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elle, nous paraissent sublimes, parce que l'énergie que suppose leur résolution les élève au-dessus de l'humanité.

Le vrai sublime n'est donc partout que la présence de l'infini; et le sentiment, l'émotion qu'il produit n'est que la rencontre, le choc du fini et de l'infini. C'est là véritablement ce qui cause cet étonnement dont l'âme ne saurait se relever que par l'admiration.

Dans le sublime, les proportions de l'idéal humain sont dépassées: l'âme est en contact avec l'infini, qui la trouble, parce qu'elle cesse de comprendre ou de mesurer ; qui la relève et la fortifie, parce qu'elle continue d'admirer, parce qu'elle admet et qu'elle approuve ce qu'elle n'atteint plus.

Du ridicule.

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Le caractère des choses comiques est d'être en contradiction avec la fin ou le type que nous leur concevons. Le comique peut être dans les formes, dans les idées, et dans les situations: comique physique, comique moral, comique dramatique. Les formes irrégulières du corps humain sont ridicules parce qu'elles s'écartent du type qui nous est familier. Une figure dont les yeux prennent une direction oblique excite le rire; une épine dorsale qui dévie et se relève en bosse est ridicule; deux jambes de grandeur inégale provoquent la même secousse nerveuse. Pourquoi ? parce que l'usage des yeux est de suivre une même direction; que l'épine dorsale doit être rectiligne, et les jambes égales en longueur. Un homme qui tombe est ridicule parce que les jambes paraissent faites pour soutenir le corps et non pour le laisser choir. Le défaut de proportion entre les différentes parties de la figure et du corps, lorsqu'il est grave, provoque le même mouvement. Voilà pour le ridicule physique; il résulte du défaut de conformité entre l'objet et le type habituel.

Le comique moral résulte d'un défaut de proportion entre 1. Voyez, page 17, ce que nous avons déjà dit du comique.

les prétentions d'un homme et sa valeur réelle, entre le but de ses facultés et leur emploi. La présomption est une source inépuisable de comique parce qu'elle est le principe de beaucoup de mécomptes; la distraction, parce qu'elle amène des méprises. Mal compter, mal prendre, suppose toujours un mauvais usage de nos facultés. Un mauvais poëte est ridicule pour plusieurs raisons; d'abord parce que, croyant faire de bons vers, il en fait de mauvais; ensuite parce que, visant à l'admiration de tous, il n'obtient que la sienne. En général, les illusions de l'amour-propre sont toujours comiques.

Tous les travers de l'esprit sont comiques pour ceux auxquels ils ne nuisent pas ; il serait difficile de les énumérer parce qu'en pareille matière l'homme est d'une prodigieuse fécondité.

Le théâtre a produit avec succès certains vices, tels que l'avarice et l'hypocrisie. Ces caractères deviennent comiques parce qu'ils manquent leur but, parce que l'avare est obligé de se mettre en frais, et parce que le masque de l'hypocrite est toujours près de tomber, jusqu'à ce qu'il soit arraché par une main vigoureuse.

Le comique de situation naît toujours de quelque embarras, soit individuel, soit réciproque; souvent deux personnages sont en présence, et leur seul rapprochement excite le rire, parce qu'on sait qu'ils vont apprendre ce qu'ils ne veulent pas savoir.

Dans tous ces faits, nous voyons toujours un idéal blessé, un but manqué, une contradiction entre la fin et les moyens.

Mais d'où vient le plaisir que nous cause cette découverte ? Ne serait-ce pas que nous nous sentons supérieurs à ceux en qui nous découvrons un ridicule? Une difformité, un mécompte, une méprise, une disgrâce, tout cela nous révèle une infirmité, une infériorité dans autrui, et, par un prompt retour sur nous-mêmes, retour souvent inaperçu et sans malignité, nous prenons nos avantages en riant.

Caractères et effets du beau, du sublime
et du ridicule.

On peut remarquer que, dans le sentiment du beau, l'âme se confond avec sympathie dans l'objet qu'elle atteint; que, dans le sentiment du sublime, effrayée d'abord par son infériorité, elle se relève par l'admiration et l'adoration, et que, dans le sentiment du ridicule, elle jouit avec un secret orgueil de l'infériorité d'autrui. Le sentiment du beau la porte à aimer la nature et l'humanité; celui du sublime, à s'humilier devant la majesté de Dieu; celui du ridicule la console au milieu de ses souffrances et de ses misères, et il a cela de moral qu'il substitue une gaieté souvent innocente à la haine qui trouble le cœur, et à l'envie qui l'avilit en le dévorant.

Les trois sentiments que je viens d'analyser, le beau, le sublime et le ridicule, sont la fleur et la couronne de l'intelligence humaine; c'est par là qu'elle s'élève au-dessus de tout ce que Dieu a créé. Elle doit les cultiver et les développer, avec mesure cependant, car on peut abuser de tout. Le sentiment du beau, en se portant au delà de ses limites, développerait dans l'àme une bienveillance universelle, un optimisme banal qui en affaiblirait le ressort et qui tarirait la source de

ces haines vigoureuses

Que doit donner le vice aux âmes vertueuses.

Le sentiment du sublime, trop souvent excité et médité, tendrait outre mesure les ressorts de l'intelligence en la tenant dans une sphère qu'elle n'embrasse pas, qui sera plus tard son séjour, mais qu'elle doit se contenter d'entrevoir quelquefois, d'ici-bas, pour ne pas oublier sa céleste origine et sa destination. La contemplation habituelle du sublime donne à l'esprit de l'homme des secousses, des vertiges, des éblouissements dont le terme pourrait être la folie, même

pour les esprits les mieux trempés. Pesons ces singulières et profondes paroles de Pascal : « L'homme n'est ni ange ni bête; le mal est que qui veut faire l'ange fait la bête. »

Le don de voir les choses sous un aspect plaisant, de saisir le comique où il est, de le faire sortir de ce qui le cache, de transformer la difformité, les travers, l'odieux même en éléments de gaieté, est un heureux privilége de notre nature; c'est le délassement des heureux, la ressource des misérables et des faibles; c'est une cuirasse légère, mais solide; c'est un carquois inépuisable. Cependant, s'il a l'inappréciable avantage de donner le change à la haine et à l'envie, et de les purger de leur venin, il ne faut pas en abuser cette disposition, appliquée à tout, deviendrait vicieuse et immorale; elle tournerait à la corruption de l'âme ce qui est destiné à l'allégement de nos misères. Il faut limiter le rire pour conserver l'admiration, qui est la sauvegarde de la dignité et de la moralité humaine. Montesquieu nous le fait entendre 1: la décadence de l'admiration est un des plus graves symptômes de l'avilissement des âmes.

1. On ne saurait croire jusqu'où a été dans ce siècle la décadence de l'admiration. MONT., Pensées diverses.

ÉLOQUENCE ET RHÉTORIQUE.

VII.

De l'éloquence.

«L'éloquence, a dit. M. Villemain, est un don et un art. » Comme don, c'est la capacité d'être ému ; comme art, c'est la faculté de disposer et d'exprimer ses idées et ses sentiments de manière à communiquer l'émotion. La définition reçue, qui fait de l'éloquence l'art de persuader, n'est ni complète ni exacte; elle néglige ce qui caractérise surtout l'éloquence, c'est-à-dire l'impulsion qui vient de la nature, et, en bornant son rôle à persuader, elle n'indique qu'un résultat accidentel que d'autres causes peuvent produire, et non l'effet essentiel de la puissance oratoire; elle pèche contre les deux règles fondamentales de la définition, qui doit convenir à tout le défini et au seul défini, puisqu'on peut persuader sans être éloquent, et rester éloquent sans persuader. L'éloquence est essentiellement le don d'être ému et l'art de transmettre l'émotion. L'homme éloquent est celui dont la pensée vient du cœur et des entrailles avant de passer par le cerveau et d'être exprimée par la voix. Quintilien l'avait déjà dit: Pectus est quod disertos facit; c'est le cœur qui rend éloquent. Cette sentence est une définition. Il n'y a pas d'éloquence sans émotion éprouvée et communiquée 1. La force du raisonnement, l'habile disposition des parties, la convenance du langage, ne caractérisent pas l'éloquence ;

1. Un auditeur, mécontent d'être ému dans un sens opposé à ses opinions, s'écriait : «Quelle peste que l'éloquence!» En effet, il n'y a rien de plus

contagieux.

Lillérature.

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