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amis de l'auteur, qui veut réveiller l'esprit gaulois? M. Pierre Leroux a démontré jadis une autre espèce de renaissance par les témoignages de Moïse, de Virgile et d'Apollonius de Thyanes, et nous espérions que de pareilles preuves n'oseraient plus se produire à la face du jour. Parce qu'autrefois vingt mille sauvages, chevelus, barbus et velus, qui vivaient dans les bois et brùlaient des hommes, se sont plu à rêver des voyages de l'âme, nous ne sommes point forcés d'imaginer une circumnavigation de l'âme à travers les cieux. Aille qui voudra cueillir le gui sacré dans les forêts de chênes! Teutatès peut dormir tranquille, nous n'irons pas le réveiller. Si nous avons du respect pour les traditions vivantes, nous n'avons aucun respect pour les traditions mortes. Nous pensons que les traditions vivantes et les traditions mortes n'ont d'autorité qu'auprès des poëtes, et quand nous voudrons croire, nous n'irons pas ressusciter des religions.

VI

Arrivons enfin à la raison secrète, nulle part avouée, partout visible, qui soutient le système et lui permet de se passer de preuves, de vraisemblance et parfois même de bon sens. Le dialogue des deux interlocuteurs peut se résumer ainsi. —

Mon roman, dit le théologien, est le plus beau, le mieux arrangé, le plus grandiose. Non, répond le philosophe, c'est le mien. Vous vous trompez, reprend le théologien, vous voyez qu'en ce point et en cet autre je m'accommode mieux aux désirs et à l'imagination de l'homme. - Attendez, réplique le philosophe, j'ai de quoi lever la difficulté. Écoutez encore cet article, vous verrez que je promets à l'homme plus de bonheur, que j'accorde à l'univers plus de magnificence que vous ne faites et que personne n'a fait jusqu'ici. — Le paradis éternel et immuable, dit le théologien, est le plus désirable de tous les biens. Non, dit le philosophe. « L'état qui se produirait, si, tous les égarés venant tour à tour à se dégoûter du mal et à rechercher le bien, l'enfer se vidait continuellement, si tous les saints, dans le magnifique accord de leurs aspirations, s'élevaient sans cesse à des degrés de perfection de plus en plus sublimes, si toutes les créatures enfin consolidant progressivement leur union mutuelle et avec Dieu, ne formaient toutes ensemble, au-dessous de la majesté infinie, qu'une même unité d'adorateurs; - un tel état serait évidemment supérieur à ce paradis étroit où il n'y a place que pour une partie de la création. Mes anges n'ont jamais péché, dit le théologien. Les habitants de plusieurs de mes astres, dit le philosophe, n'ont pas commis la

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faute originelle et se sont conservés purs de toute souillure. J'ai des myriades d'esprits bienheureux, dit le premier, distribués en neuf chœurs célestes. Et moi, répond l'autre, j'ai un nomore infini de séries infinies de créatures merveilleuses, dont la perfection se rapproche sans cesse de la perfection de Dieu.

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En résumé, le système se réduit à ceci : Je désire ce bien, donc je l'aurai. Mon rêve est agréable, donc il est vrai.

Cette méthode n'est pas nouvelle, elle a fait de tout temps la force des religions. « La lumière est belle, disait un Grec du temps d'Homère. Il est agréable d'aller en char, de porter des tuniques de pourpre, de manger le dos succulent des victimes, de lutter sur l'herbe, d'écouter les sons de la lyre; donc je jouirai de tous ces biens dans les ChampsÉlysées. J'aime à me battre, disait plus tard un Scandinave, et j'ai plaisir à boire de la bière. Donc, une fois dans le Walhalla, nous viderons du matin au soir de grandes cornes d'uroch, et nous nous taillerons en pièces pendant toute l'éternité. » Le Grec et le Scandinave répètent le raisonnement de M. Jean Reynaud, et leurs conclusions sont aussi certaines que les siennes.

Chose incroyable, il l'admet! chacun renaîtra dans un monde semblable au paradis qu'il a espéré. Muni de ses myriades d'astres, le philosophe four

nit à tout. Les guerriers barbares iront dans un monde de batailles, les philosophes grecs dans un séjour de conversations tranquilles, les juifs charnels dans un pays de satisfactions sensuelles, les chrétiens du moyen âge dans une terre de contemplations mystiques. Mais ici vous inventez trop peu. Pourquoi vous arrêter en si bon chemin? Fourier vous tend la main et vous donne l'exemple. Il avoue hautement votre principe; il déclare que toutes les passions et tous les goûts de l'homme doivent et peuvent obtenir leur contentement entier; une fois que le désir et l'imagination sont acceptés comme la mesure du possible et du vrai, son paradis est le plus conséquent et le mieux prouvé. Dans ce paradis qui sera la terre transformée, les vins, les légumes, les inventions culinaires atteindront une perfection inexprimable; de grandes députations des principaux États du globe viendront travailler et concourir ensemble pour améliorer les petits gâteaux; car la pâtisserie est un des bonheurs de la bouche, et pourquoi la bouche serait-elle privée d'un de ses bonheurs? Fourier va jusqu'au bout de sa logique, et ceux qui entrent dans sa voie n'ont pas le droit de reculer devant ses absurdités.

M. Jean Reynaud n'est pas le seul qui se soit laissé emporter par ce raisonnement si étrange et par ces tendances si naturelles. Nos plus grands

maîtres, qu'ils le sachent ou qu'ils l'ignorent, ont été atteints ou effleurés du même mal que lui, et il n'en est pas un qui, vingt fois dans sa vie, n'ait prouvé et propagé sa doctrine en disant aux hommes qu'elle est consolante pour le genre humain. Le premier et le plus contagieux de ces exemples fut le Génie du christianisme. Les apologistes précédents parlaient à la raison, et démontraient leurs dogmes par des faits et par des syllogismes. M. de Châteaubriand changea de route et prouva le christianisme par des élans de sensibilité et des peintures poétiques. L'effet fut immense, et tout le monde mit la main sur une arme si bien trouvée et si puissante. Chaque doctrine naissante se crut obligée d'établir qu'elle venait à point, que les circonstances la réclamaient, que les hommes la désiraient, qu'elle venait sauver le genre humain. Elle se défendit avec des arguments de commissaire de police et d'affiche, en proclamant qu'elle était conforme à l'ordre et à la morale publique, et que le besoin de sa venue se faisait partout sentir. On imposa à la vérité l'obligation d'être poétique et non d'être vraie. On répondit aux faits évidents la main. sur son cœur, en disant: « Mon cœur m'empêche de vous croire. » On considéra la science comme un habit qu'on essaye, et qu'on renvoie s'il ne convient pas. On démontra des doctrines usées par des arguments détruits, et l'on conquit la popularité et

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