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POÉSIE FRANÇAISE.

XXXII.

Des principales époques de la poésie française,

Le berceau de la poésie française écrite remonte au douzième siècle; elle commence à bégayer dans la langue romane, encore imparfaite. Ces faibles commencements languissent dans le voisinage du latin, qui continue d'être la langue de l'Église et de la politique. Les trouvères, c'est le nom des poëtes de la langue d'oil1 ou roman du nord, qui renfermait différents dialectes dont les progrès et la fusion. ont formé la langue française, ne prennent une importance réelle que vers la fin du douzième siècle.

Vers le temps de Philippe Auguste commence, sinon l'éclat, au moins la fécondité de la poésie française. Le moyen âge a produit, dans des genres différents, une masse considérable d'ouvrages qui méritent de fixer l'attention. Cette époque, qu'on peut appeler celle des trouvères, formera la première division de notre résumé.

La poésie du moyen âge finit avec Charles d'Orléans, poëte ingénieux et délicat, qui semble encore de la famille des trouvères. La poésie moderne commence avec Villon; nous la partagerons en époques que nous désignerons par le nom des poëtes qui en ont été ou les princes ou les législateurs. Villon et Marot seront les parrains de la première; la seconde

1. Langue d'oil par opposition à la langue d'oc ou roman provençal. Oit et oc ont le sens de oui. Il est probable que oil se prononçait ouil, ou plutôt oui ; car on ne prononçait pas les voyelles finales. Oc se prononce ó dans le roman provençal tel qu'il se parle encore aujourd'hui.

commencera avec Ronsard; Malherbe donnera son nom à la troisième, Boileau à la quatrième, et la dernière aura Voltaire pour représentant.

Ainsi, le moyen âge formera une première période qui nous conduira jusque vers la fin du quinzième siècle; les dernières années de ce siècle et la première moitié du seizième inaugureront la poésie moderne ; la puissante tentative de Ronsard et de ses adhérents nous donnera une période distincte, terminée par la réforme de Malherbe, qui commence une ère nouvelle. Le second législateur de notre poésie, Boileau, fixe à son tour une époque mémorable qui marque le point de perfection de la précédente, et qui donne une impulsion nouvelle longtemps suivie avec ardeur, mais bien ralentie, lorsque Voltaire vient, en dernier lieu, imprimer à la poésie un mouvement fécond et puissant. Cette détermination des époques poétiques nous paraît légitime, puisqu'en indiquant les phases les plus importantes du développement littéraire, elle en rapporte l'honneur aux promoteurs les plus actifs de ces diverses évolutions.

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Nos études ne commençant qu'avec la langue française, nous laisserons de côté les origines latines de notre littérature; on sait que cette partie de notre histoire se trouve développée dans le vaste monument que les bénédictins ont commencé, et que l'Académie des inscriptions poursuit avec courage; elle est contenue aussi dans un livre plus abordable, celui de M. Ampère, justement honoré, comme l'a dit M. Villemain, d'une distinction récente..

1. Histoire littéraire. Cette publication est arrivée au vingtième volume. 2. Histoire littéraire de la France avant le douzième siècle. L'Académie a décerné à M. Ampère le grand prix fondé par le baron Gobert.

XXXIII.

Des poëtes qui ont brillé dans ces différentes époques.

Poésie au moyen âge.

Les trouvères.

L'histoire de la poésie en France au moyen âge se trouve comprise dans le tableau général de la littérature de cette époque, tracé de main de maître par M. Villemain'. C'est là qu'il faut en aller chercher le mouvement et la physionomie. De récentes publications, faites avec soin et discernement, ont mis sous nos yeux plusieurs monuments remarquables de cette époque trop dédaignée parce qu'elle était mal connue, aujourd'hui trop vantée, comme il arrive dans toutes les réactions. Nous n'avons pas la prétention d'indiquer ces richesses antiques; il nous suffira, en choisissant quelques noms, de mettre sur la voie et d'éveiller une ardeur qui pourra se satisfaire ailleurs.

Les compositions en vogue au moyen âge sont, dans le genre épique, de grands poëmes qu'on appelle chansons de gestes, et dont les sujets sont tirés, en général, des exploits de Charlemagne et des douze pairs. Il faut y ajouter les romans de la Table ronde et les poëmes sur Alexandre. Dans les genres inférieurs, les contes sérieux ou badins apparaissent sous le nom de lais et de fabliaux. L'apologue est remis en vogue par des recueils appelés Isopets, d'Esope qui en a

1. Tableau de la littérature au moyen áge, en France, en Italie et en Angleterre.

2. Parmi ces publications, il faut distinguer le Roman de Brut, publié par M. Le Roux de Lincy; Parthénopex de Blois, par M. Crapelet ; le Roman de Rou ou Rollon, par M. Pluquet; Berte aux grans piés, Garin le Loherain, le Romancero français, dus à M. Paulin Paris, membre de l'Institut; Ogier le Danois, par M. Barrois; les OEuvres de Rutebœuf, par Achille Jubinal, et les nombreuses exhumations de M. Francisque Michel, remarquables par le choix et par la correction des textes, etc.

fourni les matériaux, aussi bien que ceux des fables élégamment versifiées de Marie de France.

L'allégorie, qui devient, à la fin du treizième siècle et pendant les siècles qui suivent, la principale muse du moyen âge, enfante l'interminable Roman de la Rose, épopée et encyclopédie du treizième et du quatorzième siècle.

Le théâtre, qui succéda à la vogue des chansons de gestes et des romans chevaleresques, nous offre les Miracles, les Mystères, les Moralités, les Farces et les Soties.

Entre les poëtes du douzième et du treizième siècle, auteurs dé récits héroïques, on distingue, après ROBERT WACE, qui à composé les Romans de Brut et de Rou ou Rollon, et qui n'est qu'un chroniqueur en vers, car il n'invente pas, CHRESTIEN DE TROYES, véritable trouvère, dont les poëmes font partie de ce qu'on appelle le cycle des chevaliers de la Table ronde. La Table ronde était un ordre de chevalerie institué par le roi Arthus, pour la recherche du saint Graal, vase sacré qui avait servi à la Cène, et dans lequel Joseph d'Arimathie avait recueilli le sang de Jésus-Christ pendant sa passion. Ce cycle, ou l'on remarque le Saint Graal, Tristan le Léonnois, Perceval le Gallois, Lancelot du Lac, embrasse toutes les aventures que M. Creuzé de Lesser à réunies, de nos jours, dans un poëme ingénieux par lequel il aspirait à devenir l'Arioste de la Table ronde. Charlemagne et ses douze pairs fournirent aux trouvères le sujet de chants héroïques qui entretenaient l'ardeur guerrière dans les esprits. La Chanson de Roland ou Poëme de Roncevaux est la plus célèbre de ces rapsodies héroïques qui se chantaient comme autrefois les poëmes d'Homère. HuON DE VILLENEUVE fut, pour cet autre cycle, ce que Chrestien de Troyes avait été pour le précédent. C'est à lui qu'appartiennent Renaud de Montauban, les Quatre fils Aymon, Maugis, Doon de Mayence, etc. ADENÉS OU ADAM LE ROI (ce surnom lui vient de ce qu'il fut sans doute roi des ménestrels) n'a pas composé moins de deux cent mille vers, remarquables par la facilité et une

certaine élégance de versification. Il est l'auteur de Berte aux grands piés, éditée récemment par M. Paulin Paris.

A côté des poëmes qui célèbrent Arthus et Charlemagne, on rencontre d'autres épopées sur les exploits d'Alexandre1, qui, élevé par les âges précédents aux proportions d'un héros mythologique, prend au moyen âge le caractère chevaleresque.

Les poëmes du cycle carlovingien ou chansons de gestes, comme les appelle M. Paulin Paris, composés de vers de dix ou de douze syllabes, sont partagés en stances de longueur inégale, sur une seule rime; la stance finit lorsque la rime est épuisée. L'imperfection de la langue des trouvères est une des causes de l'oubli où sont tombées en France ces productions originales dans lesquelles l'imagination des poëtes se donnait carrière. Le succès du Roman de la Rose et la chute des mœurs chevaleresques les fit négliger dès le quatorzième siècle; mais ils reparurent avec éclat au commencement du seizième, sous les auspices de François Ier, dans des traductions en prose. La réaction gréco-latine de l'école de Ronsard les éclipsa de nouveau; les romans pastoraux et héroïques des Urfé et des Scudéri les firent oublier, jusqu'à ce que, rajeunis au dix-huitième siècle par la plume élégante du comte de Tressan, ils charmèrent de nouveau l'imagination. Avant cette tardive réhabilitation, le cycle carlovingien avait fourni à l'Italie la matière d'un chef-d'œuvre, le Roland furieux de l'Arioste.

L'amour chevaleresque ne se produit que dans les romans de la Table ronde. Il devient une sorte de religion dans les Amadis, poëmes dont l'origine est douteuse, qui n'ont pas laissé de traces de leur naissance ou de leur passage en France au moyen âge, et que l'Espagne nous a transmis au seizième siècle, époque à laquelle la traduction d'Herberai des Essarts leur donna chez nous une vogue prodigieuse.

1. Notre vers héroïque tire son nom du Poëme d'Alexandre, écrit en vers de douze syllabes. Ce mètre avait été employé antérieurement, mais le nom d'alexandrin date de la célébrité du Poëme d'Alexandre.

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