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succès, on le voit préoccupé d'inventer quelque combinaison pour devenir plus intéressant, et, par là, plus fort. A diverses reprises, la Gazette en fournit l'aveu.

Grâce à l'ingéniosité de Renaudot, elle traversa sans inconvénients graves la période de la Fronde. Et pourtant, durant les quatre années d'agitation extraordinaire, les papiers politiques imprimés ressemblaient bien à une concurrence capable de braver tout monopole. Ces libelles, en prose ou en vers, dont la destinée était de demeurer à la fois oubliés et célèbres, sous le nom de Mazarinades, forment une bibliothèque de 4.000 morceaux. Ils furent alors comparés à un essaim de mouches et de frêlons engendrés par l'extrême canicule: Quam sit muscarum et crabonum quùm calet maxime, disait Naudé, dans son Mascurat. « Il n'était enfant de bonne mère, >> il n'était véritable Français qui ne se crût obligé de » donner une pièce au public. » En cette occasion encore, la feuille privilégiée parut au gouvernement un auxiliaire très utile. Mazarin en jugea comme Richelieu. Renaudot reçut l'ordre de suivre la Cour à Saint-Germain, d'où il engagerait la lutte contre les innombrables pamphlétaires de la Fronde. Mais il craignait que le Parlement ne lui suscitât une rivalité. Il résolut de ne pas abandonner la place et dédoubla sa Gazette, dont la nouvelle édition fut confiée à ses deux fils avec un titre qui devait les protéger et les favoriser: Le Courrier français, journal du Parlement'. Le Courrier

1. Histoire politique et littéraire de la presse française, par Eugène Hatin, tome Ier, page 240.

eut une vogue immense et, la guerre finie, c'est-àdire après douze semaines, disparut dans la Gazette, lui restituant, intacte, la situation qu'il avait sauvegardée.

Peu à peu s'éveillait l'idée de la concurrence et aussi se formait la conception d'un journal, sinon indépendant, du moins plus à l'aise. L'œuvre de Renaudot, perfectionnée par lui, continuée et perfectionnée encore par ses fils, vit naître à côté d'elle, du sol même que Renaudot avait cultivé, deux œuvres durables: le Mercure français et le Journal des Savants.

Une autre publication, très originale, les avait devancés, procédant à la fois de la Gazette pour la périodicité, et des innombrables Mazarinades pour les allures dégagées, pour le ton fantaisiste, pour le genre littéraire. De 1632 à 1665, la Muse historique de Loret accomplit, sans interruption et sans défaillance, le tour de force qui consistait à raconter en vers les incidents de chaque semaine. C'était déjà une forme de la «< petite presse ». On a excessivement rabaissé la création de Loret; pourtant alors ses feuilles, couvertes de rimes ingénieuses et souvent spirituelles, volaient, suivant le mot de Colletet, << plus loin que les ailes de la Renommée ». Adressées à M. de Longueville, protectrice du poètegazetier, elles amusaient le public curieux et moqueur. Leur malice ne déplaisait qu'aux gens dont elles raillaient les ridicules. Certains se plaignirent très haut, tandis que la galerie poussait Loret à dédaigner la prudence. Il répondait :

Le métier qu'il faut que je fasse
Bien plus qu'autrefois m'embarrasse.
Quelques beaux esprits modérés
Souhaitent qu'ils soient tempérés ;
D'autres veulent que la Gazette
Sente un peu l'épine-vinette.

Mais ces miens vers, quand ils sont tels,
Me font des ennemis mortels.

D'ailleurs ma rime n'est point bonne
Quand je n'égratigne personne.

Bref, mes vers, tant ici qu'aux champs,
Sont méchants s'ils ne sont méchants.
Voyez quelle est mon infortune !
Si je pique un peu, j'importune;
Et, lorsque je ne pique pas,

Mes vers sont froids et sans appas.
Mais que les fous ou que les sages
Fassent la nique à mes ouvrages,
Je mépriserai leur mépris,
Pourvu que ces petits écrits

Soient bien reçus de Votre Altesse...

On s'effarait de le voir toucher aux affaires de l'Etat en employant le style « burlesque ».

Prompte réplique :

Je réponds à ces suffisants

Que depuis sept mois et trois ans
J'ai toujours écrit de la sorte

Et sachent les dits malcontents
Qu'écrivant les choses du temps,
Tout événement historique
Doit avoir place en ma chronique,
Pourvu que ce soit bonnement.

1. Ses vers.

Ainsi durant quinze ans chanta la badine et allègre Muse historique. Soit, quatre cent mille vers!

Avait-elle, par sa désinvolture, révélé le besoin d'un imprimé périodique où les questions purement littéraires seraient traitées sur le ton grave ! C'est probable. En tout cas, lorsque Loret s'éteignit (1665), épuisé d'avoir rimé avec une telle assiduité, une autre publication parut dont le nom indiquait le programme le Journal des Savants.

Fondé et dirigé par un membre du Parlement de Paris, Denis de Sallo, homme instruit et laborieux, le Journal des Savants était tout entier consacré à la littérature. Chaque semaine il signalait les livres nouveaux et en donnait une analyse accompagnée d'un jugement.

Cette méthode, qui est à nos yeux chose toute simple, ne manqua pas de passer pour audacieuse. La plupart des auteurs dénoncèrent un danger public, suivant la formule d'alors, « l'invasion et la tyrannie dans l'empire des lettres ».

Les plus vives réclamations se firent entendre et des polémiques s'ouvrirent. Mentionnons le débat qui mit aux prises Sallo et Ménage et qui fournit un tableau des mœurs du temps.

Ménage venait de publier les Amænitates juris civilis. Le Journal des Savants les appréciait de la sorte:

« Ce livre (les Amœnitates) est divisé en quarante chapitres; mais on se contente de remarquer de quoi il est question dans les premiers et derniers, parce qu'on pourra par là juger facilement du reste.

» Il s'agit donc, dans le premier, de savoir si par le mot de dialecticiens employé dans la loi 88, ad legem Fal

cidiam, on doit entendre les Stoïciens ou les Mégariens; et dans le second, si, responsitare de jure est la même chose que respondere de jure. Dans un des trois derniers chapitres, il est disputé à fond si le mot gracculus signifie un geai ou une corneille, et cet auteur prétend, qu'après les preuves qu'il en rapporte, ce mot doit s'entendre d'une corneille : les jurisconsultes cesseront de disputer sur une difficulté qui jusqu'à présent était demeurée indécise. Dans le pénultième, il a ramassé toutes les étymologies qui se trouvent éparses dans les volumes des jurisconsultes.

» La matière des autres chapitres est semblable à celle qui est traitée dans ceux dont nous avons parlé ; d'où il est facile de juger qu'il n'appartient pas à tout le monde d'en faire ses délices, puisque c'est de la plus fine critique, dont la lecture ne peut donner du plaisir qu'aux personnes d'un rare savoir. »

Point de perfidie et point d'intention méchante. Pourtant c'était trop de liberté aux yeux de l'irascible Ménage. Tout de suite exaspéré, il répliqua :

« Je m'attends bien, si le Journal des Savants recommence, comme on dit qu'il va recommencer, que son auteur fera des railleries de ces observations puisqu'il en fait de quelques chapitres de grammaire de mes Aménités du droit, qui sont beaucoup plus considérables en toutes façons. J'aurais pu le railler par d'autres railleries, et plus fines et plus ingénieuses; j'aurais pu faire voir au public que les gazettes de ce nouvel Aristarque, qui vient censurer ici les plus fameux écrivains de notre siècle, lui qui n'a rien écrit, et dont le nom n'a été imprimé que dans la liste de la quatrième des enquêtes, ne sont, pour me servir des termes de M. Sarrasin, que des billevesées hebdomadaires, et sa diguité, quelque respect que j'aie pour elle, ne m'en aurait pas empêché :

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