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roux, Haussmann, Dussard (Temps); Bohain, Roqueplan (Figaro); etc. La protestation disait:

Le gouvernement a perdu aujourd'hui le caractère de légalité qui commande l'obéissance. Nous lui résistons pour ce qui nous concerne. C'est à la France de juger jusqu'où doit s'étendre sa propre résistance.

Plusieurs journaux, entre autres, le National et le Temps, donnèrent l'exemple d'imprimer le numéro du 27 sans s'être fait autoriser et même ils insérèrent en tête le document qui bafouait l'autorité du nouveau cabinet. Les saisies de matériel, opérées au milieu de scènes violentes, eurent un épilogue inattendu plusieurs directeurs de journaux intentèrent des procès aux imprimeurs avec qui ils avaient des traités et qui refusaient leur concours par crainte du gouvernement. Ils mettaient ainsi les tribunaux dans la nécessité de se prononcer. Deux jugements donnèrent gain de cause à la presse; et l'on vit, affichée en abondance et distribuée à pleines mains, une décision par laquelle le tribunal de commerce, condamnant l'imprimeur du Courrier Français, niait la valeur légale des Ordonnances. C'était, suivant le mot de M. Hatin, «< la législation de l'insurrection ».

LA MONARCHIE DE JUILLET

La nouvelle monarchie semblait bien devoir concéder aux journaux toutes les libertés réclamées par eux. Née d'une révolte qui venait de s'accomplir au nom des droits de la presse, elle symbolisait le triomphe de la presse. Or, en trois années, les vainqueurs virent s'engager contre la plupart d'entre eux plus de quatre cents procès.

Le gouvernement reniait-il donc son origine, son esprit, ses promesses? Non. Il avait garanti la faculté de faire « imprimer toutes les opinions en se conformant aux lois »; aboli définitivement la censure; rendu aux cours d'assises la connaissance des délits; diminué le chiffre du cautionnement; abaissé les droits de timbre et de transport.

Libre enfin comme elle avait demandé à l'être, la presse n'en devint que plus exigeante et plus hardie. Enfiévrée par le succès, elle entreprit de régner selon ses passions, ses fantaisies, ses colères. Se multipliant, débordante et grondante, elle attaquait le pouvoir tout nouveau qui était son œuvre, comme

elle avait, pendant quinze ans, harcelé la royauté légitime. Le parti républicain prenait position. Franchissant d'un bond le chemin que s'étaient ouvert les libéraux dynastiques, il recommençait la bataille à son profit, comme si la longue lutte précédente n'eût été qu'une escarmouche d'avant-garde. Augustin Thierry, qui avait pris à la lutte une part active et qui avait pensé que la paix serait le fruit de la victoire, exprimait sa stupéfaction, peu de mois après l'établissement de la monarchie bourgeoise. Il s'écriait «< Cette presse parisienne, qui a tout sauvé dans la dernière crise, semble aujourd'hui n'avoir d'autre but que de tout perdre. Je n'y comprends rien. » Déjà, il en était à invoquer « le bon sens des provinces » pour « faire justice de la turbulence de Paris.

Dans sa grande Histoire du gouvernement de juillet, M. Thureau-Dangin a recueilli cette impression. Enregistrons, d'après lui, les faits les plus significatifs à propos de la presse, dont l'élan, bien loin de s'épuiser, s'exaltait de nouveau.

Pour se tenir hors de la portée des injures proférées par les passants, Louis-Philippe fait entourer d'une grille et d'un fossé la petite partie du Jardin des Tuileries réservée à la famille royale. Aussitôt les journaux de gauche vocifèrent.

Dès le début du régime, la caricature s'installe, engendrée par la découverte de la lithographie (1830-31). Saluons l'entrée en scène de Philippon, né à Lyon avec le siècle et d'abord occupé d'art industriel. Soudain, son art et son industrie reçoivent de la politique un appoint qui leur donne une impulsion extraordinaire. Quelle politique! Le Charivari est quotidien ;

la Caricature, hebdomadaire. Là dessinent Granville, Daumier, Raffet, Charlet, Descamps, Bellangé, etc. Les deux feuilles déversent des outrages ininterrompus qui renouvellent, au sein de la monarchie libérale, les sentiments et les procédés de 93. Regardez, dit M. Thureau-Dangin, regardez cette jeune fille entraînée dans le plus ignominieux des guet-apens : c'est la Liberté; le misérable qui la guette dans l'ombre, à peine indiqué, se reconnaît cependant aux favoris et au toupet. Ici, le roi « massacreur » savoure le spectacle des cadavres exposés à la Morgue. Là se transforme en une charge sinistre le tableau de Prudhon, le crime poursuivi par la vengeance divine; le criminel, c'est Louis-Philippe. Maintefois, il est comparé à Judas. « Ah! tu veux te frotter à la » presse! », ainsi parle la légende d'un dessin où un imprimeur du National a mis sous la presse LouisPhilippe, dont la figure s'élargit en s'écrasant. La Caricature se représente elle-même plaçant sur le feu la poire symbolique et demandant à quelle sauce ses lecteurs désirent la manger. Devant le tribunal, le directeur de la feuille satirique, Philippon, commente ironiquement l'idée de la poire, s'amuse de la physionomie du roi, berne les juges avec une désinvolture gouailleuse et provocante. La Caricature empoigne le souverain et son fils par le fond de leurs culottes, pendant que la Liberté joue du violon ; légende: «< Ah! tu danseras! »

En avril 1831, une ordonnance royale réglemente la forme d'une décoration nouvelle, qui devait porter les dates des trois journées « glorieuses », avec cette inscription: donnée par le roi des Français. On annonçait une cérémonie solennelle aux Invalides, où

le prince remettrait les croix et recevrait le serment des décorés. Aussitôt, protestation bruyante contre l'inscription et contre le serment. La presse déclare que les héros des barricades sont les bienfaiteurs et non les obligés du roi. Il fallut renoncer à la cérémonie et décider que les médailles seraient délivrées et le serment prêté dans les mairies. « La plupart des combattants s'abstinrent » 1, dédaigneux d'être récompensés par un gouvernement qu'ils regardaient comme leur œuvre et qu'ils entendaient mettre à leur service.

Hommes de lettres, hommes politiques ne témoignaient pas plus de déférence. Le vicomte de Cormenin, qui venait de se découvrir la vocation de pamphlétaire et qui, en souvenir du célèbre athénien misanthrope, s'était baptisé Timon, prit tout de suite à partie la monarchie nouvelle. Une série de brochures, courtes mais pleines d'esprit et de verve, attaquèrent le budget de la famille royale. La liste civile et l'apanage; les Questions scandaleuses d'un JacobinDialecticien et d'autres brochures provoquèrent la dérision coup sur coup. Cette « polémique chiffrée 2 » causa au gouvernement une blessure incurable.

Bientôt ressuscite la satire rimée, toujours remplie d'invectives, signée cette fois par Barthélemy tout seul et cependant périodique et même hebdomadaire. Sous le titre de Némésis, elle lance contre la dynastie et contre les pouvoirs civils ou religieux deux cents vers chaque semaine. Elle débute par ces promesses:

1. Histoire du gouvernement de Juillet, par M. ThureauDangin.

2. L'expression est d'Alfred Nettement.

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