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ÉLOQUENCE FRANÇAISE.

XXXIV.

Des principales époques de l'éloquence française.—Des orateurs qui ont brillé à chacune de ces époques.

L'éloquence française compte peu de monuments avant le dix-septième siècle. Cependant nous avons de grands orateurs dans tous les genres, dans la chaire chrétienne, à la chaire politique, au barreau, à l'Académie ; le genre académique est particulier à la France, et il a produit des morceaux fort remarquables.

La première époque, qui s'étend depuis le douzième siècle jusqu'à la fin du quinzième, présente quelques grands noms dans l'éloquence chrétienne et quelques essais remarquables qui appartiennent à l'éloquence politique.

La seconde époque, qui comprend le seizième siècle et la première moitié du dix-septième, est plus féconde, et prépare l'avènement de la grande éloquence chrétienne qui brille du plus vif éclat sous Louis XIV (troisième époque), et qui dégénère dans les successeurs des Bossuet, des Bourdaloue, des Fénelon et des Massillon.

Le dix-huitième siècle, qui forme une quatrième époque, nous montre l'affaiblissement de l'éloquence religieuse; mais le barreau et l'Académie fournissent des orateurs distingués, et la crise sociale qui éclate dans les dernières années de cette période donne enfin à la France de véritables orateurs politiques.

Première époque.

L'éloquence naissante.

Le douzième siècle est illustré par un grand orateur qui a mérité d'être mis au rang des Pères de l'Église : c'est saint BERNARD; ses discours, prononcés en latin, n'appartiennent pas à la littérature française. Il est vrai qu'on ne tarda pas à les traduire en français; mais l'imperfection de cet idiome naissant a effacé la plupart des beautés du texte original1. Saint Bernard avait eu d'éloquents précurseurs, et il y eut parmi ses contemporains et ses successeurs des prédicateurs qui ne sont pas sans mérite. Dans le siècle suivant, la scolastique étouffa l'éloquence religieuse. Les états généraux de 1355 et des années suivantes n'ont guère laissé que des souvenirs de troubles. Les débats entre ces assemblées turbulentes et la royauté n'ont pas enrichi l'éloquence.

Au quinzième siècle, le chancelier de l'université, Gerson, prêta à la parole évangélique l'appui d'un beau talent et l'autorité d'un caractère honorable. Pendant la seconde moitié de ce siècle, sous Louis XI, Charles VIII et Louis XII, on vit paraître quelques orateurs sacrés dont les noms nous sont parvenus. MAILLARD, MÉNOT et RAULIN, méritent d'être connus. On les a trop dépréciés; mais aussi il n'y a pas lieu à une complète réhabilitation. Ces prédicateurs populaires ne manquent pas de talent, mais ils manquent de goût; et ce n'est pas sans peine qu'on est parvenu à tirer de leurs sermons un petit nombre de passages éloquents et quelques traits ingénieux.

La Chronique de MONSTRELET, l'Histoire du religieux de

1. Voyez, sur saint Bernard, un passage de l'Éloge de Suger, par Garat, et une notice de M. Daunou dans le douzième volume de l'Histoire littéraire de la France.

Saint-Denis et celle de JUVENAL DES URSINS, offrent beaucoup d'essais oratoires dans le genre politique et judiciaire, qu'on ne doit ni admirer ni dédaigner. Les remontrances des états et de l'université, les manifestes des princes, ont l'avantage de faire connaître sous une forme oratoire la situation des esprits. Dans le genre judiciaire, le plus curieux monument de cette époque est l'Apologie du duc de Bourgogne par JEAN PETIT, plaidoyer vraiment monstrueux au fond et dans la forme. La réplique à ce manifeste, faite au nom de la duchesse d'Orléans, par l'abbé de CÉRISY, renferme quelques beaux mouvements d'éloquence. Le Quadriloge invectif d'ALAIN CHARTIER peut être considéré comme un monument oratoire d'un véritable intérêt littéraire et historique.

Les états généraux tenus à Tours en 1484, sous la minorité de Charles VIII, nous montrent quelques essais heureux d'éloquence politique. Les discussions de cette assemblée ont été recueillies par un de ses membres, JEAN MASSELIN, qui a traduit en latin les discours que les orateurs avaient prononcés en français. Le texte primitif de deux de ces harangues a été conservé.

Deuxième époque.

Eloquence religieuse et politique.

Au seizième siècle, la réforme, en agitant l'Église et l'État, réveilla l'éloquence. Parmi les orateurs religieux, il faut citer, dans le camp des protestants, CALVIN, génie redoutable et vraiment supérieur, dont la vie fut une longue prédication. On admire, surtout parmi ses ouvrages écrits en français, la préface de son institution chrétienne, discours adressé au roi François Ier, dans lequel la prose française commence à prendre son véritable caractère. L'apologie des protestants, que le réformateur adressa à la diète de Spire, écrite en latin, est pleine d'éloquence. THÉODORE DE BÈZE se distingua à côté de

Calvin, et fut, au colloque de Poissy, le champion des religionnaires. Parmi les catholiques, on nomme SIMON VIGOR, dont on a quelques sermons, et le cardinal de LORRAINE, qui répondit au discours de Théodore de Bèze par une harangue fort étendue.

La défense d'ANNE DUBOURG, conseiller au parlement de Paris, accusé d'hérésie et condamné à mort, est un morceau vraiment pathétique. On trouve dans les pamphlets des protestants, dirigés contre les Guises, des passages véhéments qui rappellent l'éloquence des tribuns de l'antiquité1. A l'assemblée des notables de Fontainebleau et aux états généraux d'Orléans, réunis par L'HÔPITAL, le chanchelier fit plusieurs discours remarquables. Dans la première de ces assemblées, l'évêque de Valence, MONTLUC, et l'archevêque de Vienne, MARILLAC, parlèrent avec succès. Le véritable orateur de cette époque est L'Hôpital, qui fit entendre dans toutes les circonstances un langage énergique et modéré, plein d'élévation. L'éloquence de ce grand citoyen mériterait un examen approfondi. Les états généraux deux fois assemblés à Blois n'ont rien légué à l'histoire de l'éloquence, et les états de la Ligue sont également stériles. Pour trouver l'éloquence, il faut la chercher dans les pamphlets des différents partis, dans les mémoires ou manifestes publiés par Du PLESSIS MORNAI, dans les discours patriotiques de DU FAY, petit-fils de L'Hôpital, dans la correspondance et les proclamations de HENRI IV. L'Anti-Espagnol, qu'on attribue à ANTOINE ARNAULD, père du grand Arnauld de Port-Royal, renferme de grandes beautés. Je ne puis qu'indiquer ces richesses oratoires 2. Le monument le plus remarquable de l'éloquence politique, au seizième siècle, se trouve dans cette Satire Ménippée qui donna, par le ridicule, le coup de grâce à la Ligue. C'est le discours de D'Aubrai, prononcé au nom du tiers état,

1. On en trouve plusieurs fort remarquables dans l'Histoire de Régnier de La Planche.

2. On les trouve réunies en partie dans les Mémoires de la Ligue.

et qu'on doit au jurisconsulte Pierre Pithou, un des plus savants hommes et des plus habiles écrivains de cet époque. Le traité de la Servitude volontaire ou le Contre un, écrit vers 1560 par l'ami de Montaigne, ÉTIENNE LA BOÉTIE, est une déclamation chaleureuse dans laquelle on rencontre quelques traits de véritable éloquence.

La prédication catholique pendant la Ligue n'a laissé d'autres monuments que les déclamations fanatiques des BOUCHER et des PORTHAISE'.

Pendant la première moitié du dix-septième siècle, l'éloquence politique se développa avec une certaine puissance aux états généraux de 16142. Nous en retrouvons encore quelques traces à l'époque de la Fronde, au moins dans les Mémoires du cardinal de RETZ, qui embellit sans doute ce qu'il crut reproduire.

L'éloquence religieuse compte, pendant cette période, saint FRANÇOIS DE SALES et son ami l'évêque de Belley, CAMUS, un de nos plus féconds écrivains; saint VINCENT DE PAUL, (1572-1660), qui s'éleva à la plus haute éloquence en appelant la compassion des riches sur le sort des enfants trouvés; JEAN DE LINGENDES, dont on a retenu quelques traits heureux, et le père DESMARES. Un prédicateur singulier, le père ANDRÉ, se fit alors un nom par l'originalité de ses saillies piquantes, mais peu dignes de la chaire chrétienne.

Le barreau, sous Louis XIII, s'enorgueillit des noms de SERVIN3 et d'OMER-TALON, avocats généraux, d'ANTOINE LE

1. M. Ch. Labitte a publié, sur les prédicateurs de la Ligue, un volume plein de curieux détails.

2. Un de nos collègues, M. Poirson, a mis en relief, dans un mémoire important, les harangues les plus remarquables prononcées devant cette assemblée, où les trois ordres du royaume furent réunis pendant la minorité de Louis XIII.

3. « Louis Servin, nommé avocat général par Henri IV, eut occasion, sous le règne suivant, de montrer une fermeté invincible, un attachement inviolable, mais éclairé, pour la personne du souverain. Il expira, en 1626, aux pieds de Louis XIII, dans le moment même où il faisait d'énergiques remontrances à ce prince, au sujet de quelques édits bursaux qu'il avait fait appor

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