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faute commise avant Boileau par Racine qui prend pour un nom de pays le nom de la petite ville d'Aulis.

N'a coûté tant de pleurs à la Grèce assemblée.

Coûter des pleurs est une expression très juste; on pleure malgré soi, et comme à regret; les pleurs sont pour ainsi dire une monnaie avec laquelle on paye les beaux vers du poète.

Que, dans l'heureux spectacle à nos yeux étalé,
En a fait, sous son nom, verser la Champmeslé.

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C'est une allusion aux représentations si brillantes de la tragédie d'Iphigénie; c'était vraiment un spectacle heureux puisque l'auteur jouissait d'un triomphe. Etaler un spectacle aux yeux est très juste; étaler, c'est montrer au grand jour, et l'on disait même étaler de beaux sentiments. En a fait. Un moderne dirait N'en a fait; on n'avait pas le même scrupule au dix-septième siècle, et Racine par exemple disait dans sa tragédie d'Andromaque :

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Avant que tous les Grecs vous parlent par ma voix,

nous dirions ne vous parlent. Le mot ne est ici ce qu'on pourrait appeler une fausse négation employée pour donner plus d'harmonie à la phrase. Sous son nom, car il s'agit de l'actrice qui jouait le rôle d'Iphigénie. La Champmeslé, c'est le nom d'une tragédienne de grand talent, formée à la déclamation par Racine lui-même, et qui excita l'admiration de tous ceux qui la virent en scène; on l'appelait mademoiselle Champmeslé, du nom de son mari, comme Armande Béjart s'appelait mademoiselle Molière, du nom de son illustre époux. L'article la qui précède s'employait souvent au dix-septième siècle pour désigner des femmes, et pas toujours avec mépris; on disait la Voisin, la Brinvilliers en parlant des empoisonneuses célèbres du siècle de Louis XIV, mais on employait l'article la même pour désigner de grandes dames: la Montespan, la Maintenon, etc. On a continué à l'employer devant les noms d'actrices; ainsi on a dit la Malibran, c'est-à-dire mademoiselle Malibran, etc.

Il serait aisé de prolonger cette étude du texte, mais je

l'arrêterai ici pour éviter la satiété, et je me contenterai de souligner dans le passage suivant les expressions qui méritent d'être expliquées.

Avant qu'un peu de terre,

obtenu par prière,

Pour jamais sous la tombe eût enfermé Molière,

Mille de ces beaux traits,
Étaient des sots esprits
Le commandeur voulait la

aujourd'hui si vantés,

à nos yeux rebutés.

scène plus exacte.

Le vicomte indigné sortait au second acte.

L'un, défenseur zélé des bigots mis en jeu,

Pour prix de ses bons mots le condamnait au feu;
L'autre, fougueux marquis, lui déclarant la guerre,
Voulait venger la cour,
immolée au parterre, etc.

C'est seulement quand on a fait cette étude minutieuse qu'on a le droit de porter un jugement sur l'œuvre dont on veut parler; on peut donc finir en disant que l'Épître à Racine est une bonne action et qui plus est une belle œuvre. C'est une bonne action, puisque Boileau voulait conserver à sa patrie un poète de génie et que Racine aurait évidemment composé huit ou dix chefs-d'oeuvre de plus s'il s'était laissé vaincre; c'est une belle œuvre puisque cette épitre est très bien composée et qui plus est très bien écrite.

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Carte des Pays-Bas pour l'intelligence de l'Épître IV.

a

PRÉFACE

DE LA PREMIÈRE ÉDITION DES OEUVRES DE BOILEAU

(1666)

LE LIBRAIRE AU LECTEUR'

Ces satires dont on fait part au public n'auraient jamais couru le hasard de l'impression si l'on eût laissé faire leur auteur. Quelques applaudissements qu'un assez grand nombre de personnes amoureuses de ces sortes d'ouvrages ait donnés aux siens, sa modestie lui persuadait que de les faire imprimer ce serait augmenter le nombre des méchants livres, qu'il blâme en tant de rencontres, et se rendre par là digne lui-même en quelque façon d'avoir place dans ses satires. C'est ce qui lui a fait souffrir fort longtemps, avec une patience qui tient quelque chose de l'héroïque dans un auteur, les mauvaises copies qui ont couru de ses ouvrages, sans être tenté pour cela de les faire mettre sous la presse3. Mais enfin toute sa constance l'a abandonné à la vue de cette monstrueuse édition qui en a paru depuis peu. Sa tendresse de père s'est réveillée à l'aspect de ses enfants ainsi défigurés et mis en pièces, surtout lorsqu'il les a vus accompagnés de cette prose fade et insipide que tout le sel de ses vers ne pourrait pas relever: je veux dire de ce Jugement sur les sciences' qu'on a cousu si peu judi

1. L'auteur de cet avertissement est Boileau lui-même, et non le libraire; on le devine aisément.

2. On dirait maintenant : qui tient un peu de l'héroïsme, ou qui a quelque chose d'héroïque.

3. De les faire imprimer.

4. Elle avait été faite à Rouen en 1665. (Note de Brossette.)

BOILEAU

5. Il s'agit ici d'un opuscule de Saint-Évremond qui a pour titre : Jugement sur les sciences où peut s'appliquer un honnête homme (6 pages in-12). Saint-Evremond n'a pas gardé rancune à Boileau, dont il a dit ailleurs : « Il n'y a point d'auteur qui fasse plus d'honneur à notre siècle que Despréaux. »

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cieusement à la fin de son livre. Il a eu peur que ses satires n'achevassent de se gâter en une si méchante compagnie, et il a cru enfin que, puisqu'un ouvrage, tôt ou tard, doit passer par les mains de l'imprimeur, il valait mieux subir le joug de bonne grâce, et faire de lui-même ce qu'on avait déjà fait malgré lui1. Joint que ce galant homme qui a pris le soin de la première édition y a mêlé les noms de quelques personnes que l'auteur honore, et devant qui il est bien aise de se justifier. Toutes ces considérations, dis-je, l'ont obligé à me confier les véritables originaux de ses pièces, augmentées encore de deux autres pour lesquelles il appréhendait le même sort. Mais en même temps il m'a laissé la charge de faire ses excuses aux auteurs qui pourront être choqués de la liberté qu'il s'est donnée de parler de leurs ouvrages en quelques endroits de ses écrits. Il les prie donc de considérer que le Parnasse fut de tout temps un pays de liberté ; que le plus habile y est tous les jours exposé à la censure du plus ignorant; que le sentiment d'un seul homme ne fait point de loi; et qu'au pis aller, s'ils se persuadent qu'il ait fait du tort à leurs ouvrages, ils s'en peuvent venger sur les siens, dont il leur abandonne jusqu'aux points et aux virgules. Que si cela ne les satisfait pas encore, il leur conseille d'avoir recours à cette bienheureuse tranquillité des grands hommes comme eux, qui ne manquent jamais de se consoler d'une semblable disgrâce par quelque exemple fameux, pris des plus célèbres auteurs de l'antiquité, dont ils se font l'application tout seuls. En un mot, il les supplie de faire réflexion que, si leurs ouvrages sont mauvais, ils méritent d'être censurés, et que, s'ils sont bons, tout ce qu'on dira contre eux ne les fera pas trouver mauvais. Au reste, comme la malignité de ses ennemis s'efforce depuis peu de donner un sens coupable à ses pensées même les plus innocentes, il prie les honnêtes gens de ne se pas laisser surprendre aux subtilités raffinées de ces petits esprits qui ne savent se venger que par des voies lâches, et qui lui veulent souvent faire un crime affreux d'une élégance poétique 3.

1. C'est dans les mêmes conditions que Molière a fait imprimer les Précieuses ridicules, en 1660.

2. Les satires III et V (Brossette). 3. L'année suivante (1667), Boi

leau crut devoir placer ici une phrase relative à Georges de Scudéri; la voici « Il est bien aise aussi de faire savoir dans cette édition que le nom de Scutari, l'heureux Scu

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