Page images
PDF
EPUB

En vain vous me frappez d'un son mélodieux,
Si le terme est impropre, ou le tour vicieux :
Mon esprit n'admet point un pompeux barbarisme,
Ni d'un vers ampoulé l'orgueilleux solécisme1.
Sans la langue, en un mot, l'auteur le plus divin
Est toujours, quoi qu'il fasse, un méchant écrivain 2.
Travaillez à loisir, quelque ordre qui vous presse,
Et ne vous piquez point d'une folle vitesse:
Un style si rapide, et qui court en rimant,
Marque moins trop d'esprit, que peu de jugement.
J'aime mieux un ruisseau qui, sur la molle arène,
Dans un pré plein de fleurs lentement se promène,
Qu'un torrent débordé qui, d'un cours orageux,
Roule, plein de gravier, sur un terrain fangeux.
Hàtez-vous lentement; et, sans perdre courage,
Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage :
Polissez-le sans cesse et le repolissez;

Ajoutez quelquefois, et souvent effacez.

C'est peu qu'en un ouvrage où les fautes fourmillent,
Des traits d'esprit semés de temps en temps pétillent.
Il faut que chaque chose y soit mise en son lieu;
Que le début, la fin répondent au milieu;
Que d'un art délicat les pièces assorties

N'y forment qu'un seul tout de diverses parties;
Que jamais du sujet le discours s'écartant
N'aille chercher trop loin quelque mot éclatant.
Craignez-vous pour vos vers la censure publique?
Soyez-vous à vous-même un sévère critique.
L'ignorance toujours est prête à s'admirer.
Faites-vous des amis prompts à vous censurer:
Qu'ils soient de vos écrits les confidents sincères,
Et de tous vos défauts les zélés adversaires.

1. Le barbarisme est une faute de langue; le solécisme est une faute contre la syntaxe. Dans ces deux vers des Femmes savantes:

Mon Dieu! je n'avons pas étugué comme vous, Et je parlons tout droit comme on parle cheux [nous étugué et cheux sont des barba

rismes; je n'avons et je parlons sont des solécismes.

2. Rien n'est plus vrai ; les contemporains peuvent s'y tromper, mais la postérité n'admet que les ouvrages bien écrits.

3. Scudéry disait toujours pour s'excuser de travailler si vite qu'il avait ordre de finir. (Note de Boileau.)

Dépouillez1 devant eux l'arrogance d'auteur;

Mais sachez de l'ami discerner le flatteur.

Tel vous semble applaudir, qui vous raille et vous joue.
Aimez qu'on vous conseille, et non pas qu'on vous loue.
Un flatteur aussitôt 2 cherche à se récrier :
Chaque vers qu'il entend le fait extasier 3.

Tout est charmant, divin; aucun mot ne le blesse;
Il trépigne de joie; il pleure de tendresse;
il vous comble partout d'éloges fastueux.
La vérité n'a point cet air impétueux.

Un sage ami, toujours rigoureux, inflexible,
Sur vos fautes jamais ne vous laisse paisible:
Il ne pardonne point les endroits négligés;
Il renvoie en leur lieu les vers mal arrangés 4;
H réprime des mots l'ambitieuse emphase;
Ici le sens le choque, et plus loin c'est la phrase;
Votre construction semble un peu s'obscurcir;
Ce terme est équivoque, il le faut éclaircir.
C'est ainsi que vous parle un ami véritable.
Mais souvent sur ses vers un auteur intraitable 5
A les protéger tous se croit intéressé,

Et d'abord prend en main le droit de l'offensé 6.
« De ce vers, direz-vous, l'expression est basse.

Ah! monsieur, pour ce vers je vous demande grâce, Répondra-t-il d'abord. Ce mot me semble froid,

[ocr errors]

Je le retrancherais. - C'est le plus bel endroit !

Ce tour ne me plaît pas.

[ocr errors]

Tout le monde l'admire. >>

Ainsi toujours constant à ne se point dédire,
Qu'un mot dans son ouvrage ait paru vous blesser,
C'est un titre chez lui pour ne point l'effacer.
Cependant, à l'entendre, il chérit la critique;
Vous avez sur ses vers un pouvoir despotique.
Mais tout ce beau discours dont il vient vous flatter

1. On disait indifféremment dépouiller l'arrogance ou se dépouiller de... 2. Dès le premier vers.

3. Fait qu'il s'extasie, qu'il tombe en extase.

4. La Fontaine a dit avec un plus grand bonheur d'expression :

Remettez pour le mieux ces deux vers à la fonte.

5. Intraitable quand il s'agit de ses

vers.

6. Ses vers sont pour ainsi dire des personnes qu'on insulte et dont se fait le défenseur.

N'est rien qu'un piège adroit pour vous les réciter.
Aussitôt il vous quitte; et, content de sa muse,
S'en va chercher ailleurs quelque fat qu'il abuse;
Car souvent il en trouve ainsi qu'en sots auteurs,
Notre siècle est fertile en sots admirateurs;
Et, sans ceux que fournit3 la ville et la province,
Il en est chez le duc, il en est chez le prince.
L'ouvrage le plus plat a, chez les courtisans,
De tout temps rencontré de zélés partisans:
Et, pour finir enfin 4, par un trait de satire,
Un sot trouve toujours un plus sot qui l'admire.

CHANT II

Le second chant est consacré aux genres secondaires: l'Élégie, Idylle, l'Ode, le Sonnet, l'Épigramme, le Rondeau, la Ballade, le Madrigal (ces trois derniers sont simplement mentionnés), la Satire et le Vaudeville, c'est-à-dire la Chanson. Les préceptes donnés par le poète sont de véritables modèles du genre didactique. On lui a seulement reproché quelques omissions; on le blame surtout d'avoir passé sous silence la Fable et la Fontaine. Mais il est facile de justifier Boileau: la Fable n'était alors représentée en France que par les 6 livres donnés au public en 166, au moment même ou Boileau commençait l'Art poétique. En outre le poète s'était interdit de parler des vivants (il ne nommera ni Corneille ni Racine au Ille chant); enfin il prétendait si peu donner une nomenclature complète qu'il n'a parlé ni de l'Épître ni de la Poésie didactique.]

Telle qu'une bergère, au plus beau jour de fête, De superbes rubis ne charge point sa tête,

Et, sans mêler à l'or l'éclat des diamants,

Cueille en un champ voisin ses plus beaux ornements :

1. N'est pas autre chose.

2. Aussitôt qu'il a réussi à vous

en infliger la lecture.

3. Il faudrait le pluriel; le singulier était très usité dans ce

| cas

au dix septième siècle. 4. Finir enfin est un pléonasme répréhensible.

5. Pierres précieuses de couleur rouge.

10

なご

Telle, aimable en son air, mais humble dans son style,
Doit éclater sans pompe une élégante Idylle ',◊
Son tour simple et naïf n'a rien de fastueux,
Et n'aime point l'orgueil d'un vers présomptueux.
Il faut que sa douceur flatte, chatouille, éveille,
Et jamais de grands mots n'épouvante l'oreille.
Mais souvent dans ce style un rimeur aux abois ?
Jette là, de dépit, la flûte et le hautbois3;
Et, follement pompeux, dans sa verve indiscrète,
Au milieu d'une églogue entonne la trompette.
De peur de l'écouter, Pan* fuit dans les roseaux;
Et les Nymphes, d'effroi, se cachent sous les eaux.
Au contraire cet autre, abject en son langage,

Fait parler ses bergers comme on parle au village.
Ses vers plats et grossiers, dépouillés d'agrément,
Toujours baisent la terre, et rampent tristement.
On dirait que Ronsard 5, sur ses pipeaux rustiques,
Vient encor fredonner ses idylles gothiques",
Et changer, sans respect de l'oreille et du son,
Lycidas en Pierrot, et Philis en Toinon'.

Entre ces deux excès la route est difficile :
Suivez, pour la trouver, Théocrite et Virgile;
Que leurs tendres écrits, par les Grâces dictés,

1. Idylle vient d'un mot grec qui signifie petit tableau; ce mot sert aujourd'hui à désigner les petits poèmes qui ont pour objet la peinture de la vie champêtre. L'idylle se trouve ainsi confondue avec l'égloque, qui affectait plus particulièrement la forme dialoguée.

2. Ne sachant plus que faire, comme le cerf forcé par les chiens.

3. Expression figurée; la lyre sert à représenter la poésie distinguée; les autres instruments de musique, comme la flûte, le hautbois, et plus loin les pipeaux rustiques, symbolisent la poésie pastorale. Entonner ou emboucher la trompette c'est faire de la poésie épique.

4. Dieu champêtre, inventeur de la fûte ou du chalumeau.

5. V. p. 45, note 5.

[ocr errors]

6. Gothique était alors synonyme de barbure, et les contemporains de Boileau avaient le plus profond mépris pour l'architecture gothique du treizième siècle, que nous admirons sans réserve.

7. Ronsard et Marot avant lui avaient changé en noms vulgaires les noms poétiques de Tircis, Mélibée, Amaryllis, Lycoris, etc.; on trouve dans leurs églogues des personnages appelés Guillot, Murgot, Pierrot, Marion, etc.

8. Virgile (70-19 av. J.-C.) a composé des Églogues, un poème didactique intitulé les Géorgiques, et un poème épique en douze chants, l'Enéide. Théocrite, poète sicilien du troisième siècle av. J.-C., est surtout célèbre par ses Idylles, supérieures aux Églogues de Virgile.

Ne quittent point vos mains, jour et nuit feuilletés.

Seuls, dans leurs doctes vers, ils pourront vous apprendre
Par quel art sans bassesse un auteur peut descendre;
Chanter Flore, les champs, Pomone, les vergers:
Au combat de la flûte animer deux bergers;
Des plaisirs de l'amour vanter la douce amorce;
Changer Narcisse en fleur, couvrir Daphné d'écorce 1;
Et par quel art encor l'églogue quelquefois
Rend dignes d'un consul la campagne et les bois.
Telle est de ce poème et la force et la grâce.

4

du coeur

D'un ton un peu haut, mais pourtant sans audace,
La plaintive Élégie 3, en longs habits de deuil,
Sait, les cheveux épars, gémir sur un cercueil.
Elle peint des amants la joie et la tristesse;
Flatte, menace, irrite, apaise une maîtresse.
Mais, pour bien exprimer ces caprices heureux,
C'est peu d'être poète, il faut être amoureux.

Je hais ces vains auteurs dont la muse forcée
M'entretient de ses feux, toujours froide et glacée;
Qui s'affligent par art, et, fous de sens rassis,
S'érigent pour rimer en amoureux transis 5.

Leurs transports les plus doux ne sont que phrases vaines :
Ils ne savent jamais que se charger de chaînes,

Que bénir leur martyre, adorer leur prison,

Et faire quereller les sens et la raison.

Ce n'était pas jadis sur ce ton ridicule

Qu'Amour dictait les vers que soupirait Tibulle ",
Ou que, du tendre Ovide animant les doux sons,

7.

[merged small][ocr errors][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small]
« PreviousContinue »