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rédacteurs des journaux qui paraissent en Prusse à n'inscrire et à ne publier, à partir d'aujourd'hui, aucune communication, quelqu'insignifiante qu'elle puisse leur paraître, relative au mouvement des troupes.

Le Ministre de l'Intérieur,

Comte EULENBOURG.

En réalité, à Berlin comme à Paris, le procédé est le même. Les journaux ennemis comprennent très bien le caractère comminatoire de l'avis rédigé sous forme d'invitation; et la teneur de celle-ci prouve seulement que la rigueur prussienne sait être cérémonieuse. Notre presse continuant de réclamer et de regimber, le Journal Officiel (25 juillet) l'exhorte et la menace :

Malgré l'interdiction prononcée par le gouvernement, certains journaux continuent à donner des nouvelles militaires, au grand détriment de la cause nationale.

Le gouvernement avait espéré que l'appel fait à leur patriotisme serait entendu. C'est à regret qu'il se verrait forcé d'avoir recours à la loi.

Autre avis:

Quelques journaux du soir ont annoncé qu'un ancien rédacteur du journal la France, accompagnait l'armée en qualité de publiciste officiel. Cette assertion est entièrement inexacte. Le service de la publicité officielle est confié exclusivement à des personnes de l'État-major général de l'armée.

En expédiant des instructions aux autorités judiciaires, M. Emile Ollivier avoue que l'espérance ne

s'est pas réalisée de voir le sentiment patriotique suffire pour faire accepter une « restriction momentanée » de la liberté illimitée :

...

Tandis qu'un grand nombre de journaux aident la cause nationale par leur réserve après l'avoir aidée par leur parole, il en est d'autres qui remplissent leurs colonnes de renseignements qui, malheureusement, ne sont pas toujours faux. De telle sorte que les feuilles publiques allemandes, muettes sur ce qui se passe en Allemagne, sont pleines de détails sur les opérations militaires qui s'accomplissent chez nous. J'ai donc été obligé de mettre en vigueur, un arrêté de loi sur les mouvements de troupes. Appliquez cet arrêté avec me sure et avec bienveillance. Avant de poursuivre, appelez les journalistes; tâchez d'obtenir de leur libre assentiment ce que j'appelle le silence du salut public. Mais si vos exhortations restent sans effet, poursuivez avec fermeté...

25 juillet 1870.

ÉMILE OLLIVIER.

L'Officiel du 27 juillet signale les dispositions prises pour procurer des renseignements aux jour

naux :

Un bureau de renseignements, destiné à fournir à la presse des nouvelles du théâtre de la guerre, sera établi à partir de demain au ministère de l'Intérieur.

Pour que les divers journaux de Paris puissent profiter de ces communications, il suffira que chacun d'eux accrédite auprès du ministère un de ses rédacteurs.

Le bureau de publicité, ouvert de huit heures du matin à minuit, donnera communication de toutes les nouvelles officielles au fur et à mesure qu'elles arriveront.

L'installation du « bureau de renseignements >>

n'apaise pas les griefs. Le Figaro décide de le mettre en pénitence et annonce qu'il ne publiera pas les nouvelles venant de cette source.

Le 29 juillet, les représentants de la presse sont réunis chez M. Emile Ollivier, qui les reçoit avec déférence et qui réussit à calmer un peu leurs plaintes. Mais la nouvelle de la défaite de Wissembourg est répandue dans des conditions qui réveillent la colère générale. Le Figaro adresse et publie une lettre à l'empereur et dit notamment :

Au lendemain d'un arrêté ministériel qui nous condamnait au silence pendant la durée de la guerre, M. de Villemessant déclarait qu'en conséquence de cette défense, il supprimerait de ce journal toutes les nouvelles de la guerre. L'opinion s'associa à l'attitude de M. de Villemessant...

Hier, une dépêche de dix lignes apprenait à la France que, devant l'écrasante supériorité du nombre, nos soldats, après avoir soutenu un combat héroïque, avaient dû se retirer.

Ce ne fut que vers huit heures du soir que les premiers détails du combat de Wissembourg parvinrent à Paris ; ils venaient des journaux anglais, du Times, du Daily Telegraph, du Morning Post.

Ce matin encore, la capitale et la province, qui ne savent pas qu'elles doivent lire le Times pour avoir des nouvelles de l'armée française, eussent ignoré ces détails, s'ils n'avaient ouvert que le Journal officiel, car l'organe du gouvernement est moins explicite que les journaux de Londres.

Aujourd'hui, la nouvelle a circulé que Mac-Mahon avait écrasé les Prussiens. Explosion d'enthousiasme. On pavoise. On prépare les illuminations... Hélas! si la presse eût été instruite par les siens, elle eût pu d'un mot faire tomber cette exaltation patriotique à laquelle a

succédé une morne inquiétude. Mais les journaux sont frappés par la loi du silence.

A son tour, le Temps proteste en décrivant l'agitation publique :

L'affaire de Wissembourg a causé hier une vive émotion dans le public; Paris a été toute la soirée en proie à une agitation fiévreuse; une foule énorme encombrait les boulevards; on s'arrachait les journaux, on commentait avec véhémence la fâcheuse nouvelle qui venait d'arriver de la frontière.

Cette dépêche si laconique, sans indication de lieu d'origine et qui ne disait même pas si le combat avait eu lieu la veille ou seulement le matin même, était en effet bien faite pour surexciter les imaginations. Elle ne contribuera pas à mettre en crédit le monopole que le gouvernement s'est arrogé sur les informations de la guerre ; elle donne la plus triste idée de la manière dont on comprend à l'état-major général les devoirs de la publicité vis-à-vis d'un pays qui, cependant ne marchande ni son sang, ni son argent.

Pendant que le gouvernement hésitait, ici, vingt-quatre heures à nous livrer le secret des faits, la nouvelle de ce sanglant engagement de Wissembourg courait l'Europe; et une dépêche officielle prussienne l'apportait assez rapidement en Angleterre pour que le Times ait pu, non seulement la donner dans son numéro d'hier matin, mais même avoir le temps d'y consacrer un article.

Retarder de quelques heures la divulgation de faits irréparables est un pauvre expédient, auquel tous les gouvernements ont recouru, auquel ils continueront de recourir, même après l'avoir blâmé, même après avoir subi les colères qu'une inutile et maladroite compression a rendues plus violentes.

Ballottés entre le désir et l'inquiétude, les esprits allaient s'échauffant. Quelle dérision de lire dans le Figaro du 4 septembre, imprimé le 3, la nouvelle réjouissante à laquelle correspondait la réalité du désastre!

D'après des renseignements qui nous sont parvenus d'une source particulière mais en laquelle nous avons une entière confiance, de graves événements se seraient accomplis le 1er septembre, que notre correspondant désigne comme le troisième jour de combat.

Le maréchal Mac-Mahon, après avoir été renforcé par le corps du général Vinoy, a livré un combat dans lequel nos armes auraient remporté un succès éclatant.

Les Prussiens seraient vaincus, culbutés et 30 canons leur auraient été enlevés.

D'un autre côté, Bazaine est sorti de son Quartier Général et après un rude combat, marche vers...

Enfin si le document que nous recevons est exact, le mot «< massacre » appliqué à l'armée allemande ne serait pas une expression exagérée.

Une autre communication de source officieuse, mais digne du plus grand intérêt, surgit à l'instant même.

Un ami de la famille d'Orléans à Paris a reçu une lettre du prince de Joinville, datée de Bruxelles le 1er septembre, à 5 heures du soir. Cette lettre a quatre pages, qui contiennent de navrants détails sur les journées des 30 et 31, le refoulement de Mac-Mahon sur la Meuse et les pertes de notre armée.

Mais elles se compètent par un post-scriptum qui est un véritable bulletin de triomphe et un véritable cri de joie. Nous tenons le texte de ce post-scriptum de la bouche même de la personne qui l'a lu dans la lettre originale.

La bataille continue, en ce moment nous aurions pris trente canons. Bazaine marcherait vers Mac-Mahon. Vive la France!

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