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acception de forme serait une dispense de talent. Il est vrai qu'on en use, mais le délit n'abroge pas la loi, et on est autorisé à dire que cette pratique est un empiétement et une profanation.

La richesse unit l'abondance à l'éclat. Le style de Buffon donne une idée de la richesse par l'éclat des images, l'abondance des idées et le coloris de l'expression.

La force emploie peu de mots pour exprimer de grandes idées; la vivacité anime et passionne le langage, et donne l'impulsion à la force.

La finesse fait entendre au delà et à côté de ce qu'elle dit : elle procède par allusion et cache la pensée pour mieux la faire voir. La délicatesse est au sentiment ce que la finesse est à l'esprit : elle dit avec réserve et détour ce qu'elle veut faire entendre; elle exprime finement des sentiments tendres, et donne de la grâce à l'éloge. Pascal s'exprime finement lorsqu'il s'excuse de n'avoir pas eu le temps d'être court. Il y a de la finesse dans cette pensée : « Nous promettons selon nos espérances, et nous tenons selon nos craintes. >> Lorsque Iphigénie s'écrie, en apprenant qu'il lui est défendu de revoir Achille : « Dieux plus doux! vous n'aviez demandé que ma vie ! » cette exclamation touchante est pleine de délicatesse1. La plupart de ces qualités tiennent plus à la pensée qu'à l'expression.

L'énergie condense la pensée et enfonce, comme dit Montaigne, la signification des mots. Tacite est le plus énergique des écrivains. Le vice qui confine à l'énergie est la dureté.

1. Voici en quels termes un écrivain, qui avait ses raisons pour placer au premier rang la délicatesse et la finesse, s'exprime sur ces qualités du style : « Il n'y a point de beau et de bon style qui ne soit rempli de finesses, mais de finesses délicates.

« La délicatesse et la finesse sont seules les véritables indices du talent. << Tout s'imite, la force, la gravité, la véhémence, la légèreté même; mais la finesse et la délicatesse ne peuvent être longtemps contrefaites. Sans elles, un style sain n'annonce rien qu'un esprit étroit. »

J. J. JOUBERT. Pensées et Maximes, tom. II, p. 83.

La véhémence est le mouvement rapide de la passion; si on ne la maîtrise pas, on tombe dans la déclamation. Dans les grands orateurs on sent une force secrète qui modère les emportements de la pensée. La magnificence, qui étale de grandes images et qui exprime de nobles sentiments, peut dégénérer en enflure. Le vers que Lemière appelait modestement le vers du siècle :

Le trident de Neptune est le sceptre du monde,

est un exemple de magnificence, parce qu'il exprime une grande idée par de nobles images. On peut en dire autant de ce vers de Voltaire dans Alzire,

Votre hymen est le nœud qui joindra les deux mondes.

Ces dernières qualités, l'énergie, la véhémence et la magnificence, appartiennent au genre sublime.

XVII.

De la période,

Une phrase est une réunion de mots formant un sens complet. La phrase est simple ou complexe, selon qu'elle contient une ou plusieurs propositions.

Une période est une suite de phrases qui peuvent se détacher, mais qui marchent vers un même sens et vers un même but. Ce but est l'expression d'une pensée unique composée de plusieurs propositions distinctes.

<< L'esprit est souvent la dupe du cœur1, » voilà une phrase simple. «Quelque découverte qu'on ait faite dans le pays de l'amour-propre, il y reste encore bien des terres inconnues,», voilà une phrase complexe. La phrase subsiste tant que les propositions qui complètent le sens ne peuvent pas se détacher.

« Ce qui fait que peu de personnes sont agréables dans la conversation, c'est que chacun songe plus à ce qu'il a dessein de dire qu'à ce que les autres disent, et que l'on n'écoute guère quand on a bien envie de parler. » Cet ensemble de six propositions qui ne peuvent se démembrer demeure une phrase, et ne va pas jusqu'à la période.

« Les hommes, dit La Bruyère, agissent mollement dans les choses de leur devoir, pendant qu'ils se font un mérite, ou plutôt une vanité, de s'empresser pour celles qui leur sont étrangères, et qui ne conviennent ni à leur état ni à leur caractère. » Nous multiplions les propositions, mais nous ne sortons pas de la phrase.

<< Telèphe a comme une barrière qui le ferme, et qui devrait l'avertir de s'arrêter en deçà; mais il passe outre, et se jette hors de sa sphère ; il trouve lui-même son endroit faible, et se montre par cet endroit ; il parle de ce qu'il ne sait point,

1. La Rochefoucauld.

ou de ce qu'il sait mal; il entreprend au-dessus de son pouvoir; il désire au delà de sa portée; il s'égale à ce qu'il y a de meilleur en tout genre; il a du bon et du louable, qu'il offusque par l'affectation du grand et du merveilleux; on voit clairement ce qu'il n'est pas, et il faut deviner ce qu'il est en effet. » Avons-nous trouvé la période? Je ne le crois pas; car je vois ici une succession de phrases détachées, et non un enchaînement de phrases liées et distinctes.

Dans les exemples précédents, nous n'avons point reconnu la période, parce que l'enchaînement était trop étroit; dans celui-ci, nous ne la reconnaissons pas, parce qu'il est brisé.

Écoutons maintenant Bossuet : « Vous verrez dans une seule vie toutes les extrémités des choses humaines : la félicité sans bornes aussi bien que les misères; une longue et paisible jouissance d'une des plus nobles couronnes de l'univers; tout ce que peuvent donner de plus glorieux la naissance et la grandeur, accumulé sur une tête qui ensuite est exposée à tous les outrages de la fortune; la bonne cause d'abord suivie de bons succès, et depuis, des retours soudains, des changements inouïs; la rébellion longtemps retenue, à la fin tout à fait maîtresse; nul frein à la licence; les lois abolies; la majesté violée par des attentats jusqu'alors inconnus; l'usurpation et la tyrannie sous le nom de liberté ; une reine fugitive, qui ne trouve aucune retraite dans trois royaumes, et à qui sa propre patrie n'est plus qu'un triste lieu d'exil; neuf voyages sur mer, entrepris par une princesse malgré les tempêtes; l'Océan étonné de se voir traversé tant de fois en des appareils si divers et pour des causes si différentes; un trône indignement renversé, et miraculeusement rétabli. » Ici, tout se tient et marche avec discipline, mais sans entraves, vers un même but : nous avons enfin la période, qui se caractérise par un enchaînement, un concours d'idées et de propositions distinctes. Dans la phrase, les idées forment un tout indissoluble; dans le style coupé, les idées se suivent et ne s'enchaînent pas; dans la période, la

chaîne est flexible, et le lien qui unit les membres ne les asservit pas.

Dans un discours de quelques pages, Buffon, répondant à M. de La Condamine, à l'Académie, a placé une des plus belles périodes qu'on puisse citer : « Avoir parcouru l'un et l'autre hémisphère, traversé les continents et les mers, surmonté les sommets de ces montagnes embrasées où des glaces éternelles bravent également les feux souterrains et les ardeurs du midi; s'être livré à la pente précipitée de ces. cataractes écumantes dont les eaux suspendues semblent moins rouler sur la terre que descendre des nues; avoir pénétré dans ces vastes déserts, dans ces solitudes immenses, où la nature accoutumée au plus profond silence dut être étonnée de s'entendre interroger pour la première fois1; avoir plus fait, en un mot, par le seul motif de la gloire des lettres, que l'on ne fit jamais par la soif de l'or: voilà ce que connaît de vous l'Europe et ce que dira la postérité. »

La période est une forme admirable du langage, parce qu'elle accumule les idées sans les confondre, parce qu'elle leur donne plus de clarté par l'ordre, plus de force par le rapprochement.

On appelle membres de la période les parties dont elle se compose.

La disposition des membres de la période demande beau

1. On rapprochera naturellement de cet admirable passage le début du discours dans lequel un autre maître dans l'art d'écrire, M. Villemain, résume les travaux du navigateur célèbre, Dumont d'Urville :

Il y a six mois, messieurs, à pareille réunion, dans cette même enceinte, siégeait à votre bureau le contre-amiral célèbre sur lequel se fixaient tous. les regards de l'assemblée, l'intrépide et savant marin que la même corvette avait porté dans trois voyages autour du monde, qui, le premier, sur une des plages barbares de la Polynésie, avait enfin retrouvé quelques traces de Lapérouse, et qui, des mers équatoriales sept fois traversées, s'avançant sur les derniers flots navigables des mers antarctiques, avait pénétré, entre des montagnes de glace, jusqu'aux lieux où le génie de l'homme n'a plus à découvrir que la stérilité et la mort de la nature. (Discours prononcé en 1842 dans une séance solennelle de la Société de Géographic.)

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