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charmes de la nature et tous les raffinements de la civilisation; c'est pour cela qu'ils ont uni l'élégance et la vérité dans un idéal vraisemblable. Leurs imitateurs ont souvent substitué l'esprit à la naïveté, l'affectation au naturel, parce qu'ils peignaient sans avoir vu et qu'ils imaginaient sans avoir senti.

Il y a des poésies pastorales qui se rapprochent du genre lyrique et du genre narratif.

L'apologue est un récit allégorique qui contient une vérité morale facile à saisir sous la transparence du voile dont elle est couverte. Dans Ésope et dans Phèdre, l'apologue est un simple récit plus ou moins orné ; notre La Fontaine en a fait une ample comédie à cent actes divers, par la mise en scène des personnages qui vivent et qui agissent sous les yeux du lecteur. L'apologue, originaire de l'Orient, où la pensée revêt si volontiers la forme allégorique, a pris partout racine : il devait réussir, parce qu'il exerce la sagacité de l'esprit en proposant une énigme dont le mot se trouve sans trop d'efforts, et qu'il enseigne la morale sans offense pour l'amourpropre ni tourment pour la conscience.

Le conte admet dans ses récits, la vérité et la fiction, le ton en est habituellement simple, le tour plaisant, le fond léger. On le rencontre comme épisode dans le poëme badin, dans le roman, dans l'épître; mais il a souvent une existence à part, et sous cette forme il a été un des ornements de notre littérature. Quelques-uns de nos poëtes y ont excellé. Ce genre est soumis à toutes les règles de la narration, qui doit être une, ornée, claire et vraisemblable.

L'épître en vers traite, comme les lettres en prose, une grande variété de sujets : elle reproduit, sous une forme élégante, simple et familière, ce qui fait la matière des entretiens des hommes. Elle s'élève quelquefois jusqu'à traiter avec gravité des sujets moraux et philosophiques. Ses dimensions sont bornées, mais la compréhension du genre est indéfinie.

Petits genres ou poésies fugitives.

On donne le nom de poésies fugitives à des pièces de peu d'étendue qui expriment soit une pensée saillante, soit un sentiment de l'àme, soit un trait d'esprit. Ce sont des fleurs poétiques écloses isolément, et qui ont assez de grâce et de parfum pour être conservées. On a recueilli, sous le titre d'Anthologie, celles que la Grèce nous a léguées. Dans les littératures modernes, quelques-unes de ces pièces se prẻsentent sous une forme qui relève, par le mérite de la difficulté vaincue, la grâce et la délicatesse de la pensée. Tel est, en première ligne, le sonnet, dont Boileau n'a pas dédaigné d'écrire les rigoureuses lois. Ce petit poëme se compose de quatorze vers divisés en deux quatrains et deux tercets. Les deux quatrains doivent reproduire les mêmes rimes masculine et féminine; les deux tercets n'ont qu'une rime masculine et deux rimes féminines, ou réciproquement ; aucune des stances ne doit empiéter sur l'autre, et le même mot ne doit jamais reparaître 1. L'invention du

1. Je cite pour exemple', et non pour modèle, un sonnet de Voiture, qui porte la double empreinte de l'affectation italienne et de l'emphase espagnole :

Des

portes du matin l'amante de Céphale

Ses roses épandait dans le milieu des airs,
Et jetait sous les cieux nouvellement ouverts

Ces traits d'or et d'azur qu'en naissant elle étale :

Quand la Nymphe divine, à mon repos fatale,
Apparut et brilla de tant d'attraits divers,
Qu'il semblait qu'elle seule éclairait l'univers
Et remplissait de feux la rive orientale.

Le Soleil se hâtant pour la gloire des cieux,
Vint opposer sa flamme à l'éclat de ses yeux,
Et prit tous les rayons dont l'Olympe se dore :
L'onde, la terre, et l'air s'allumaient à l'entour;
Mais auprès de Philis on le prit pour l'Aurore,
Et l'on crut que Philis était l'astre du jour.

Ce sonnet a son importance historique comme symptôme du goût qui régnait en France quelques années avant la période qu'on désigne sous le nom de

sonnet remonte à Girard de Bourneuilh, poëte limousin, mort en 1278. Ce petit poëme fleurit en Italie où il fut transplanté. Illustré par le génie de Pétrarque, il nous est revenu comme une importation étrangère dont on fait encore honneur à l'Italie.

Le rondeau se compose de treize vers ordinairement sur deux rimes, l'une maculine et l'autre féminine, et se partage en trois couplets, le premier de cinq, le second de trois, et le dernier de cinq vers. Le second et le troisième couplet reproduisent en appendice final, et sous forme de refrain, les premières syllabes du premier vers1. Dans les rondeaux du quinzième siècle le vers est reproduit intégralement.

Le triolet est formé de huit vers sur deux rimes, disposés

siècle de Louis XIV, et comme témoignage de l'influence de l'Espagne et de l'Italie sur notre littérature. A la même époque, les beaux esprits se divisaient en deux camps, à propos des sonnets d'Uranie et de Job. On disputait alors sur le degré de perfection; maintenant il nous paraît difficile de décider quel est le plus médiocre des deux..

1. On cite volontiers pour exemple le rondeau dans lequel Voiture donne les règles du genre. Cette pièce, si souvent citée, n'indique que le métier; les règles de l'art sont tracées de main d'ouvrier dans le rondeau suivant, que j'emprunte au recueil de Clément Marot :

Response à ung rondeau qui se commençoit : « Maistre Clément, mon bon amy. »

En ung rondeau sur le commencement,
Ung vocatif, comme « maistre Clément, »>
Ne peult faillir rentrer par huys ou porte:
Aux plus sçavants poëtes m'en rapporte,
Qui d'en user se gardent saigement.

Bien inventer vous fault premièrement
L'invention, deschiffrer (disposer) proprement
Si que raison, et rythme (rime) ne soit morte
En ung rondeau.

Usez des mots receuz communément,

Rien superflu n'y soit aucunement,

Clouez tout court, rentrez de bonne sorte,
Maistre passé serez certainement

En ung rondeau.

de telle sorte que le premier reparaisse naturellement après le troisième, et que le sens ramène les deux premiers pour elore le huitain1.

Les règles de la ballade ne sont pas moins sévères : elle renferme trois couplets qui peuvent être de huit, de dix ou de douze vers; le sens doit être complet après le quatrième, le cinquième ou le sixième, c'est-à-dire au milieu du couplet; le retour des mêmes rimes est obligatoire : le même vers termine chaque couplet, de même que l'envoi, demicouplet supplémentaire qui complète ce petit poëme, dont l'étendue peut être de vingt-huit, trente-cinq ou quarantedeux vers2. La Fontaine a composé plusieurs ballades de

1. En voici un exemple que j'emprunte à Scarron :

Il faut désormais filer doux,

Il faut crier miséricorde :

Frondeurs, vous n'êtes que des fous,
Il faut désormais filer doux.

C'est mauvais présage pour vous
Qu'une fronde n'est qu'une corde :

Il faut désormais filer doux,

Il faut crier miséricorde.

2. Les Allemands ont aussi donné le nom de ballade a un poëme qui contient habituellement, sous une forme presque lyrique, le récit d'une légende où le merveilleux se mêle au tragique. La ballade de Lénore, par Bürger, plusieurs fois traduite en français, est un des modèles du genre. Les poésies de V. Hugo renferment plusieurs morceaux de cette espèce. La Fontaine, à l'imitation du rondeau de Voiture, a composé une ballade qui réunit le précepte à l'exemple. Elle est adressée à Fouquet. La voici :

Trois fois dix vers et puis cinq d'ajoutés,
Sans point d'abus, c'est ma tâche complète :
Mais le mal est qu'ils ne sont point comptés.
Par quelque bout il faut que je m'y mette;
Puis, que jamais ballade ne promette,
Dussé-je entrer au fin fond d'une tour.
Nenni, ma foi, car je suis déjà court,
Si que je crains que n'ayez rien du nôtre.
Quand il s'agit de mettre un œuvre au jour,
Promettre est un, et tenir est un autre.

Sur ce refrain, de grâce, permettez
Que je vous conte en vers une sornette.....

quatre et même de cinq couplets, dans lesquelles il a négligé le repos du milieu, et dont l'envoi a le même nombre de vers que les strophes. Mais on pardonne tout à La Fontaine quand on le lit.

Le lai et le virelai sont des variétés de la chanson. Chaque couplet du lai ne roule que sur deux rimes; il est composé de petits vers coupés de deux en deux par un vers de deux syllabes1. Le virelai se rapproche de la ballade et du triolet, parce que le premier ou les deux premiers vers de chaque strophe reparaissent à la fin.

Le madrigal, l'épigramme et l'inscription n'ont d'autre règle que d'exprimer avec concision une pensée touchante, gracieuse ou piquante. Par un curieux hasard, les madrigaux qu'on cite le plus volontiers appartiennent à trois viet mes de Boileau : Pradon, Cottin et Desmaretz de SaintSorlin. Celui de Desmaretz est une des fleurs de la Guirlande de Julie, ce monument de galanterie quintessenciée élevé par le grave M. de Montausier en l'honneur de mademoiselle

La sornette est contée en huit vers, et remplit le reste du couplet. Je transcris le troisième :

Sans y penser j'ai vingt vers ajustés,
Et la besogne est plus qu'à demi faite.
Cherchons-en treize encor de tous côtés,
Puis ma ballade est entière et parfaite.
Pour faire tant que l'ayez toute nette,
Je suis en eau, tant que j'ai l'esprit lourd ;
Et n'ai rien fait, si par quelque bon tour
Je ne fabrique encore un vers en ôtre;
Car vous pourriez me dire à votre tour:
Promettre est un, et tenir est un autre.

ENVOI.

O vous, l'honneur de ce mortel séjour,
Ce n'est pas d'hui que ce proverbe court;
On ne l'a fait de mon temps ni du vôtre :
Trop bien savez qu'en langage de cour
Promettre est un, et tenir est un autre.

1. On donne aussi le nom de lais à des pièces du genre narratif comme celles de Marie de France, qui sont de véritables contes. Voy. l'édition publiée par M. de Roquefort, 2 vol. in-8°.

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