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tout contribua à nourrir et à exalter son imagination, et les combats intérieurs de son âme donnèrent une force nouvelle à son génie. Peu d'écrivains possèdent au même degré le don de saisir et de dominer les esprits. Ses œuvres ne nous offrent pas un seul morceau qui appartienne par la forme au genre oratoire; mais l'éloquence éclate à chaque page dans les lettres admirables qui témoignent de la sensibilité de son âme, de la pureté de ses doctrines, de sa profonde érudition et de son enthousiasme religieux.

Saint AUGUSTIN est un de ces noms privilégiés qu'on rencontre à de longs intervalles dans l'histoire, et qui emplissent l'imagination. Les vastes proportions de son génie, les orages de sa vie, la prodigieuse variété de ses écrits, étonnent et déconcertent la critique qui n'a plus de mesure pour régler ses jugements. Je me trompe, et voici un passage qui me dément: «Nous arrivons, dit M. Villemain, à l'homme le plus étonnant de l'Église latine, à celui qui porta le plus d'imagination dans la théologie, le plus d'éloquence et même de sensibilité dans la scolastique. Donnez-lui un autre siècle, placez-le dans une meilleure civilisation, et jamais homme n'aura paru doué d'un génie plus vaste et plus facile. Métaphysique, histoire, antiquités, science des mœurs, connaissance des arts, Augustin avait tout embrassé. Il écrit sur la musique comme sur le libre arbitre; il explique le phénomène de la mémoire comme il raisonne sur la décadence de l'empire romain. Son esprit subtil et vigoureux a souvent consumé dans des problèmes mystiques une force de sagacité qui suffisait aux plus sublimes conceptions. Son éloquence entachée d'affectation et de barbarie est souvent neuve et simple; ses ouvrages, immense répertoire où puisait cette science théologique qui a tant agité l'Europe, sont la plus vive image de la société chrétienne à la fin du quatrième siècle. >>

Les travaux de saint Augustin sont l'histoire de sa vie ; ils attestent ses combats contre lui-même, ses erreurs et ses

retours, et ses luttes courageuses contre les sectaires de son temps. La gloire de sa conversion revient à saint Ambroise, qui conquit pour l'Église ce champion redoutable. Né à Tagaste en Afrique, élevé à Madaure et à Carthage, Symmaque l'envoya à Milan pour y professer l'éloquence; c'est là que le christianisme fixa les incertitudes de son esprit et calma les inquiétudes de son cœur. De retour en Afrique, et devenu évêque d'Hippone, il dirigea, pendant le reste de sa vie, l'Église d'Afrique, dominée et éclairée par son génie. Saint Augustin mourut pendant le siége de Carthage par les Vandales, pressentant la déchéance de cette florissante colonie chrétienne dont il avait augmenté l'éclat.

Les ouvrages les plus célèbres de saint Augustin sont la Cité de Dieu et les Confessions. L'énumération de ses traités contre les hérésiarques, de ses sermons et homélies, de ses ouvrages philosophiques, nous entraînerait trop loin.

Après ces grands orateurs, il faut nommer saint LEON, pape de l'an 440 à 461; SALVIEN, prêtre de Marseille au cinquième siècle1, et saint GRÉGOIRE le Grand, pape de 490 à 504, avec lequel s'éteignirent dans l'Occident, et pour plusieurs siècles, les derniers restes de l'éloquence sacrée. «Saint Léon, dit Fénelon, est enflé, mais il est grand. Saint Grégoire, pape, était encore dans un siècle pire il a pourtant écrit plusieurs choses avec beaucoup de dignité. » Ces quelques mots d'un maître suffisent à l'éloge de ces derniers des Pères de l'Église latine.

1. Voyez sur Salvien, M. J. J. Ampère. 2o vol., p. 178.

HISTORIENS LATINS.

XXXI.

Des principaux historiens latins.

Pendant plusieurs siècles, le seul historien de Rome fut le grand pontife, qui inscrivait sur des tables de bois, année par année, sinon jour par jour, comme le veut le grammairien Servius, tous les faits dignes d'être conservés. Ces tables étaient exposées dans la maison du pontife, afin que le peuple pût les consulter. Ces documents historiques sont connus sous le nom d'Annales des pontifes. M. Le Clerc les définit ainsi : « Les Annales des pontifes étaient des espèces de tables chronologiques, tracées d'abord sur des planches de bois peintes en blanc et où le grand pontife, peut-être depuis le premier siècle de Rome, mais au moins depuis l'an 350 jusqu'à 623 ou peu de temps après, indiquait, année par année, d'un style bref et simple, les événements publics les plus remarquables 1. »

Le premier historien latin est FABIUS PICTOR, qui vivait pendant la seconde guerre punique, et dont les historiens postérieurs citent souvent les Annales. Ces citations ont transmis jusqu'à nous quelques fragments de cet auteur. Après lui, CATON le censeur publia son ouvrage des Origines, qui comprenait sept livres, malheureusement perdus : il n'en reste que des passages peu étendus. La même époque produisit un grand nombre d'historiens et d'annalistes dont les

1. Consulter, sur les origines de l'histoire romaine, l'ouvrage de M. Le Clerc: Des Journaux chez les Romains. On sait que ce livre est un des plus beaux monuments de l'érudition moderne.

noms seuls nous sont parvenus. La perte la plus regrettable est celle des mémoires que Sylla avait écrits sur sa vie.

Maintenant nous avons à citer de grands noms et des œuvres immortelles.

JULES CÉSAR (100 ans avant J. C.) s'est placé au premier rang des historiens latins en ne croyant écrire que des mémoires. Il a mis dans ses Commentaires sur les guerres des Gaules et sur les guerres civiles, écrits sans apprêt, et, pour ainsi dire, au cours de ses victoires, la supériorité de son génie.. La clarté, la rapidité, l'héroïque simplicité de la narration, l'exactitude des détails stratégiques, font de ces mémoires le plus précieux monument de l'histoire romaine. Il a fallu, pour qu'on eût quelque chose à comparer aux Commentaires de César, que le plus grand capitaine des temps modernes dictât à son tour le récit de ses campagnes d'Italie. Le même génie a reproduit le même style.

Le premier des grands historiens latins dans l'ordre des dates, après César, est C. SALLUSTE1, qui avait composé une Histoire romaine depuis Sylla jusqu'à la Conjuration de Catilina; nous possédons de cet ouvrage quelques discours admirables. La Guerre de Jugurtha et la Conjuration de Catilina, sont des ouvrages du premier ordre : la clarté du récit, l'éloquence des discours, la beauté des portraits, l'élévation des sentences morales, l'énergie et la pureté du style, expliquent le jugement de Martial sur cet écrivain :

Primus romana Crispus in historia.

Il est fâcheux que la pure et sévère morale exprimée dans les ouvrages de Salluste n'ait pas été la règle de sa vie.

La chronologie amène, à côté de César et de Salluste, CORNELIUS NEPOS, ami de Cicéron, de Catulle et d'Atticus. Nous ne pouvons pas le juger comme historien, puisque les Annales qu'il avait composées ne nous sont pas parvenues; ses Vies des grands capitaines lui assurent un rang élevé parmi

1. Crispus Sallustius, né à A miterne, 85 ans avant J. C.

les biographes. Cornelius Nepos écrit avec élégance et pureté ; mais on a relevé dans ses récits de graves inexactitudes.

TITE-LIVE, né à Padoue, 59 ans avant J. C., consacra plus de vingt ans à la composition de sa grande Histoire romaine. Ce beau monument, élevé à la gloire de Rome, nous est arrivé mutilé par le temps. Des cent quarante livres qu'il contenait, nous n'en possédons que trente-cinq, dont le rare mérite redouble les regrets qu'inspire la perte des autres. Tite-Live sait donner aux événements un intérêt dramatique; il met en scène les héros de son histoire, et les discours qu'il leur prête sont des modèles de convenance et d'éloquence. Son style, abondant et précis, a du nerf et de la couleur. Nous ne savons sur quelles parties porte le reproche de patavinité que Pollion adressait à ce style qui nous paraît irréprochable. L'accusation qui repose sur une trop grande facilité à accueillir des faits merveilleux est mieux fondée; mais Tite-Live les admet comme traditions accréditées et à titre d'ornements. Nous n'avons pas le courage de blâmer sa partialité en faveur des Romains, car ce sentiment fait l'unité de son œuvre, et il lui a donné l'ardeur nécessaire pour accomplir cet immense travail 1.

TROGUE-POMPÉE, contemporain de Tite-Live, est placé par les anciens au rang des grands historiens. Malheureusement son Histoire universelle, qui comprenait quarantequatre livres, ne nous est connue que par l'abrégé de JUSTIN', travail qui manque de critique et de proportion. Il est vraisemblable que cet abrégé, dont le style est inégal, contient, dans ses parties les plus estimées, des fragments assez étendus de l'ouvrage même de Trogue-Pompée.

C. VELLEIUS PATERCULUS, né 19 ans avant J. C., se distingua dans les armées avant d'écrire l'histoire. Il accompa

1. Tite-Live a été traduit, en grande partie, avec talent, par M. Liez, professeur distingué et habile administrateur, dont l'université déplore la mort prématurée. Voyez la Bibliothèque latine publiée par G. L. Panckoucke. 2. Justin vivait sous les Antonins.

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