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HISTOIRE LITTÉRAIRE.

POÉSIE GRECQUE.

XXIII.

Des principales époques de la poésie grecque.

Aucune littérature n'embrasse un espace de temps aussi considérable que la littérature grecque. Nous trouvons son berceau à l'époque fabuleuse qui précède la guerre de Troie, et elle ne périt que vers le milieu du quinzième siècle de notre ère, lorsque les Turcs s'emparèrent de Constantinople; encore ne périt-elle pas complétement, car les œuvres qu'elle a enfantées vont féconder d'autres littératures, et, au dixneuvième siècle, l'indépendance de la Grèce lui prépare une vie nouvelle.

La poésie est la portion la plus brillante de cette riche littérature. Nous devons nous en occuper en premier lieu, parce que, dans l'ordre des temps, elle précède tout autre développement de la pensée. La poésie est le fruit le plus naturel de l'intelligence : la prose arrive plus tard; cette antériorité tient sans doute à la vivacité des premières impressions de l'âme et au besoin de soumettre à la mesure l'expression de la pensée, pour que la mémoire en conserve plus facilement le dépôt.

L'histoire de la poésie grecque se divise naturellement en plusieurs époques marquées par les révolutions de la penséc et le déplacement du centre littéraire.

La première époque, qu'on peut appeler mythique, et qui remonte au delà des temps héroïques, pour s'arrêter à la

guerre de Troie (1270 avant J. C.), n'a laissé d'autres souvenirs que les noms de quelques poëtes théologiens et législateurs dont les chants religieux commencèrent à civiliser les peuplades barbares de la Thrace et de la Grèce. C'est le temps de la poésie sacerdotale la fable s'y mêle à l'histoire et porte l'incertitude, avec la vénération, autour des noms des Linus et des Orphée. On donne aux poëtes de cette époque le nom d'Aèdes '.

La seconde (1270-594 av. J. C.), que nous nommerons héroïque, ouverte par les poëmes d'Homère, qui la remplissent presque tout entière, est encore illustrée par Hesiode. L'Asie Mineure est alors le principal foyer du mouvement poétique. Après l'épopée, on voit paraître la poésie cosmogonique, morale et didactique, et sur la limite de la période suivante se produisent des chants lyriques, élégiaques et satiriques. Toute cette époque est marquée d'un caractère de grandeur imposante, puisqu'après Homère et Hésiode, elle nous présente encore les Alcée, les Sappho, les Archiloque, les Tyrtée.

Dans la troisième époque (594-336 av. J. C.), âge d'or de la poésie, qui commence avec Solon et qui se termine après Alexandre, le génie grec atteint sa perfection. C'est une de ces rares époques d'éclat et de maturité tout ensemble, qui impriment aux œuvres qu'elles produisent le caractère de· cette beauté durable à laquelle on rend toujours hommage, lors même qu'on est devenu inhabile à l'imiter. La principale gloire de la poésie de ce temps, ce sont les chefs-d'œuvre du genre dramatique porté à sa perfection dans la tragédie par Sophocle, et par Aristophane dans la comédie politique. Périclès a donné son nom à la période la plus brillante de ce mouvement poétique, dont Athènes fut le principal foyer.

Dans la quatrième époque, lorsque la Grèce eut perdu son indépendance, la poésie se déplaça et vint fleurir à Alexan

1. Aotooi, chantres.

drie, à la cour des Ptolémées. Cette poésie artificielle ne manqua pas de grâce, mais elle ne garda ni la force ni la vérité qu'elle avait reçues du siècle de Périclès (335-146 av. J. C.). Toutefois elle produisit Théocrite, que ses idylles placent au rang des maîtres.

Ainsi la poésie brilla successivement dans la Thrace, dans l'Asie Mineure, à Athènes, à Alexandrie. L'Europe, l'Asie et l'Afrique virent le génie grec se naturaliser et s'épanouir dans des conditions différentes et sous des climats divers.

Dans la cinquième époque (146 av. J. C. — 306 de J. C.) la littérature se dissémine; la Grèce vaincue porte partout, sous les auspices de Rome, les monuments de son génie et ses arts dégénérés. Sa poésie, encore active, manque d'inspiration. Cette période, à laquelle on donne le nom de grécolatine, ne produit que des compositions frivoles et de courte haleine, ou bien elle versifie la science dans de longs traités didactiques où l'on ne reconnaît plus que l'appareil extérieur de la poésie.

La sixième époque, ou époque byzantine (306-1453 de J. C.), est moins stérile que la précédente. Byzance étant devenue, au préjudice de Rome, la capitale du monde, le fantôme qui survivait à la poésie s'y transporta. Le Bas-Empire n'avait, pour inspirer ce qu'il appelait encore les muses par tradition, ni la liberté qui ennoblit les âmes, ni la gloire qui dédommage de la liberté. Les versificateurs de ce temps se contentèrent, en général, de flatter les grands par de petites pièces qui ne demandaient pas la gloire pour salaire. Toutefois sous l'influence de la religion chrétienne et de la philosophie platonicienne, la poésie produisit alors quelques chants inspirés. Il y eut, en outre, d'estimables tentatives pour remettre en honneur, par de nouvelles épopées, les traditions des temps héroïques.

Dans les deux premières de ces époques, l'inspiration naturelle du génie caractérise la poésie; la troisième marque l'alliance intime et harmonieuse de l'art et de la nature.

L'art domine dans la quatrième, et fait place au métier dans les époques suivantes. La poésie, exclusivement lyrique et religieuse dans le premier âge, devient ensuite épique et héroïque; elle est surtout dramatique dans la période suivante; elle brilla dans la pastorale à la cour des Ptolémées; et pendant la décadence de l'empire et du Bas-Empire, elle serait presque exclusivement adulatrice et didactique, si, à l'époque byzantine, l'imitation des poëmes d'Homère et l'influence du christianisme ne lui avaient rendu quelque dignité.

Les détails dans lesquels nous allons entrer rectifieront, en les complétant, ces aperçus généraux. Nous devons dire, avant de passer outre, que cette division en six époques a été établie par M. Schoell, dans son Histoire de la Littérature grecque.

XXIV.

Des poëtes qui ont brillé aux différentes époques de la poésie grecque.

Première époque.

Époque mythique.

Les premiers poëtes de la Grèce réunissent le triple caractère de chantres, de prêtres et de prophètes. La religion est leur muse, et c'est par elle qu'ils triomphent de la barbarie. La lyre et la harpe accompagnaient leurs chants, et la musique ne se sépare pas de la poésie.

Cette poésie primitive se développe au nord de la Grèce, habité par les Pélasges, race antique que quelques historiens considèrent comme autochthone, dans la Thrace, la Thessalie et la Béotie, dont tous les lieux sont consacrés par des souvenirs religieux.

Les plus célèbres de ces poëtes législateurs, musiciens et prophètes, sont LINUS, OLEN, ORPHÉE et MUSÉE. Leur histoire est mythologique, et les vers qu'on leur attribue sont apocryphes. Nous n'essayerons pas de dissiper les ténèbres artificielles que l'érudition a ajoutées à l'obscurité qui enveloppe naturellement les traditions des temps éloignés. Tout ici est matière à discussion; car après avoir tenté de déterminer, par exemple, combien il a existé de Linus et d'Orphées, la science demande encore s'il y a eu un Linus et un Orphée.

Ceci posé, on voit qu'il faut désespérer, au moins pour cette époque, de fixer la date de la naissance et de la mort des poëtes, et d'arrêter la liste de leurs ouvrages. On devra donc se contenter des détails suivants :

Un des LINUS mentionnés par l'antiquité était fils d'Apoljon et de Calliope: on raconte qu'il fut tué par Hercule, auquel il enseignait sans fruit la musique, et sa mort tragique était l'objet d'une fête qui se célébrait à Thèbes. Stobéc cite

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