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presque aussitôt éteint qu'allumé; l'autre est un remerciment à M. le comte d'Ériceyra1, au sujet de la traduction de mon Art poétique faite par lui en vers portugais, qu'il a eu la bonté de m'envoyer de Lisbonne, avec une lettre et des vers français de sa composition, où il me donne des louanges très délicates, et auxquelles il ne manque que d'être appliquées à un meilleur sujet. J'aurais bien voulu pouvoir m'acquitter de la parole que je lui donne, à la fin de ce remercîment, de faire imprimer cette excellente traduction à la suite de mes poésies; mais malheureusement un de mes amis, à qui je l'avais prêtée, m'en a égaré le premier chant; et j'ai eu la mauvaise honte de n'oser récrire à Lisbonne pour en avoir une autre copie. Ce sont là à peu près tous les ouvrages de ma façon, bons ou méchants, dont on trouvera ici mon livre augmenté. Mais une chose qui sera sûrement agréable au public, c'est le présent que je lui fais, dans ce même livre, de la lettre que le célèbre M. Arnauld a écrite à M. P... 3 à propos de ma dixième satire, et où, comme je l'ai dit dans l'Épître à mes vers, il fait en quelque sorte mon apologie. Je ne doute point que beaucoup de gens ne m'accusent de témérité, d'avoir osé associer à mes écrits l'ouvrage d'un si excellent homme; et j'avoue que leur accusation est bien fondée : mais le moyen de résister à la tentation de montrer à toute la terre, comme je le montre en effet par l'impression de cette lettre, que ce grand personnage me faisait l'honneur de m'estimer, et avait la bonté

Meas esse aliquid putare nugas 5 ?

Au reste, comme, malgré une apologie si authentique, et malgré les bonnes raisons que j'ai vingt fois alléguées en vers et en prose, il y a encore des gens qui traitent de médisance les railleries que j'ai faites de quantité d'auteurs modernes, et qui publient qu'en attaquant les défauts de

1. Seigneur « des plus qualifiés du Portugal », dit Boileau; né en 1673, il mourut en 1743.

2. L'abbé Regnier Desmarais (Brossette). Evidemment Boileau ne se souciait pas de faire imprimer des vers portugais.

3. C'est-à-dire Perrault.

4. On ne trouvera pas cette lettre dans la présente édition; écrite par un vieillard de quatre-vingt-quatre ans, elle est d'un intérêt médiocre.

5. « De considérer comme ayant quelque valeur les bagatelles que j'écris »; c'est un vers du poète Catulle (87-40 av. J.-C.).

ces auteurs je n'ai pas rendu justice à leurs bonnes qualités; je veux bien, pour les convaincre du contraire, répéter ici les mêmes paroles que j'ai dites sur cela dans la Préface de mes deux éditions précédentes. Les voici :

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<< Il est bon que le lecteur soit averti d'une chose c'est qu'en attaquant dans mes satires les défauts de quantité « d'écrivains de notre siècle, je n'ai pas prétendu pour cela «< ôter à ces écrivains le mérite et les bonnes qualités qu'ils << peuvent avoir d'ailleurs. Je n'ai pas prétendu, dis-je, << que Chapelain, par exemple, quoique assez méchant poète, « n'ait pas fait autrefois, je ne sais comment, une assez belle «ode, et qu'il n'y eût point d'esprit ni d'agrément dans <«<les ouvrages de M. Quinault, quoique si éloignés de la perfection de Virgile. J'ajouterai même, sur ce dernier, « que dans le temps où j'écrivis contre lui nous étions tous deux fort jeunes, et qu'il n'avait pas fait alors beaucoup d'ouvrages qui lui ont dans la suite acquis une juste réputation. Je veux bien aussi avouer qu'il y a du génie dans les écrits de Saint-Amant, de Brébeuf, de Scudéri, «<et de plusieurs autres que j'ai critiqués, et qui sont en « effet d'ailleurs, aussi bien que moi, très dignes de critique. En un mot, avec la même sincérité que j'ai raillé «< de ce qu'ils ont de blâmable, je suis prêt à convenir de «< ce qu'ils peuvent avoir d'excellent. Voilà, ce me semble, «<leur rendre justice, et faire bien voir que ce n'est point << un esprit d'envie et de médisance qui m'a fait écrire «< contre eux. >>>

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Après cela, si on m'accuse encore de médisance, je ne sais point de lecteur qui n'en doive aussi être accusé, puisqu'il n'y en a point qui ne dise librement son avis des écrits qu'on fait imprimer, et qui ne se croie en plein droit de le faire, du consentement même de ceux qui les mettent au jour. N'est-ce pas en quelque sorte dire au public : « Jugezmoi! >> Pourquoi donc trouver mauvais qu'on nous juge? Mais j'ai mis tout ce raisonnement en rime dans ma neuvième satire, et il suffit d'y renvoyer mes censeurs.

CEUVRES DE M. DESPRÉAUX

SELON L'ORDRE OÙ ELLES SONT ICI IMPRIMÉES, SELON L'ÂGE AUQUEL IL LES A COMPOSÉES, ET SELON L'ANNÉE OÙ IL LES A PUBLIÉES 1.

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1. On sait que Boileau lui-même

avoir exactement l'âge du poète, né

est l'auteur de ce catalogue; pour en 1636, et non, comme il le disait,

<«< Voilà au vrai, dit M. Despréaux dans un écrit que l'on a trouvé après sa mort, tous les ouvrages que j'ai faits, car, pour tous les ouvrages que l'on m'attribue et qu'on s'opiniâtre de mettre dans les éditions étrangères, il n'y a que des ridicules1 qui m'en puissent soupçonner l'auteur. Dans ce rang on doit mettre une satire très fade contre les frais des enterrements, une autre, encore plus plate, contre le mariage qui commence par ce vers :

On veut me marier, et je n'en ferai rien 2;

celle contre les Jésuites, et quantité d'autres aussi impertinentes. J'avoue pourtant que dans la parodie des vers du Cid faite sur la perruque de Chapelain, qu'on m'attribue encore, il y a quelques traits qui nous échappèrent, à M. Racine et à moi, dans un repas que nous fimes chez Furetière, auteur du Dictionnaire, mais dont nous n'écrivîmes jamais rien ni l'un ni l'autre, de sorte que c'est Furetière qui est proprement le vrai et l'unique auteur de cette parodie, comme il ne s'en cachait pas lui-même. » (Note de l'éditeur de 1713.)

en 1637, il faut ajouter un an à tous les chiffres indiqués dans la 2o colonne.

1. On dirait aujourd'hui que des personnes ridicules.

2. Ces deux satires sont du Père Sanlecque, génovéfain (1652-1714). Jusque dans ces derniers temps on a joint les œuvres choisies de Sanlecque à celles de Boileau.

DE BOILEAU DESPRÉAUX

DISCOURS AU ROI

1665

[Ce Discours, publié en même temps que les sept premières satires (1666), est un éloge sincère du jeune roi qui gouvernait depuis cinq ans avec une véritable sagesse. Régnier avait donné l'exemple de placer ainsi un Discours au Roi à la tête d'un recueil de satires. Mais en louant la délicatesse et la sincérité de Despréaux, on ne saurait admirer ici son génie poétique; il est trop visible que ce discours est d'un homme encore très jeune, inconnu du prince auquel il s'adresse, et fort embarrassé parfois pour exprimer ses sentiments. La versification n'est pas toujours heureuse, et, pour tout dire, ce discours est loin d'être un chef-d'œuvre. Il ne paraît pas d'ailleurs avoir produit l'effet qu'en espérait le poète : Louis XIV ne le lut probablement pas, et trois années s'écoulèrent avant que Boileau ne fût présenté au roi.]

Jeune et vaillant héros, dont la haute sagesse
N'est point le fruit tardif d'une lente vieillesse1,
Et qui seul, sans ministre2, à l'exemple des dieux,
Soutiens tout par toi-même3, et vois tout par tes yeux,
Grand roi, si jusqu'ici, par un trait de prudence,
J'ai demeuré pour toi dans un humble silence,
Ce n'est pas que mon cœur, vainement suspendu“,
Balance pour
t'offrir un encens qui t'est dû.
Mais je sais peu louer; et ma muse tremblante
Fuit d'un si grand fardeau la charge trop pesante,

1. Ceci revient à dire que le roi est jeune, et qu'il n'est pas vieux; l'expression est malheureuse.

2. A la mort de Mazarin (mars 1661), le roi, âgé de vingt-deux ans, déclara qu'il entendait gouverner

par lui-même, et il ne voulut jamais avoir de « principal ministre ».

3. Traduction presque littérale d'un beau vers d'Horace (Ep. II, 1.) 4. En suspens; l'image de cœur suspendu n'est pas heureuse.

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