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dresse fournit un précieux sujet de critiques et de réclamations. En 1866, plus de quarante députés du centre accordent aux Cinq un appui partiel et donnent une secousse qui lézarde l'édifice gouvernemental. Celui-ci lance les avertissements à droite et à gauche, saisit les correspondances à la presse monarchique de province, provoque une condamnation qui finalement est annulée, supprime le Courrier du dimanche; mais les journaux deviennent de plus en plus agressifs; et certaines feuilles prétendues simplement littéraires attaquent l'autorité politique par la propagande anti-religieuse, comme la Librepensée, qui n'avait même pas un masque de dentelle. En province, cinquante-six journaux s'inspiraient de l'opposition parisienne et triplaient la besogne des préfets, qui les surveillaient et les menaçaient en intimidant aussi les imprimeurs, dont le sort dépendait d'un brevet, titre toujours révocable après condamnation.

Du 19 janvier 1867 au 1er juillet 1868, les journaux escomptèrent l'Empire libéral, annoncé par Napoléon III lui-même. La nouvelle loi (qui contenait la fameuse proposition Guilloutet sur le mur de la vie privée) semblait ne pouvoir aboutir. En attendant, les publications satiriques se multipliaient: alors naquit la Rue, organe de Jules Vallès et d'un bon nombre de futurs représentants de la Commune; l'Éclipse, succédant à la Lune et maintes fois frappée comme elle pour les mordantes caricatures de Gill; le Corsaire, habile à louvoyer dans les eaux de la politique sous le pavillon de la littérature artistique et sociale, commandé par M. Jules Lermina et muni d'un équipage où figuraient Paul Arène,

Blavet, Jules Claretie, Lockroy, Ranc, Sarcey, etc. Le Journal de Paris (27 août 1867) restaurait en bonne partie le programme du Courrier du dimanche et rajeunissait la coalition composée d'orléanistes et de républicains, de radicaux et d'impéralistes. Un ancien rédacteur du Journal de Paris, qui vint y prendre place au commencement de 1870 (avec MM. Louis Joly et Jules Delafosse), et qui, d'une plume incisive, a dessiné maints portraits originaux, M. Louis Teste, un lettré et un politique, nous donne, en quelques lignes, une vue de l'opposition libérale : «< Quand le Courrier du dimanche fut supprimé après Sadowa et pour en avoir prédit les conséquences, M. Hervé, que la sagesse de son esprit, la distinction de sa personne et la sérénité de son talent avaient déjà fait mettre à la tête de ce journal, fonda avec M. J.-J. Weiss, le Journal de Paris. La rédaction en était encore plus éclectique, pour ne par dire plus fantaisiste, parce que l'influence de M. J.-J. Weiss y avait plus de part. On y voyait M. Spuller, M. Ranc, M. Victor Noir, et combien d'autres qu'on ne se serait pas attendu à y voir! M. Spuller y faisait et y défaisait les ministères austro-hongrois et M. Ranc y tenait le sceptre de la critique dramatique. Le grand plaisir de M. J.-J. Weiss était de corriger les faits divers de M. Victor Noir, qui arrivait toujours dans le petit pigeonnier du Journal de Paris, de la rue Coq-Héron, avec de superbes gants rouge-brique, qu'il étalait un peu à la façon de Dumanet. Ce gros, grand, bon et primitif garçon, qui éclatait autant de l'orgueil d'être journaliste que de sa belle santé, l'intéressait fort. Mais voyez les destinées des hommes ! Au moment où

M. Victor Noir tombait sous la balle du prince Pierre Bonaparte qu'il avait provoqué à l'étourdie, M. J.-J. Weiss devenait conseiller d'état en service extraordinaire et secrétaire général du ministère des BeauxArts 1. »

L'Univers reparut le 15 avril 1867, relevé par Louis et Eugène Veuillot, de nouveaux collaborateurs et bon nombre des anciens; parmi ceux ci, outre du Lac, Léon Aubineau, érudit, polémiste, éminent historien de la piété et dont Louis Veuillot avait dit, en parlant de la Vie de la mère Émilie, << M. Aubineau peint merveilleusement cette pauvreté, ce courage, cette allégresse, ces miracles que l'on retrouve à l'origine héroïque de toutes les familles religieuses, et qui, d'âge en âge, nous font voir de nos yeux et toucher de nos mains ce qui pourrait nous sembler de plus incroyable dans l'histoire des saints ». On approchait du Concile. L'annonce de l'événement suivait de près une recrudescence d'animosité antireligieuse, l'invasion des États-Romains par Garibaldi, l'apothéose de Voltaire, apothéose dont le Siècle se faisait une réclame, enfin l'enivrement matérialiste provoqué par l'Exposition universelle ; et il fallait encore que Louis Veuillot réfutât les prétentieux bavardages de Villemot (Figaro) sur la morale religieuse et sur les miracles. Le tome IV de la troi

1. Notes d'histoire contemporaine, par Louis Teste, pages 136, 137.

2. Mélanges, deuxième série, tome V, page 597.

sième série des Mélanges est tout entier rempli de la pensée du Concile; cent cinquante lettres écrites de Rome par Louis Veuillot notent les péripéties et déroulent le décor du long et solennel débat théologique. C'est une histoire palpitante, un hymne de foi, une polémique aux allures d'épopée.

La polémique fut ininterrompue avec le Français, fondé le 1er avril 1868, par Augustin Cochin et Mgr Dupanloup, entourés de MM. Thureau-Dangin, Lecamus, Plantier (neveu de Mgr Plantier), Récamier, Léon Lefébure (l'auteur des remarquables études sur les œuvres d'assistance et de charité, bientôt après député du Haut-Rhin, puis député de la Seine et sous-secrétaire d'État), le duc de Broglie, de Chabrol, Buffet, de Talhouët, d'Andelarre, etc. Le rédacteur en chef, François Beslay, qui n'avait pas encore touché au journalisme, prouva qu'il en possédait, inné, le sens théorique et pratique. Les autres rédacteurs étaient MM. Lavedan, Séguier, de Rambuteau, Gigot, Lauras, Sazerac de Forges, Diard, Burin Desroziers, Lacombe, Heinrich, Aubé, Paul Perret. Plus tard, sous le pseudonyme Bernadille, Victor Fournel rédigea de savantes et divertissantes chroniques, conti nuées avec succès par M. Ernest Baudouin, qui signait Peccadille.

Habituelles aussi furent les escarmouches avec la Gazette de France, habilement dirigée par M. Janicot, dont les collaborateurs ordinaires étaient: MM. Bourgeois, Charles de Lacombe, Léopold de Gaillard, Armand de Pontmartin, Escande, Lenthéric, Arthur de Boissieu, (celui-ci auteur des spirituelles Lettres d'un passant).

Le 11 mai 1868, l'Empereur sanctionnait la loi soumise à l'examen de la Chambre depuis plus d'un an et que les défenseurs du régime autoritaire considéraient comme le prologue de la capitulation. Cependant les nouvelles mesures interdisaient encore de résumer autrement que par le compte rendu officiel les séances du Corps législatif et du Sénat, punissaient la nouvelle fausse ou bien erronée, conservaient le cautionnement et le timbre. Peu importait au fond, puisque disparaissait la nécessité de l'autorisation préalable. L'affaire essentielle était que les divers partis eussent enfin l'avantage de crier à pleine voix. Nulle crainte des poursuites: elles apportaient des garanties de succès et fortifiaient l'émulation. Elles vinrent en effet, abondantes et rapides, puisque, dans l'intervalle de sept mois, soixante-quatre journaux furent frappés par la justice correctionnelle1; mais, en moins d'une année, Paris s'était enrichi de cent quarante feuilles nouvelles !

La plus petite était la plus tapageuse. Une mince brochure, de format réduit; par exemple, ornée d'une couverture rouge et d'un titre emprunté aux souvenirs de 93, voilà l'instrument de guerre qui fit pâlir et vaciller le gouvernement. De cette arme jaillissaient les plaisanteries et les calembours, qui retombaient en pluie de mitraille. La Lanterne réalisait la caricature écrite, bernant de nasardes le pouvoir. Celui-ci ressentait d'autant plus vivement la peine d'être berné, que la foule prenait soin de proclamer qu'il l'était en effet. Suivant son expression,

1. Histoire de la presse française, par Henri Avenel, page 562.

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