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éloges remarquables. On lit encore la plupart de ceux qui donnèrent à Thomas tant de palmes académiques. Il y a de la force et de l'élévation dans les idées de ce rhéteur homme de bien; mais son style, souvent emphatique, est monotone. L'éloge de Marc-Aurèle, où ces défauts sont moins sensibles, passe pour le chef-d'œuvre de ce genre au dix-huitième siècle. L'Essai sur les éloges, qui devait servir d'introduction aux discours de Thomas, est un travail de critique oratoire fort estimé. L'Eloge de Descartes n'est pas non plus une œuvre vulgaire. La Harpe écrivit avec plus de naturel et une remarquable élégance les Eloges de Racine et de Catinat. L'académie de Marseille, marchant sur les traces de l'Académie française, mit aux prises La Harpe et CHAMFORT dans l'éloge de La Fontaine. On sait que cette fois La Harpe fut vaincu. GARAT, marchant sur les traces de Thomas, a réussi dans l'éloge de Suger. Le discours de Buffon sur le style appartient à l'éloquence académique, et sa Réponse à La Condamine peut passer pour le modèle de ces éloges entre vifs qui inquiètent souvent la justice de celui qui les donne, et la modestie de ceux qui doivent les entendre. L'éloquence académique, dont on a tant médit, a mis de nos jours en lumière des écrivains éminents, et l'ensemble des discours qu'elle a produits n'est pas une des moindres richesses de notre littérature.

ELOQUENCE POLITIQUE. — Parmi les orateurs que l'assemblée de états généraux de 1789 révéla à la France, on distingue MIRABEAU, l'abbé MAURY et CAZALÈS, qui parurent tous trois à la hauteur du rôle que leur donnaient les circonstances et leur propre situation. Le tribun, le prêtre et le gentilhomme sont très-bien représentés par ces trois orateurs, entre lesquels Mirabeau domine de toute la supériorité du génie sur le talent. Il faut ajouter à ces noms illustres celui de BARNAVE, qui osa combattre une fois le terrible Mirabeau. C'est dans le tableau même des séances de l'assemblée constituante qu'il faut aller chercher l'éloquence de

ces orateurs, qui tiraient de la lutte et de la contradiction la meilleure partie de leur puissance. Leurs discours, considérés isolément, perdent beaucoup de leur valeur. Par l'effet local ils ont égalé, surpassé quelquefois les orateurs de l'antiquité; mais ils n'ont pas eu l'art de fixer par le style toute la passion qui les animait.. Cette différence entre la puissance oratoire et l'importance littéraire est plus sensible encore dans les principaux orateurs des assemblées qui ont suivi.

HISTORIENS FRANÇAIS,

XXXV.

Des principaux historiens français.

Si la France ne possède pas encore une histoire qui réunisse tous les suffrages, un monument de ses annales qu'on puisse comparer aux histoires de la Grèce et de Rome, ce n'est pas faute de matériaux précieux ni d'habiles écrivains. La liste des travaux historiques compris dans notre littérature formerait à elle seule un ouvrage considérable. On peut en prendre une idée dans les in-folios de la bibliothèque historique du père Lelong. Nous nous contenterons, en suivant l'ordre des temps, de désigner les noms les plus illustres et les ouvrages les plus remarquables.

Nous laissons de côté les historiens et les chroniqueurs qui ont écrit en latin, depuis GRÉGOIRE DE TOURS jusqu'au continuateur de GUILLAUME DE NANGIS, quelle que soit d'ailleurs l'importance de ces sources de notre histoire.

Un des premiers monuments de notre langue, et la première chronique écrite en français, est le récit de la conquête de Constantinople par GEOFFROY DE VILLEHARDOUIN, un des héros de l'entreprise. Cette chronique héroïque, écrite avec une noble simplicité, inaugure dignement la série des travaux historiques qui honorent la France. Ce tableau est une espèce d'épopée primitive où les faits et les caractères sont mis en relief avec grandeur et naïveté. Villehardouin est, sans art et sans effort, historien, orateur et poëte; nous n'avons pas d'autre Iliade que sa Chronique. Cet écrivain, homme d'État et guerrier, ouvre le treizième siècle que termine le peintre de Louis IX, le sire de JOINVILLE, champenois comme son devancier, moins héroïque et aussi attachant, plein de

cette bonhomie malicieuse et enjouée, naturelle aux bons esprits de sa province. Villehardouin et Joinville font une assez belle part au treizième siècle. La rédaction des grandes Chroniques de Saint-Denis, continuée pendant le siècle suivant, remonte aussi à cette époque.

Le quatorzième siècle a eu son historien dans le plus célèbre des chroniqueurs, JEAN FROISSARD, né à Valenciennes en 1337, conteur ingénieux et indifférent, peintre inimitable : « Les peintures de la vie féodale, dit M. Villemain, tracées par Froissard, présentent tous les contrastes de rudesse et de courtoisie chevaleresque, de barbarie et d'humanité. Une infinie variété naît de sa naïve exactitude. Son âme vive et mobile, enjouée plutôt que forte, est un miroir fidèle où se reflète tout le moyen âge.... Le roi Jean, prisonnier dans la tente du prince de Galles, offre une peinture admirable.... Dans certains récits de bataille, la bataille de Créci, par exemple, Froissard est véritablement homérique. On ne saurait décrire avec plus de force le choc de ces deux masses d'hommes d'armes qui se heurtent.... Grands événements, anecdotes familières, nations diverses, Anglais, Flamands, Français, tout se mêle et se succède sans confusion, et jamais les couleurs de l'historien ne sont semblables, quoiqu'il soit toujours naïf, naturel, abandonné. » Ces éloges, donnés par un juge dont l'opinion fait autorité, ne sont pas exagérés. La Chronique de Froissard est un monument unique dans notre littérature, et les étrangers n'ont rien qu'on puisse opposer à ce tableau si savant, et si vrai d'une grande époque. CHRISTINE DE PISAN, née en 1363, auteur d'une Histoire de Charles le Sage, femme savante, est bien éloignée du naturel et de la vivacité pittoresque de Froissard; mais si elle est gourmée et pédante dans sa prose, ses vers ont souvent de la délicatesse et de la grâce.

Au quinzième siècle, nous rencontrons ENGUERRAND DE MONSTRELET, Continuateur de Froissard, chroniqueur exact, compilateur de documents officiels précieux pour l'érudi

tion, écrivain sans mouvement ni couleur. L'historien de Charles VI, JUVÉNAL DES URSINS, est un esprit judicieux, écrivain assez habile, témoin probe et sincère. GEORGES CHASTELAIN, historien des ducs de Bourgogne, ne doit pas être oublié. L'écrivain éminent du quinzième siècle, c'est PHILIPPE DE COMINES, qu'on a flatté en l'appelant le Tacite d'un autre Tibère, mais qui n'en est pas moins un historien politique, fin, sensé et profond, écrivain bien supérieur à tous ses contemporains.

Le seizième siècle paye son tribut à l'histoire par l'Histoire du chevalier Bayard, récit naïf et attachant d'un serviteur fidèle; par les Mémoires de MONTLUC, qu'Henri IV appelait la Bible des soldats; les Mémoires de BRANTOME, chronique suspecte et souvent scandaleuse; et L'ÉTOILE, dont le journal renferme de précieux détails. Parmi les historiens, on distingue REGNIER DE LA PLANCHE, qui a écrit avec talent l'histoire de François II; LA PLACE, qui traite l'époque suivante ; LA POPLINIÈRE, qui n'est pas sans mérite; THÉODORE de Bèze, auteur d'une histoire ecclésiastique; MATHIEU, historien des guerres civiles, dont le style a de l'énergie; D'Aubigné, qui a jeté dans son Histoire universelle quelques pages admirables. DE THOU Occuperait le premier rang dans cette nomenclature par l'importance et le mérite de son histoire, s'il ne l'avait pas écrite en latin.

Dans le siècle suivant, SULLI fait rédiger ses importants Mémoires; ADRIEN DE VALOIS compose sur les temps mérovingiens une vaste histoire, dans laquelle il fait entrer tout ce que renferment les historiens et les chroniqueurs de cette époque confuse. MÉZERAI essaye de débrouiller le cahos de notre histoire, et se montre souvent à la hauteur de cette patriotique mission. PÉRÉFIXE écrit, pour Louis XIV enfant, l'histoire de Henri IV. Le père MAIMBOURG défigure deux grands sujets, les croisades et la Ligue. VARILLAS, écrivain fécond et sans conscience, perd un talent réel dans une foule d'histoires qu'on lirait avec plaisir si on pouvait les

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