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sentants devint telle, qu'en louant leur bonne volonté il se plaignait de leur incapacité notoire. L'autorité qu'il avait partout affaiblie s'affaiblit entre ses mains comme ailleurs, et la chute fut si grande pendant sa seconde administration, que ce n'étaient point ses ministres qui lui soumettaient leurs idées, c'était lui qui soumettait ses idées à ses ministres. Il avait perdu son ascendant en se faisant subalterne. On ne l'écoutait qu'à demi, et souvent on ne l'écoutait pas. Il voulut faire condamner le colonel Burr, espèce d'assassin conspirateur; la Chambre des Représentants rejeta sa loi, et le jury rejeta ses preuves. Pendant une vacance du Congrès, il avait nommé son ami, M. Short, ministre plénipotentiaire en Russie, comptant que le Sénat ratifierait un fait accompli; et le Sénat cassait la nomination du pauvre ambassadeur qui avait déjà présenté ses lettres de créance à l'empereur Alexandre. Il n'était pas respecté; Washington avait cessé de l'estimer et de le voir. Le pamphlétaire Calender, s'étant retourné contre lui, avait dénoncé ses tripotages; le public avait ri en apprenant les vilains secrets de ses mœurs privées, son commerce avec une esclave, l'histoire des petits quarterons élevés dans sa maison et qui avaient dans leurs veines le plus beau sang de l'Amérique. Il quitta les affaires à propos et se retira dans ses terres. Cette retraite même ne fut point tranquille

jusqu'au bout. Ses concitoyens se croyaient le droit de le visiter de force à titre d'ancien Président et de curiosité américaine. Une hospitalité prodigue, de mauvaises récoltes, des crises financières, la banqueroute d'un de ses amis finirent par le ruiner. Déjà, en 1814, il avait été obligé de vendre sa bibliothèque. Des débats offensants s'étaient élevés à ce sujet dans la législature, et on ne l'avait achetée qu'à vil prix. En 1826, il demanda la permission de mettre ses biens en loterie, et à ce propos composa un petit écrit pour défendre ces sortes d'entreprises: triste expédient pour un homme qui s'était fait une loi << de ne jamais souscrire à une loterie »; pour comble d'humiliation, la législature hésita, et lorsque enfin l'autorisation fut arrachée, il avait eu le temps de sentir jusqu'au fond l'amertume de la mendicité et l'incertitude de la reconnaissance publique. On fit une souscription pour payer ses dettes, et l'on eut de la peine à réunir le quart de la somme nécessaire. Il était malade, il avait quatrevingt-trois ans, et voyait venir le moment où il irait finir dans un hôtel garni. Heureusement la maladie se hâta; il mourut le 4 juillet 1826, anniversaire du jour où il avait composé la déclaration de l'indépendance. Six mois après, ses meubles étaient vendus à l'encan.

Deux mots résument ce solide travail : Jefferson, en poussant les États-Unis sur leur pente naturelle,

a gagné la popularité et le pouvoir, mais compromis la dignité de son caractère et amoindri l'autorité de sa place. Les États-Unis, en glissant sur leur pente naturelle, ont fini par descendre dans la démocratie brutale, et viennent de supprimer leur aristocratie à coups de canon.

RENAUD DE MONTAUBAN.

(Renaus de Montauban, publié pour la première fois d'après les manuscrits par M. Michelant.)

Ce livre est un poëme français du moyen âge, et il est publié par un Français. Mais, ce qu'il y a de particulier, c'est qu'il est édité dans le Wurtemberg, à Stuttgart, avec titres, sommaires, appréciations, commentaires en allemand, aux frais d'une société allemande. Cette société s'est formée en 1842, et se compose de quatre à cinq cents curieux et savants. Elle publie ainsi tous les ans environ cinq volumes d'ouvrages importants et rares; chaque membre reçoit un exemplaire de chaque ouvrage, et paye vingt-cinq francs par an. Ils ne vendent point de volume isolé, mais seulement la collection d'une année, et encore à un petit nombre d'exemplaires. Ils se suffisent à eux-mêmes, sans encouragements ni souscriptions officielles. Ils im

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