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c'est le fait même identifié avec la pensée de l'écrivain par la puissance de l'imagination et par le double sentiment de l'idéal et du réel, principe de la vraie beauté dans les arts. >>

THUCYDIDE (473 avant J. C.), né à Athènes, comptait Miltiade parmi ses ancêtres. Hommes d'État et guerrier, il est le premier des historiens politiques. Il prit part à la guerre du Péloponnèse. Commandant de la flotte athénienne dans la mer Égée, et n'ayant pu arriver à temps pour prévenir la prise d'Amphipolis attaquée à l'improviste par le général lacédémonien Brasidas, il fut condamné à l'exil. Nous devons peut-être son histoire à l'injuste sévérité des Athéniens. C'est dans son exil de vingt années qu'il la composa, sans toutefois pouvoir la terminer; car elle ne comprend que les vingt et une premières années de cette longue lutte entre Sparte et Athènes.

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Thucydide a pris l'histoire au point où l'avait laissée Hérodote, mais il ne ressemble en rien à l'historien qu'il continue. Style, méthode, esprit général, tout diffère. « Hérodote, dit Quintilien, est naïf, doux et fécond; Thucydide est concis et condensé densus et brevis; l'éloquence du premier est insinuante, celle du second, passionnée; l'un excelle dans les entretiens, l'autre, dans les harangues solennelles; Hérodote attire par le plaisir, Thucydide entraîne par sa vigueur. >> Thucydide, asservi à l'ordre chronologique, marche droit à son but; Hérodote aime les digressions; Thucydide attribue l'issue heureuse ou funeste des événements à l'habileté, aux fautes des hommes d'État et des généraux, Hérodote y voit l'accomplissement des ordres du destin. Thucydide possède à un degré éminent le talent de raconter et de décrire, et les réflexions profondes qu'il mêle à ses récits et à ses tableaux en redoublent l'intérêt; mais ce qui orne surtout son histoire, ce sont les harangues dans lesquelles il a su faire entrer la politique, la morale et la tactique militaire; il y a mis son âme tout entière et sa science. « Il a su, dit M. Daunou, composer des harangues véritablement guerrières, qui com

mencent en quelque sorte les combats qu'elles annoncent, et qui retentissent déjà comme des coups portés à l'ennemi. Souvent elles expliquent et peignent les manœuvres et les choses qui vont suivre ; elles instruisent, ébranlent et animent les armées qui les écoutent. Cependant c'est dans ses harangues politiques que se fait le plus admirer le talent de l'historien; sans elles, nous ne saurions pas combien son âme était sensible, sa pensée profonde, son éloquence flexible et entraînante. >> On remarque particulièrement dans l'histoire de Thucydide, divisée en huit livres, l'oraison funèbre des Athéniens morts dans les combats, prononcée par Périclès; la description de la peste d'Athènes, modèle de la plupart des descriptions qui ont suivi, et qui demeure supérieure à toutes les imitations; les harangues de Diodote en faveur des Mityléniens, et d'Antimaque pour les Platéens. Le septième livre, où la catastrophe des Athéniens en Sicile est racontée. dans tous ses détails, passe pour le morceau le plus dramatique de cette admirable histoire.

XÉNOPHON d'Athènes (445-556 avant J. C.), fils de Gryllus, disciple de Socrate pour la philosophie et d'Isocrate pour l'éloquence, a été surnommé l'abeille attique à cause de l'exquise douceur et de la grâce de son style. Historien, il a continué Thucydide, comme celui-ci avait continué Hérodote, sans l'imiter. Son histoire, qui prend les événements au point précis où se termine la narration de Thucydide pour les conduire jusqu'à la bataille de Mantinée, a le titre d'Helléniques ou affaires de la Grèce. Dans le cours de sa vie active, Xénophon avait pris part, comme ami de Cyrus le Jeune, à l'expédition de ce prince contre son frère Artaxerxès; et après le massacre des vingt-cinq généraux de l'armée grecque, quoique simple volontaire, ce fut lui qui dirigea cette admirable retraite des Dix mille dont il fut plus tard l'historien.

Les Helléniques et l'Anabase, qui contient l'expédition de Cyrus et la retraite des Dix mille, sont, avec la Vie ou plutôt

l'Éloge d'Agésilas, les seuls ouvrages historiques de Xénophon; car la Cyropédie n'est guère qu'un roman politique dans lequel l'auteur développe, à travers des événements et sous des noms empruntés à l'histoire des Perses, ses idées sur l'éducation et sur l'art de la guerre. Ses autres écrits, également remarquables, sont ou philosophiques ou politiques.

Xénophon fut banni comme Thucydide, non pour un échec militaire, mais comme justement suspect d'attachement aux Lacédémoniens, après avoir pris part à l'expédition d'Agésilas en Asie. Son exil dura trente ans ; on ne sait pas s'il usa de la liberté qui lui était rendue de revoir sa patrie, et il est certain qu'il mourut à Corinthe, âgé, dit-on, de quatre-vingtdix ans 1.

Après les historiens attiques, nous rencontrons les historiens de l'époque gréco-romaine, à la tête desquels il faut nommer, dans l'ordre des temps et du génie, POLYBE de Mégalopolis (203 avant J. C.), qui étudia sous Philopomen l'art de la guerre. Prisonnier des Romains, il accompagna au siége de Carthage Scipion, dont il était l'ami. Son histoire universelle, qui comprenait les guerres puniques et qui s'étendait jusqu'à la guerre de Macédoine, est malheureusement mutilée; mais les parties considérables qui nous sont parvenues le placent aux premier rang parmi les historiens politiques et militaires. Son livre est la Bible des guerriers et l'objet des méditations des hommes qui étudient la tactique.

DIODORE de Sicile, contemporain d'Auguste, avait résumé dans sa Bibliothèque universelle, composée de quarante-quatre livres, les travaux des historiens antérieurs sur l'Egypte, la Perse, la Grèce, Rome et Carthage. Il ne nous reste guère que le tiers de son ouvrage, qui est encore pour l'érudition une mine inépuisable.

DENYS d'Halicarnasse a laissé, sous le nom d'Antiquités

1. Vovez sur Xénophon un remarquable travail de M. Letronne dans la Biographie universelle.

romaines, une histoire des premiers temps de Rome. Les onze livres que nous possédons s'arrêtent à l'an de Rome 312. L'exactitude de ses recherches et la sagacité de sa critique contrôlent utilement les récits poétiques de Tite-Live.

L'auteur de l'Histoire des Juifs, FLAVIUS JOSÈPHE, né à Jérusalem l'an 37 de l'ère chrétienne, fut gouverneur de la Galilée. Engagé malgré lui dans une guerre contre les Romains, il la prépara avec vigueur et la poussa avec intrépidité. Fait prisonnier après le sac d'une ville qu'il avait longtemps défendue, il fut honorablement traité par Vespasien, et il accompagna Titus au siége de Jérusalem. Ses exhortations ne purent vaincre la fatale opiniâtreté des Juifs. Jérusalem fut prise et saccagée. C'est l'histoire de cette terrible catastrophe que Josèphe a écrite avec talent, et qui forme dans son livre un tableau vraiment dramatique.

PLUTARQUE, né à Chéronée, en Béotie, vers l'an 50 de J. C., a élevé la biographie à la dignité de l'histoire1. Ses Vies des hommes illustres, par les détails qu'elles renferment et par cet art simple et ingénieux qui peint les personnages,

1. Voici en quels termes J. J. Rousseau, admirateur passionné de Plutarque, apprécie sa manière d'écrire l'histoire : «< Plutarque excelle par les mêmes détails dans lesquels nous n'osons plus entrer. Il a une grâce inimitable à peindre les grands hommes dans les petites choses; et il est si heureux dans le choix de ses traits, que souvent un mot, un sourire, un geste lui suffit pour caractériser son héros. Avec un mot plaisant, Annibal rassure son armée effrayée et la fait marcher en riant à la bataille qui lui livra l'Italie Agésilas, à cheval sur un bâton, me fait aimer le vainqueur du grand roi : César traversant un pauvre village et causant avec ses amis, décèle, sans y penser, le fourbe qui disait ne vouloir qu'être l'égal de Pompée : Alexandre avale une médecine et ne dit pas un seul mot; c'est le plus beau moment de sa vie: Aristide écrit son propre nom sur une coquille, et justifie ainsi son surnom : Philopœmen, le manteau bas, coupe du bois dans la cuisine de son hôte. Voilà le véritable art de peindre. La physionomie ne se montre pas dans les grands traits, ni le caractère dans les grandes actions; c'est dans les bagatelles que le naturel se découvre. Les choses publiques sont ou trop communes ou trop apprêtées, et c'est presque uniquement à celles-ci que la dignité moderne permet à nos auteurs de s'arrêter. » La lecture des Vies de Plutarque était un des plus vifs plaisirs de Henri IV, qui a exprimé dans une lettre remarquable son admiration pour cet historien.

représentent au vif les mœurs, les usages et les caractères des temps antiques. Il y a peu de lectures aussi attachantes aussi instructives, aussi propres à élever les âmes. C'est surtout à propos de Plutarque qu'on peut dire avec La Bruyère : << Quand une lecture vous élève l'esprit et qu'elle vous inspire des sentiments nobles et courageux, ne cherchez pas une autre règle pour juger de l'ouvrage ; il est bon et fait de main d'ouvrier. »

ARRIEN, né à Nicomédie, en Bithynie (105 de J. C.), rappelle, par son caractère et ses travaux, les grands historiens de l'époque antérieure, et on ne saurait douter qu'il n'ait pris Xénophon pour modèle. Instruit à l'école du philosophe Épictète, comme Xénophon le fut par Socrate, il se mêla, à l'exemple de son devancier, à la politique et à la guerre, et dans ses ouvrages, où il aborde la philosophie, l'histoire et la tactique militaire, il a traité du même style des sujets analogues. En récompense de sa bravoure et de ses talents militaires, Adrien le fit citoyen romain et gouverneur de la Cappadoce, qu'il défendit contre les Alains l'an 134 de J. C. Après les exploits de cette guerre, il obtint le titre de sénateur, et fut élevé à la dignité consulaire. Plusieurs des ouvrages historiques et philosophiques d'Arrien ont été perdus: parmi ceux qui nous restent, les plus importants sont, en philosophie, le Manuel d'Épictète; en histoire, les sept livres des Expéditions d'Alexandre, le meilleur sans comparaison de tous les ouvrages composés sur le vainqueur de l'Asie. On voit qu'ils sont dus à un homme d'État et de guerre, habile écrivain.

APPIEN d'Alexandrie, contemporain d'Arrien, qu'il n'égale pas comme écrivain, a cependant maintenu la dignité de l'histoire. Jeune, il vint à Rome, où il se distingua d'abord comme avocat; nommé surintendant du palais impérial, il s'éleva, dit-on, à la dignité de gouverneur de la province d'Égypte. Polybe fut le modèle qu'il se proposa comme historien. Son Histoire romaine, divisée en vingt-quatre

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