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NOTICE

BIOGRAPHIQUE ET LITTÉRAIRE

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Il est des écrivains dont on ne saurait étudier les œuvres sans jeter autour d'eux un regard attentif, parce qu'ils ont été mêlés de la façon la plus directe à la vie littéraire de leur temps: tel fut Horace au temps d'Auguste, tel fut chez nous Boileau, qui tient une si grande place dans ce qu'on appelle avec raison le siècle de Louis XIV. On s'est habitué à considérer ce poète comme le législateur du Parnasse français de 1660 à 1710, et il est impossible de parler de Corneille, de Racine, de Molière et de La Fontaine sans nommer

l'auteur des Satires, des Épitres et de l'Art poétique, comme il est impossible de lire Boileau sans faire connaissance avec Quinault, Cotin, Chapelain et soixante autres,

Dont les noms en cent lieux, placés comme en leurs niches,
Vont de ses vers malins remplir les hémistiches.

Il est donc nécessaire, si l'on veut étudier Boileau avec profit, de bien replacer ce poète dans son milieu, de vivre pour ainsi dire un instant de sa vie, de voir enfin quel était l'état de la poésie française en 1657, lors de son avènement à la vie littéraire, et, cinquante ans plus tard, à l'époque de sa mort. Tel sera l'objet de cette courte notice.

Naissance de Boileau, ses premières années. Nicolas Boileau, qui prit dans la suite le nom de Despréaux pour se distinguer de ses trois frères et d'un prédicateur célèbre appartenant à une autre famille, naquit au cœur même de Paris, à deux pas du Palais de Justice, le 1er novembre 1636. Il était le 15 enfant d'un homme qui en eut 16; son père, greffier de la grand'chambre du Parlement, avait 52 ans de plus que lui; sa mère était, au contraire, une jeune femme de 26 ans, qui mourut en 1638, deux ans à peine après lui avoir donné le jour. L'enfance de Boileau fut donc triste: abandonné durant ses premières années aux soins d'une gouvernante acariâtre, il fut mis de très bonne heure au collège; une maladie cruelle, la pierre, l'en fit sortir vers l'âge de 10 ou 12 ans, puis il y rentra et, quand il eut achevé ses études, son père, presque septuagénaire, rêva pour lui « la poudre du greffe ». Mais le vieux greffier de la grand'chambre mourut en 1657, et Nicolas se trouva libre de choisir des occupations plus conformes à ses goûts. Il avait alors 21 ans; il était maître d'un revenu modeste, mais suffisant pour un jeune homme sans ambition et sans autre passion que celle de la poésie; il abandonna donc aussitôt la chicane et les procès pour la littérature; il résolut de se faire homme de lettres, comme nous dirions aujourd'hui. Il commença aussitôt par étudier les modèles, par voir le monde, et Ice fut en 1660, après trois années d'une sorte d'apprentissage, qu'il lut sa première satire dans un petit cercle d'amis.

Etat de la poésie française en 1657. Quel était, en 1657, l'état de la poésie française? et dans quel genre le jeune Despréaux pouvait-il songer à se faire un nom? La poésie dramatique, qui avait brillé d'un si vif éclat lors de l'apparition du Cid, l'année même où naquit Boileau, subissait depuis quelque temps une sorte d'éclipse. Corneille, découragé, n'avait rien donné au théâtre depuis trois ans, et c'était son frère Thomas qui « consolait alors Paris » avec des tragédies comme Timocrate et Bérénice, dont on ignore aujourd'hui jusqu'aux noms. Dans la comédie se distinguaient alors Scarron, auteur de don Japhet d'Arménie, Quinault et Gabriel Gilbert, pour nommer seulement les plus célèbres. Il semble donc que Boileau, s'il avait eu le génie de la poésie dramatique, aurait pu être encouragé par la médiocrité des auteurs en vogue à cette date de 1657; mais il ne se sentait aucun goût pour ce genre de composition, et si, comme beaucoup d'écoliers, il avait jadis ébauché une tragédie, son bon sens ne lui avait pas mème permis de l'achever. Les poètes épiques étaient encore plus nombreux en 1657 que les poètes dramatiques; Saint-Amant, Scudéry, Brébeuf venaient de publier coup sur coup, en 1653 et en 1654, Moyse, Alaric ou Rome vaincue, la Pharsale; Chapelain s'était enfin décidé à faire paraître, après vingt ans d'attente, les 12 premiers chants de sa Pucelle (1656), et Desmarets de SaintSorlin imprimait son Clovis, ou la France chrétienne. Boileau lut

évidemment ces différents poèmes lors de leur apparition, et le dégoût que lui causa cette lecture contribua sans nul doute à l'éloigner de la poésie épique. Il en fut de même, on peut l'affirmer, pour les autres genres de poésie, représentés alors par Corneille, traducteur de l'Imitation, par l'évêque de Vence, Godeau, auteur de Poésies chrétiennes, par d'Assoucy, par Adam Billaut, le menuisier de Nevers, par Ménage, qui publiait un volume de vers grecs, latins, français et italiens, et enfin par tous ces méchants rimeurs dont on lira les noms à chaque page des satires. Le jeune Despréaux ne voulut point faire entendre sa voix dans cet étrange concert; il aima mieux attendre quelques années, et il se lia d'amitié avec un petit nombre de lettrés plus àgés ou plus jeunes que lui, avec La Fontaine, avec Molière dès son retour à Paris en 1658, avec Racine enfin.

Premières satires (1660-1665). Ce fut seulement à 24 ans, en 1660, que Boileau fit circuler, mais sans vouloir qu'on l'imprimât, une satire contre les vices de la société parisienne et contre les ennuis de la vie à Paris : c'était la Satire I, augmentée d'une seconde partie qui devint ensuite la Satire VI. Trois ans plus tard (1663) il fit encore une satire qui témoignait de son peu d'erthousiasme pour le genre même qu'il avait choisi, c'était la Satire VII, intitulée : Adieux à la satire. On voit combien les débuts du poète étaient difficiles, combien il avait raison de « se plaindre de la rime », comme il dira plus tard; mais c'est à force de forger qu'on devient forgeron, et les années 1664 et 1665 furent marquées par une production plus abondante (Satires II et IV en 1664, Discours au Roi, Satires III et V l'année suivante). L'accueil fait à ces différentes pièces dans les salons, ou comme on disait alors dans les réduits et dans les ruelles, aurait pu engager le poète à les publier, mais il s'y refusait toujours; il ne s'y résigna qu'en 1666, lorsqu'un libraire de Rouen se fut permis d'en publier, à son insu, en 1665, une édition pleine de fautes.

Première édition; suite des œuvres de Boileau (1666).-Boileau, âgé de 29 ans, publia donc sous le voile de l'anonyme qu'il devait conserver jusqu'en 1701, un petit volume intitulé OEuvres poétiques du sieur D***, contenant le Discours au Roi et sept satires. A dater de ce jour il fut célèbre, et si la publication des Satires lui suscita, comme il l'a dit lui-même, « d'utiles ennemis », en revanche elle lui valut l'estime et l'amitié des gens de goût : il s'en trouva pour apprécier les services rendus à la saine littérature par ce jeune homme courageux, car il y avait du courage à attaquer ainsi des auteurs en possession de la faveur publique. Animé par le succès, il continua à faire des satires, mais résolut d'aborder l'épître à l'exemple d'Horace, son maître. Il composa en 1667 les Satires VIII et IX; en 1669 il publia ses deux premières Épitres et commença l'Art poétique, dont la première édition parut en 1674

avec les quatre premiers chants du Lutrin. Épîtres et satires se succédèrent alors à intervalles plus ou moins éloignés, car l'auteur des Satires est resté 26 ans sans en composer une seule; et grâce à cette réserve, gràce surtout à la protection de Louis XIV qui, après avoir laissé sans réponse le Discours au Roi de 1665, avait fort bien accueilli la première épître en 1669, Despréaux put vaincre les résistances des littérateurs de son temps et entrer à l'Académie française en 1684; il avait 47 ans1. Chargé par le roi, en 1677, des fonctions d'historiographe, il était alors au comble de la gloire. La plupart de ses victimes étaient mortes; ses ennemis, qui ne désarmèrent pas, étaient ridicules et odieux; ils n'avaient jamais été attaqués par lui dans leur caractère ou dans leur vie. privée, car comme l'a dit avec raison Boileau lui-même :

Sa muse en écrivant, charitable, discrète,

Sait de l'homme d'honneur distinguer le poète.

ils répondirent par des personnalités grossières et cherchèrent à faire passer leur adversaire pour un malhonnête homme, pour un ennemi de l'État et du Roi. Cotin, Desmarets de Saint-Sorlin et Pradon se déshonorèrent ainsi par leur mauvaise foi; Quinault, le plus injustement attaqué, garda le silence et finit même, lorsqu'il commença, comme Racine, à faire pénitence, par se réconcilier sincèrement avec l'auteur des Satires.

Faveur croissante de Boileau; hostilité des Jésuites, édition de 1710 supprimée. On a vu plus haut quels étaient au début les amis de Boileau: La Fontaine, Molière et Racinę, qui écoutaient ses avis et le consultaient sur la composition de leurs chefsd'œuvre; à ces amis de la première heure s'en joignirent d'autres qui s'honorèrent en admettant le poète dans leur intimité et en lui assurant leur protection; il faut nommer parmi eux le premier président de Lamoignon, les ministres Pomponne et Colbert, les marquis de Dangeau et de Seignelay, les ducs de Vivonne et de La Rochefoucauld, le prince de Condé, le roi enfin qui dit un jour à Boileau « Souvenez-vous que j'ai toujours une heure par semaine à vous donner, quand vous voudrez venir. »

Cette faveur était méritée, et le poète n'en abusa jamais; elle ne dura pourtant pas autant que sa vie. Lorsque Racine fut mort, en 1699, Boileau se retira peu à peu de la cour. «< Qu'irais-je faire ? disait-il, je ne sais plus louer.. Il s'attira même, comme Racine, une sorte de disgrace par sa franchise et par son dévouement à la cause de la vertu persécutée. Les Jésuites suscitèrent des ennuis au poète qui avait osé dire :

La vertu n'était point sujette à l'ostracisme
Et ne s'appelait point alors un j*** [jansėnisme].

1. Son frère ainė, Gilles Boileau, mort en 1669, avait fait partie de la

docte compagnie dès l'âge de 27 ans, et son bagage littéraire était mince.

ils empêchèrent Boileau d'imprimer en 1710 quelques pièces qui leur déplaisaient; le roi, gouverné par eux, lui refusa un privilège pour l'édition qui était alors sous presse, à moins que les pièces désagréables aux Jésuites ne fussent supprimées et les manuscrits de ces pièces remis entre ses mains. Boileau aima mieux supprimer l'édition tout entière, mais il s'entendit avec un libraire pour que ses œuvres fussent publiées dans leur intégrité après sa mort; cette sage précaution nous a valu l'excellente édition de 1713.

Dernières années; l'Académie en 1710; mort de Boileau. Cette dernière partie de la vie de Boileau est d'ailleurs assez triste; accablé d'infirmités, car il était asthmatique et sourd et sa vue s'était fort affaiblie; sans autre famille que des neveux pressés de recueillir son héritage, il avait eu le chagrin de survivre au plus beau siècle de la littérature française; il avait vu mourir successivement Molière, Corneille, La Fontaine, Racine, Bossuet, Bourdaloue, Regnard même, et, de tous les grands esprits de ce temps, il ne restait guère que Fénelon, alors exilé dans son archevêché de Cambrai. S'il allait à l'Académie pour se distraire; il y trouvait, pour nommer seulement les plus célèbres, Valincour, Thomas Corneille, Campistron, Fontenelle, Dacier, Renaudot, Fleury, Pavillon, et sans doute il se sentait mal à l'aise au milieu d'eux. Il sut comprendre les avertissements que lui donnait ainsi la mort: il vendit sa maison d'Auteuil, qui avait fait si longtemps ses délices, il cessa de voir le monde, il prit un logement dans le quartier le plus vilain de Paris, à l'ombre des tours Notre-Dame, chez le janséniste Le Noir, son confesseur. C'est là que Boileau mourut âgé de 75 ans, le 13 avril 1711; ses restes, déposés dans l'église basse de la Sainte-Chapelle, sont aujourd'hui dans l'église Saint-Germain-des-Prés. Une foule considérable suivit le convoi du satirique, et l'on raconte qu'une femme du peuple s'écriait en voyant passer le cortège : « Il avait bien des amis! On assure pourtant qu'il' disait du mal de tout le monde. » C'est qu'en effet, par la dignité de sa vie, par sa loyauté parfaite, par sa bonté enfin qui l'a fait appeler par le médisant Saint-Simon « l'un des meilleurs hommes du monde,» par toutes ces qualités si rarement réunies chez l'homme de lettres, Boileau avait mérité d'avoir les «< amis véritables » dont a parlé La Fontaine. On a raconté à son sujet une foule d'anecdotes vraies ou fausses; il suffit d'en citer une ou deux d'une authenticité incontestable, pour montrer quelle était la bonté de son cœur. Il apprit un jour que l'avocat Patru, tombé dans «<l'indigence » était contraint de vendre sa bibliothèque, une des dernières consolations de l'homme instruit; Boileau se hata de l'acheter, puis il pria Patru de vouloir bien conserver ses chers livres jusqu'à sa mort. Apprenant une autre fois que la pension servie à Corneille venait d'être supprimée, il courut chez le contrôleur des finances et insista pour que sa pension à lui fût attribuée au grand tragique. On aurait donc tort de se représenter

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