musique, qui se querellaient sur l'excellence de leur art, et étaient enfin toutes prêtes à se séparer, lorsque tout à coup la déesse des accords, je veux dire l'Harmonie, descendait du ciel avec tous ses charmes et tous ses agréments, et les réconciliait. Elle devait dire ensuite la raison qui la faisait venir sur la terre, qui n'était autre que de divertir le prince de l'univers le plus digne d'être servi, et à qui elle devait le plus, puisque c'était lui qui la maintenait dans la France, où elle régnait en toutes choses. Elle ajoutait ensuite que, pour empêcher que quelque audacieux ne vînt troubler, en s'élevant contre un si grand prince, la gloire dont elle jouissait avec lui, elle voulait que dès aujourd'hui même, sans perdre de temps, on représentât sur la scène la chute de l'ambitieux Phaéton, Aussitôt tous les poètes et tous les musiciens, par son ordre, se retiraient et s'allaient habiller. Voilà le sujet de mon prologue, auquel je travaillai trois ou quatre jours avec un assez grand dégoût, tandis que M. Racine de son côté, avec non moins de dégoût, continuait à disposer le plan de son opéra, sur lequel je lui prodiguais mes conseils. Nous étions occupés à ce misérable travail, dont je ne sais si nous nous serions bien tirés, lorsque tout à coup un heureux incident nous tira d'affaire. L'incident fut que M. Quinault s'étant présenté au roi les larmes aux yeux, et lui ayant remontré l'affront qu'il allait recevoir s'il ne travaillait plus au divertissement de Sa Majesté, le roi, touché de compassion, déclara franchement aux dames dont j'ai parlé, qu'il ne pouvait se résoudre à lui donner ce déplaisir. Sic nos servavit Apollo 1. Nous retournâmes donc, M. Racine et moi, à notre premier emploi, et il ne fut plus mention de notre opéra, dont il ne resta que quelques vers de M. Racine, qu'on n'a point trouvés dans ses papiers après sa mort, et que vraisemblablement il avait supprimés par délicatesse de conscience, à cause qu'il y était parlé d'amour. Pour moi, comme il n'était point question d'amourettes dans la scène que j'avais composée, non seulement je n'ai pas jugé à propos de la supprimer; mais je la donne ici au public, persuadé qu'elle fera plaisir aux lecteurs, qui ne seront peut-être pas fâchés de voir de quelle manière je m'y étais pris pour adoucir l'amertume et la force de ma poésie

1. C'est ainsi qu'Apollon nous préserva.

satirique, et pour me jeter dans le style doucereux. C'est de quoi ils pourront juger par le fragment que je leur présente ici, et que je leur présente avec d'autant plus de confiance, qu'étant fort court, s'il ne les divertit, il ne leur laissera pas du moins le temps de s'ennuyer.

PROLOGUE D'OPÉRA

LA POÉSIE, LA MUSIQUE.

LA POÉSIE.

Quoi! par de vains accords et des sons impuissants,
Vous croyez exprimer tout ce que je sais dire!

LA MUSIQUE.

Aux doux transports qu'Apollon vous inspire, Je crois pouvoir mêler la douceur de mes chants. LA POÉSIE.

Oui, vous pouvez, aux bords d'une fontaine,

Avec moi soupirer une amoureuse peine,
Faire gémir Tircis, faire craindre Clymène 1;
Mais, quand je fais parler les héros et les dieux,
Vos chants audacieux

Ne me sauraient prêter qu'une cadence vaine.
Quittez ce soin ambitieux.

LA MUSIQUE.

Je sais l'art d'embellir vos plus rares merveilles.

LA POÉSIE.

On ne veut plus alors entendre votre voix.

LA MUSIQUE.

Pour entendre mes sons, les rochers et les bois
Ont jadis trouvé des oreilles.

1. Noms de berger et de bergère.

LA POÉSIE.

Ah! c'en est trop, ma sœur, il faut nous séparer.
Je vais me retirer;

Nous allons voir sans moi ce que vous saurez faire.

LA MUSIQUE.

Je saurai divertir et plaire;

Et mes chants moins forcés n'en seront que plus doux. LA POÉSIE.

Hé bien, ma sœur, séparons-nous.

LA MUSIQUE.

Séparons-nous.

CHOEUR DE POÈTES ET DE musiciens.
Séparons-nous, séparons-nous.

LA POÉSIE.

Mais quelle puissance inconnue
Malgré moi m'arrête en ces lieux?
LA MUSIQUE.

Quelle divinité sort du sein de la nue?

LA POÉSIE.

Quels chants mélodieux

Font retentir ici leur douceur infinie?

LA MUSIQUE.

Ah! c'est la divine Harmonie
Qui descend des cieux!
LA POÉSIE.

Qu'elle étale à nos yeux
De grâces naturelles !

LA MUSIQUE.

Quel bonheur imprévu la fait ici revoir!

LA POÉSIE ET LA MUSIQUE.

Oublions nos querelles,

Il faut nous accorder pour la bien recevoir.
CHOEUR DE POÈTES ET DE MUSICIENS.

Oublions nos querelles,

Il faut nous accorder pour la bien recevoir.

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