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du fisc, puis au point de vue de la législation en ellemême et des procédés de législation; mais elle pouvait se justifier par un fait démonstratif bien que bizarre: en réalité, déjà « le timbre des journaux n'était plus payé1». Aussi, après quelques tergiversations, le gouvernement décida de l'abolir. Sans retard alors, furent prononcées d'autres abolitions, notamment celle des fameuses lois de 1835 qui, par surcroît, subirent une flétrissure officielle. L'impulsion étant donnée, se succédèrent les décrets libérateurs et vengeurs: après avoir rendu au jury les affaires de presse (la condamnation ne pouvait désormais être prononcée que par une majorité de plus de huit voix) et retiré aux Cours d'appel le droit de distribuer des subventions indirectes par la voie des annonces judiciaires, le gouvernement provisoire proclama «<l'incompétence absolue des tribunaux civils en matière de réparation civile pour diffamations injures, etc., contre les fonctionnaires2 » ou autres personnages assimilés. Ce décret (du 22 mars) déclarait que « les fonctions publiques sont exercées sous la surveillance et le contrôle des citoyens » et répudiait les mesures contenues à ce sujet dans la Charte de 1830, expressément désignée. Quant au cautionnement, il restait suspendu.

Dans cette atmosphère de pleine liberté naissent, en quatre mois, deux cents journaux. Malgré les mesures contraires, bientôt rendues indispensables par l'épanouissement du journalisme, par les émeutes et par la guerre civile, la floraison conserve

1. Histoire de la presse française, par Henri Avenel, page 390.

2. Id., page 392.

assez de vigueur pour faire surgir, de 1848 à 1851, outre 400 feuilles plus ou moins littéraires, 789 publications politiques. Dans ce dernier groupe, on remarquait l'Ere nouvelle, dirigée par Lacordaire, qui allait être élu député et qui peu de temps auparavant, au sujet des candidatures ecclésiastiques, avait écrit: « Le clergé se présente aussi. Pour la première fois depuis un demi-siècle, il trouve en lui-même le courage de s'offrir et dans les populations le courage d'accepter. C'est un des résultats les plus extraordinaires de la révolution qui est sous nos yeux. » Examinant la légitimité et l'utilité de cette intervention, l'illustre Dominicain disait : « Il nous a semblé que la France, dans la situation solennelle où elle est placée, avait besoin du concours de toutes les lumières et de tous les dévouements sans exception... Une fois la République constituée, le prêtre se retrouvera en présence d'une nation extrêmement jalouse de la distinction des deux pouvoirs spirituels et temporels et qui s'est fait dès longtemps une si haute idée du sacerdoce qu'elle souffre avec peine tout ce qui le fait descendre, même pour un temps, des hauteurs de l'Horeb et du Calvaire... Le clergé de France ne s'exposera jamais sans dommage au souffle des passions politiques. » Le Peuple constituant, où Lamennais, bientôt député, lui aussi, apportait aux idées révolutionnaires son concours quotidien ; l'Ami du peuple, de Raspail; la Cause du peuple, de Mm George Sand, qui venait de rédiger les impérieux Bulletins de la République fondés par le ministre de l'intérieur, Ledru-Rollin, pour assurer à tout prix des élections républicaines; (l'un de ces Bulletins déclarait que,

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dans le cas contraire, il ne resterait pas d'autre ressource que les barricades); le Représentant du peuple, transformé en Voix du peuple, puis devenu le Peuple, de Proudhon, etc. attiraient les regards et faisaient fermenter les esprits.

Les excentricités ne se renfermaient pas dans la catégorie des feuilles qui les recherchaient volontairement, telles que le Lampion, la Moutarde après dîner, la Trompette du Père Belle-Rose, le Croquemort de la presse, les Lunettes du Père Duchêne, etc., etc.; ni dans celle des feuilles anarchiques: la Carmagnole, le Robespierre, la République rouge, le Bonnet rouge, le Drapeau des Sans-Culottes, le Spartacus, le Pilori, le Tocsin des travailleurs; des personnalités naturellement débordantes avaient saisi l'incomparable occasion de déborder.

Dans un langage digne du héros, la Liberté annonçait qu'elle venait de faire « l'acquisition >> d'Alexandre Dumas et de... presses nouvelles. Rien de plus curieux que la profession de foi d'Alexandre Dumas, dit M. Avenel, puisqu'elle remplissait deux numéros du journal et qu'on pouvait la résumer ainsi : « J'ai fait la Révolution de juillet! J'ai fait la Révolution de février! J'ai écrit 400 volumes! Je ferai toutes les révolutions qui me seront demandées ; j'écrirai tous les volumes qu'on voudra : car je suis celui que je suis 1. »

Victor-Hugo avait son journal, « fondé le 1er août 1848, sous l'invocation et dans l'intérêt exclusif de sa personnalité » 2, l'Événement, dont le premier numéro

1. Histoire de la presse française, par Henri Avenel, page 408. 2. Id., page 406.

disait déjà des choses étonnantes, celles-ci : « Nous donnerons la place la plus visible à l'événement de la journée quel qu'il soit, quelle que soit la région de l'âme d'où il vienne... Si dans ces jours inouis, il arrivait un jour ordinaire, qui serait le plus extraordinaire de tous; si, par impossible, l'événement nous faisait défaut une fois, cette fois nous réunirions dans le même numéro, et comme en une constellation éblouissante, tous les noms illustres qui étoilent notre rédaction, et nous tâcherions que, ce jour-là, notre journal fût lui-même l'événement... »

Le mouvement social. Proudhon.

Quelques pages récentes de M. Eugène Veuillot résument les origines et les divers aspects du socialisme; et autrefois déjà, en 1850, l'éminent écrivain avait exposé cette question dans un volume qui contient de nombreux documents.

<«< Le socialisme utopique à grandes visées était entré en scène vers 1832 par le Saint-Simonisme, ayant en mains pour évangile le Nouveau christianisme du comte de Saint-Simon. Malgré de brillantes adhésions et beaucoup de bruit, ce fut un faux départ. C'est durant la seconde partie du règne de Louis-Philippe que ce socialisme du rêve donna des avertissements que la classe régnante n'entendit point. Les deux systèmes qui prirent alors de sérieux développements furent le fouriérisme et le communisme icarien; tous deux recrutèrent un grand nombre de disciples, dévoués, agissants, et

réunirent assez de ressources pour que les convaincus pussent croire qu'on allait passer avec succès de la théorie à la pratique 1. »

Fourier avait vu le « naufrage » du Saint-Simonisme et avait aussitôt «< conçu des espérances d'héritier 2 ». Il fonda le journal le Phalanstère; et son successeur, Victor Considérant, la Démocratie pacifique. La formule de l'école, d'après le premier maître lui-même était : « Le vrai bonheur ne consiste qu'à satisfaire toutes les passions... L'appât du gain et des voluptés doit régler l'humanité ». Les phalanstériens se défendaient de viser au communisme, mais ils y marchaient avec ardeur.

Les icariens, procédant de Cabet, ancien procureur général et député, se déclaraient hautement, eux, communautaires. Ils saluaient en Cabet « le nouveau continuateur de Jésus-Christ », « le glorieux successeur de Jésus et de Rousseau ».

Pierre Leroux, qui avait professé le Saint-Simonisme, résolut de le perfectionner par la doctrine du circulus, suivant laquelle la nature, les besoins et le but de l'homme sont enfermés dans deux formules: Sensation, Sentiment, Connaissance; liberté, égalité, fraternité. Il voulait que tout individu fût citoyen et fonctionnaire rétribué; que la cité-fonction fut substituée à la cité-caste; et entre quelques idées généreuses et raisonnables, il développait des conceptions fantastiques et puériles. Il avait en 1824 fondé le Globe, qui eut pour collaborateurs Jouffroy 3, Da

1. Louis Veuillot, par Eugène Veuillot, tome II, page 252. 2. Questions d'Histoire contemporaine, par Eugène Veuillot, page 136.

3. C'est dans le Globe que parut l'article célèbre « Comment

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