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en voici quelques-uns que j'ai recueillis sur Balzac :

« C'est le musée Dupuytrein in-folio. >>

D

« C'est un beau champignon d'hôpital. » « C'est Molière médecin. »

« C'est Saint-Simon peuple. »

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Je dirai plus simplement: Avec Shakspeare et Saint-Simon, Balzac est le plus grand magasin de documents que nous ayons sur la nature humaine.

JEFFERSON.

(Jefferson, étude historique sur la Démocratie américaine, par Cornélis de Witt.)

Le public ne sait pas ce qu'il en coûte de peine pour faire un bon livre, c'est-à-dire un livre dans lequel l'auteur pense par lui-même et écrit d'après les documents originaux. En voici un qui donne l'envie d'établir ce compte: on s'habitue un peu trop volontiers à nous traiter d'amateurs et de pa

resseux.

Les écrits de Jefferson comprennent neuf volumes. Les biographies et les documents publiés pour ou contre lui en comprennent quatorze; les biographies et les œuvres de ses plus illustres contemporains, soixante-dix-sept; les histoires origi nales et les expositions authentiques de la Constitution américaine, quatorze; la correspondance manuscrite des ministres et plénipotentiaires fran

çais, environ cent cinquante. En tout deux cent soixante-quatre volumes, auxquels on doit ajouter une centaine pour les voyages, romans, autobiographies, poëmes et autres ouvrages de littérature courante, sans lesquels on ne connaît pas la physionomie vraie d'un siècle et d'un pays.

Vous remarquerez ensuite qu'on n'est point maître d'un document pour l'avoir feuilleté ni même pour l'avoir lu. Il faut l'avoir relu, l'avoir comparé à d'autres, se l'être rendu familier, y avoir réfléchi hors de son cabinet, en promenade, en voiture; les idées ne nous viennent pas à l'heure dite; on ne juge pas une époque au pied levé; on ne ressuscite pas à volonté dans son imagination et dans son esprit la figure d'un homme; il faut attendre, laisser faire le temps, l'occasion, le hasard. Souvent c'est un accident de la vie journalière, une observation domestique, une lecture de journal qui achèvent en nous une idée qu'après beaucoup d'efforts nous avions laissée incomplète. Quelquefois on lit un volume pour écrire une page. Je sais un homme qui un jour en lut quatre pour écrire trois lignes. Il y a telle phrase que nous avons mûrie depuis quinze ans avant d'en être sûrs et d'oser la dire. Et au fond il en est ainsi de toutes nos phrases. Les idées d'un homme réfléchi ont leurs racines et leurs attaches dans toute sa vie spéculative et pratique, dans tout son présent et

dans tout son passé. Concluez hardiment qu'un écrivain ou un artiste, même lorsqu'il rêvasse dans un fauteuil ou qu'il flâne sur le boulevard, se donne autant de mal qu'un autre, et que les trois ou quatre cents pages barbouillées d'encre auxquelles de loin en loin aboutit son effort, contiennent autant de travail que les rapports d'un secrétaire de préfecture, les écritures d'un caissier ou les requêtes d'un avoué.

I

Ce livre, écrit par un esprit judicieux et décidé, politique de tempérament et d'éducation, en style sobre, exact, serré, avec un sang-froid constant, des préférences marquées et des applications visibles, << sans complaisance aucune pour les vices de la démocratie, expose comment la Constitution américaine dégénéra en démocratie pure, d'abord par sa tendance propre, mais aussi par la persévérance, l'adresse et les complaisances de son principal promoteur, Thomas Jefferson.

Thomas Jefferson, né en 1743, fils d'un riche colon virginien, tour à tour député, gouverneur, ambassadeur, secrétaire d'État, deux fois Président, fit une grande œuvre et fournit une grande carrière avec un caractère mixte et un esprit qui

l'était encore plus. Dès sa première jeunesse, on aperçoit en lui ce mélange. A beaucoup d'égards, il semble qu'il ne soit pas Américain ; il est théoricien, bel esprit, esprit fort; il court après l'érudition encyclopédique et la philosophie spéculative. Il est à l'affût de toutes les curiosités et de toutes les élégances d'Europe. Il veut obtenir de Macpherson une copie des poëmes originaux d'Ossian, et prendre des ouvriers musiciens pour établir chez lui un concert économique. Il fréquente les salons du gouverneur Fouquier, qui est un homme du bel air, et se moque du diable, personnage fort considéré en Amérique. Mais, d'autre part, il reçoit l'éducation pratique et politique, et devient naturellement, au contact et au spectacle des faits, homme d'action et homme d'État. A l'âge de vingtdeux ans, il assistait, dans la Chambre des Bourgeois de la Virginie, aux résolutions qui furent prises contre l'acte du timbre et commencèrent la révolution américaine. Quatre ans plus tard, il entrait lui-même à la Chambre, « cuisinait des formules bibliques pour instituer des jours de jeûne », apprenait à ne s'avancer qu'à demi, à se couvrir des autres, à se servir des préjugés populaires, à toucher la fibre nationale, et rédigeait la déclaration d'indépendance; puis dans la législature de la Virginie il abolissait les institutions aristocratiques, s'arrêtait à temps sur la question de l'esclavage,

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